Enseignant, chercheur au cercle Confucius de recherche sur l’Asie et la Chine, chef de département de la philosophie à la faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation,Dr Belco Ouologuemnous livre ses analyses sur la crise multiforme qui secoue le Mali. Pour lui, la source c’est la mauvaise gouvernance.
Le pays : Quelle analyse faites-vous de la situation sécuritaire du pays ?
Dr Belco Ouologuem : La situation sécuritaire du pays est complexe et inquiétante. L’insécurité est généralisée. Les attaques incessantes contreles positions des forces armées maliennes (FAMA) dont le dernier cas survenu est celui de Nampala , la forte présence des forces de nuisancesqui végètent dans presque toute la partie septentrionale du pays, le désordre de plus en plus grandissant au niveau de l’appareiladministratif de l’Etat, le problème d’organisation des forces armées ; constituent et renforcent l’insécurité dans tout le territoire national.
Quant aux responsabilités, elles sont multiples. Au sommet, se trouvecelle du président de la république et de son gouvernement dans leurmauvaise gestion de la crise. Ils font preuve de passivité dans la résolutiondu problème sécuritaire.
Une autre responsabilité de l’Etat est l’ambiguïté de sa position envers les différents groupes protagonistes qui continuent de s’affronter dans les régions du nord.
Par ailleurs, une lourde responsabilité incombe aux différents groupesarmés, signataires de l’accord pour la paix dont la mauvaise volontése matérialise dans leur violation répétée de l’accord. Certains ne sontpas pour la paix en réalité. Ils profitent du chaos pour mener leurs opérationsde trafics d’armes et de drogue dont la recherche de débouché et d’un large champ d’action constituent la pierre angulaire des affrontements entre certains groupes.
Que dites vous des grognes de la jeunesse malienne, en l’occurrence celle de Gao et le collectif « Bi Ton » à Bamako?
Les grognes de la jeunesse sont liées aux problèmes de la gouvernance politique.
Concernant le soulèvement des jeunes de Gao suite à la mise en place des autorités intérimaires, force est de comprendre que leur revendication est juste et conformeà l’accord de paix auquel le gouvernement se réfère lui-même.
Dans l’accord, la mise en place des autorités intérimaires était initialement prévue dans les zones où l’Etat était complètement absent. Alors que l’administration est présente à Gao.
Un autre aspect qui justifiele soulèvement des jeunes à Gao est l’insertion de certainespersonnes dans le rang des autorités intérimaires, qui étaient les principaux acteurs des crimes,des viols et des violences (amputations, coups de cravache etc.)qui ont été commis pendant les huit mois d’occupation de la ville par les terroristes.
La jeunesse qui fut la victime directe de toutes ces atrocités, ne peut en aucun cas accepterle retour de ces mêmes personnes qui ne font que changer d’étiquette selon les circonstances. Et la manifestions des jeunes est l’expression de cette colère. Elle est juste,même si elle s’est regrettablement soldée dans un bain de sang.
S’agissant du collectif « Bi Ton » dont le but est de rappeler le président l’une de ses promessesde campagne qui était la création d’emploi, deux cent mille emplois, il est nécessaire de souligner que les promesses de campagne sont difficilement tenues dans notre pays.
Ce sont des slogans de campagne dont le but est le pouvoir. Mais se dit en même temps être dans une logique de la création d’emplois : le recrutement au niveau des services sociaux de base, au niveau de l’armée, et de la police ; tout ce qui entre dans le cadrede la reconstruction économique, politique et militaire du pays.
Mais le rythme du recrutement est très lent, ce qui laisse croire qu’iln’est pas possible de créer les 200.000 emplois promis.
Que vous pensez de la convalescence économique du pays ?
L’histoire de la convalescence économique ne tient pas. Surtout quand on se réfère aux rapports du FMI, de la banque mondiale et au rapport de l’ancien ministre de l’économie (Mamadou H Diarra) qui a déclaré que le pays, malgré la crise et ses impacts, n’a pas perdu sa place de la troisième puissance économiquede la zone de l’UMOA. Ça veut dire que la culture générale de l’économie tient bon.
Alors que la question fondamentale est comme je l’ai souligné, une question de mauvaise gouvernance politique et de mauvaise gestion économique. Dès l’arrivéedu gouvernement on a vu beaucoup de scandales liés à la surfacturation des équipements militaires où des milliards sont partis à l’aire, la passation du marché d’armes gré à gré, tout cela nous édifie devant le comment de la gestion des ressourceséconomiques. Il faut que le gouvernement cesse de fermer les yeux sur les détournementsdu fonds public qui volent de nouvelles ailes chaque jour.
Quelle solution propose le philosophe ?
La solution que propose le philosophe est d’abord d’appeler le président à la prise de conscience de la responsabilité politique. Quoique l’on dise, en tant que Président de la République, c’est à lui de prendre sa responsabilité en veillant à ce que les personnes qu’il choisit soient des personnes de bonne moralité et qui gèrent la chose publique comme il le faut, car comme l’a souligné Confucius(philosophe chinois)la première responsabilité de la gestion d’un pays repose sur la personne même du président ou du gouvernant.
Deuxièmement, il faut un contrôle régulier des actions de mise en œuvre des projets qui concernent certains aspects de la société. Par exemple, le cas des logements sociaux : 60% du temps consommé, 90% de l’argent dépensé, avec seulement 20% des travaux réalisés. Or l’exécutif doit suivre la marche des projets.
Troisièmement, il faut mettre en place une politique unique de rigueur du sommet jusqu’au bas de l’échelle. Le sommet doit être immaculé pour que le bas de l’échelle soit transparent, car le rapport entre les deux est l’image du rapport entre le vent et l’herbe.
Réalisé par Bakaï Yalcouyé, Aly Bocoum (Stagiaires)