Les circonstances de la mort d’Adama Traoré, un jeune home mort lors de son interpellation par gendarmes le 19 juillet dernier, secouent le Val-d’Oise depuis une dizaine de jours. Le JDD revient sur les principales questions qui entoure l’affaire et les versions apportées par le parquet et les avocats de la famille pour y répondre.
Que s’est-il passé à Beaumont-sur-Oise le 19 juillet?
Les gendarmes interpellent Adama Traoré le 19 juillet dernier, le jour de ces 24 ans, à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise). Ce soir-là, le jeune homme n’est pas dans le viseur des autorités, venues arrêter son frère pour les besoins d’une enquête publique pour extorsion de fonds. Les motifs de l’arrestation d’Adama Traoré divergent. Le parquet de Pontoise avance que le jeune homme a cherché à s’interposer à l’interpellation de son frère. Une version niée par ce dernier. “Lorsque les gendarmes sont arrivés, Adama est parti en courant parce qu’il n’avait pas ses papiers sur lui”, rapporte Bagui Traoré. L’un des avocats de la famille, Me Zajac, a annoncé au JDD samedi dernier avoir déposé une demande pour “consulter les caméras de vidéosurveillance de la ville” afin de prouver cette version des faits.
Adama Traoré serait ensuite décédé dans le fourgon de gendarmerie le transportant à la brigade de Persan, une commune voisine. La version officielle fait d’abord état d’un “malaise” pendant le trajet. La famille avance pour sa part la thèse de la “bavure” policière. Des violences urbaines éclatent alors à Beaumont-sur-Oise et à Persan, plusieurs véhicules sont incendiés.
Les conditions de la mort d’Adama Traoré posent question. Saisi par le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), le Défenseur des droits, Jacques Toubon, étudie le dossier. Deux enquêtes ont été ouvertes par la gendarmerie : l’une pilotée par sa section de recherche, l’autre par son inspection des services. Le procureur de la République du tribunal de grande instance de Pontoise, Yves Jannier, a confié très rapidement les investigations à une juge d’instruction du TGI de Pontoise.
Que dit la première autopsie?
Les rapports des médecins légistes figurent dans le dossier de l’enquête et bénéficient du secret de l’instruction. Ils ne peuvent pas être consultés librement par des journalistes. Dès lors, des premières observations sont communiquées par le procureur, seul magistrat habilité à communiquer sur l’affaire. Le jeudi 21 juillet, il fait état d’”infections graves” touchant “plusieurs organes” et mentionnent l’absence de “traces de violences significatives” sur le corps. Tels que présentés, ces éléments semblent écarter la piste de la bavure policière. En réaction, l’avocat de la famille Me Zajac annonce le lendemain déposer une demande de contre-autopsie.
Le rapport final d’autopsie est quant à lui révélé lundi dernier. S’il confirme “un phénomène infectieux sur plusieurs organes” et “l’absence de violence de nature à entraîner la mort” du jeune homme, il ne mentionne pas non plus la cause du décès. Mardi, la juge d’instruction en charge du dossier accepte la demande de contre-expertise. Le corps d’Adama Traoré est transféré de l’Institut médico-légal de Garches à celui de Paris.
Quels sont les résultats de la contre-expertise?
Les résultats sont communiqués jeudi par le procureur de Pontoise. Il confirme à son tour qu’”aucune trace de violence susceptible d’expliquer le décès du jeune homme de 24 ans”. Pour la première fois en revanche, le parquet fait état de la nécessité d’examens complémentaire pour expliquer la mort d’Adama Traoré. “L’explication de la cause du décès ne pourra être apportée qu’avec l’ensemble des analyses (bactériologie, toxicologie, anatomopathologie)”, dont les résultats sont attendus “dans le courant du mois d’août”, indiquait le procureur de Pontoise.
La présentation des conclusions de la contre-autopsie sont d’une toute autre nature du côté de la famille. Me Zajac expliquera jeudi dans plusieurs médias, dont le JDD, que la contre-expertise ne mentionne plus la présence d’infections graves et réfute la thèse d’une pathologie cardiaque. Plus encore, l’avocat avance que le rapport confirme la présence d’un “syndrome asphyxique”, précisant que cette constatation était déjà présente dans le premier rapport d’autopsie. Complètement absent des communications officielles – mais également des prises de paroles des avocats jusque là – cet élément jette un peu plus le trouble sur les circonstances de la mort d’Adama Traoré. A nouveau, Me Zajac fait une nouvelle demande d’autopsie.
Adama Traoré était-il cardiaque?
Vendredi, le procureur de Pontoise s’exprime à l’AFP pour annoncer que la juge d’instruction refuse d’accéder à une troisième autopsie. “Manifestement les actes demandés n’étaient pas de nature à apporter des éléments de réponse”, déclare Yves Jannier. “La question question du respect du corps se pose”, ajoute-t-il. L’avocat de la famille ne fait pas appel de la décision.
Le procureur dévoile alors un rapport intermédiaire d’un examen anatomopathologique (une analyse des lésions) réalisé sur le coeur d’Adama Traoré lors de la première autopsie. Ces derniers mettraient en évidence “un ensemble de lésions compatibles avec une cardo-myopathie hypertrophique qui est potentiellement la cause directe de la mort”, précise le magistrat. Il s’agit d’une “pathologie cardiaque, pour laquelle il peut n’y avoir aucun signe avant-coureur”, explique-il encore. Sans non plus confirmer ou démentir les déclarations de l’avocat de la famille la veille concernant des constatations contradictoires sur la contre-autopsie.
En sait-on plus des circonstances de l’interpellation?
L’information a été révélée par L’Obs vendredi soir. De source judiciaire, l’hebdomadaire donne des éléments sur l’interpellation d’Adama Traoré. L’Obs cite notamment un extrait de procès verbal entre gendarmes et enquêteurs. “Nous avons employé la force strictement nécessaire pour le maîtriser”, expliquent les forces de l’ordre. Ajoutants également : “Il a pris le poids de nos corps à tous les trois au moment de son interpellation.” Une précision importante alors que la famille martèle désormais qu’Adama Traoré est mort asphyxié. En ce sens, seuls les résultats d’un examen anatomopathologique sur les poumons pourront déterminer les causes d’éventuelles lésions asphyxiques.
Le lendemain, la famille et les proches d’Adama Traoré organisent dans l’après-midi une marche dans le centre de Paris, initialement prévue entre la Gare du Nord et la place de la République. Entre 600 et 1.000 personnes sont venues réclamer la vérité sur la mort d’Adama Traoré. La marche sera finalement interdite par la préfecture de police faute déclaration préalable, a-t-elle expliqué dans un communiqué.
Plus tôt dans l’après-midi, Me Noémie Saidi-Cottier, l’une des avocates représentant la famille d’Adama Traoré, a résumé l’affaire depuis une semaine et demi. “Aujourd’hui, à l’aune de deux autopsies, il est impossible de déterminer exactement les causes du décès.”
Source: JDD