Les activités ont tourné inhabituellement au ralenti au centre commercial et ses alentours ce week-end à cause des heurts ayant opposé, samedi, les forces de l’ordre et des manifestants qui protestaient contre l’opération de démolition des kiosques installés aux abords des voies publiques.
La ville de Bamako offrait, samedi, un spectacle de désolation suite à ce mouvement de grogne provoqué par l’opération de libération des voies publiques, en cours depuis plus d’une semaine. L’onde de choc, qui serait parti de Bamako-Coura et de la salle de cinéma Vox, s’est propagée dans le centre commercial et le Quartier du fleuve comme un séisme suivi de répliques. Vers dix heures et demie, la nouvelle, comme une trainée de poudre, est parvenue sur l’Avenue de l’Yser grâce à des passants. A peine arrivée au niveau des boutiquiers opérant aux alentours de l’Institut d’économie rurale (IER), non loin du Square Patrice Lumumba, notre équipe de reportage a été contrainte de rebrousser chemin après avoir aperçu des piétons et des engins circuler en sens inverse. Très vite, les riverains ont compris qu’il s’agissait du début des opérations de démolition de leurs kiosques et des étals.
C’est ainsi que des gens ont accouru dans toutes les directions pour se mettre à l’abri. Car, les forces de l’ordre sillonnaient les principales artères menant au Grand marché en vue de rétablir l’ordre dans ce lieu considéré comme le poumon économique de la capitale. C’est ici, au centre commercial et ses alentours, que l’on retrouve les grands immeubles abritant à la fois des boutiques et des bureaux. Devant les boutiques et tout au loin des principales voies, des commerçants détaillants qui y ont installé des kiosques de fortune et des l’étals. Dans ce lot, il y a également des vendeuses et vendeurs ambulants et des « coxers » (courtiers et intermédiaires en tout genre). Tout ce beau monde est à pied d’œuvre, au quotidien, pour mener des activités génératrices de revenus au centre ville.
Mais, cette situation a entraîné l’occupation anarchique des voies publiques, rendant difficile la circulation pour les usagers, y compris les piétons. Traverser le Grand marché relève, à tout moment, d’un parcours du combattant. Les piétons, privés des trottoirs par les étals et les kiosques, disputent la chaussée aux motocyclistes et aux voitures. Le tohu-bohu est indescriptible et difficile à vivre pour tout le monde. Pourtant, des efforts ont été faits par les services compétents pour rendre la circulation fluide sur l’axe qui relie le Square Patrice Lumumba au rond-point de l’Hôpital Gabriel Touré. Mais cela n’a pas suffi à mettre fin à l’occupation anarchique des voies publiques.
Les autorités ont, semble-t-il, décidé cette fois-ci de prendre le taureau par les cornes. Pour donner un visage reluisant au district de Bamako, qui s’apprête à accueillir le sommet Afrique-France en janvier 2017, des actions ont été entreprises pour libérer les voies publiques. En plus de l’embellissement de la ville, l’objectif est d’améliorer le cadre de vie des Bamakois, si l’on en croit Adama Sangaré, maire du district de Bamako qui participait le même jour à la cérémonie de commémoration du 56è anniversaire de l’accession du Bénin à l’indépendance au Carrefour de la route de la Cité Unicef.
Mais l’opération est vivement décriée par les détenteurs de kiosques et des commerçants qui évoluent dans l’informel. « La mairie et le gouvernorat du district nous demandent d’évacuer les lieux. Mais ils ne nous ont pas indiqué l’endroit où on doit aller », s’est plaint un jeune détaillant.
Précaution. Au Quartier du Fleuve, beaucoup de commerçants ont défait leurs kiosques en attendant l’évolution de la situation. « Je vous conseille d’amener vos marchandises dans des endroits sûrs. N’attendez pas qu’ils (les agents chargés de l’opération de déguerpissement et les forces de l’ordre) viennent nous surprendre puisqu’on nous a demandé de quitter les lieux sans délai. Mais, nous pouvons continuer à venir passer la journée ici en attendant l’évolution de la situation. Nous sommes des citoyens maliens et nous payons des taxes à la mairie de la Commune III », avait dit un responsable à ses collègues commerçants quelques jours avant la manifestation de samedi.
Comme un pressentiment, ce détenteur de kiosque voulait certainement mettre ses militants à l’abri d’éventuelles destructions comme ce fut le cas samedi. Les faits lui ont donné raison car, très tôt le matin, la tension est montée au niveau du Vox où se trouve une place pour les transports en commun Sotrama et Dourouni. Le vent de contestation a, par la suite, secoué le centre commercial et ses alentours. Des manifestants ont incendié des pneus et d’autres objets au beau milieu des routes (Vox, Avenue Modibo Kéïta, Rond-Point Gabriel Touré ou « Railda« , Avenue de l’Yser, Place OMVS, etc.), puis saccagé des feux de signalisation. Partout, on voyait des éléments des forces de sécurité, sillonner les rues, pour assurer le maintien d’ordre. Ils faisaient usage du gaz lacrymogène pour disperser les manifestants qui jouaient avec eux à cache-cache. Votre serviteur a vécu cette expérience au niveau de l’Avenue de l’Yser, sur l’axe reliant le marché Dibida à la Place du Souvenir, au niveau de l’INA et du rond-point Gabriel Touré. Certains agents, qui étaient postés aux alentours de l’Assemblée nationale, pourchassaient des manifestants, dans des courses-poursuites effrénées.
On notait un impressionnant dispositif de sécurité au niveau du Commissariat de police du 1er arrondissement et de l’Assemblée nationale. De 10 heures à 14 heures, la tension était très vive au Grand marché et au « Woro sougou (marché de colas) à cause des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Il y aurait des blessés. Des véhicules de la police, de la gendarmerie, de la garde nationale et de la protection civile sillonnaient régulièrement les endroits touchés par la grogne des commerçants.
Passants et manifestants essayaient tant bien que mal de se protéger du gaz lacrymogène en se bouchant les narines. Entre la Maison des artisans et les rails, on lisait la déception et la tristesse sur les visages crispés de certains marchands, notamment des femmes et des jeunes qui se retrouvent ainsi sans activité. Certains d’entre eux ne cessaient d’adresser des critiques et des reproches à l’endroit des autorités. « Nous sommes déçus. Le gouvernement n’a pas pris des dispositions pour nous recaser, après l’incendie du Marché rose. Or, il nous faut un local pour exercer notre activité afin d’entretenir nos familles », nous a confié un vieux commerçant, au milieu d’une foule en colère devant l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE).
Les activités tournaient au ralenti au grand marché et au niveau du cinéma Vox. Par contre, l’accalmie semblait revenir, entre 12 heures et 13 heures, au « Woro sougou » où les Sotrama circulaient souvent à vive allure. Mais, les clients ne pouvaient accéder à ce lieu qu’en empruntant la route des Sotrama. Les autres voies d’accès étaient fermées par des occupants pour raison de sécurité.
En face de la Cathédrale, certains détaillants, étaient obligés de ramasser leurs articles pour les garder dans la cour d’un service. « Nous sommes surpris par cette opération. Nous n’avons pas été avertis ni par la mairie ni par le gouvernorat. Ces services ont même reconnu cela. Nous avons tenté de les joindre en vain par téléphone« , a déploré un vendeur dont le kiosque venait d’être démoli.
Une intense campagne de sensibilisation a été déclenchée sur les médias publics et privés pour appeler au calme.
B. M. SISSOKO