Au moment où le Maroc protège son marché de produits agricoles contre les importations sauvages, les commerçants maliens enfilent des chemises de commerciaux pour les produits marocains au Mali au détriment de la production nationale. Quel paradoxe ? Mais, dans un pays où l’intérêt collectif s’est complètement émoussé sous la pression du moi égoïste, cela ne surprend pas. Avec 25 et 40 dinars marocains, environ 1500 à 2000 FCFA de droit de douanes à l’importation de la pomme de terre sur le territoire chérifien, il paraît évident que le Maroc, qui est à seulement à 15 km des côtes espagnoles, veuille protéger son agriculture de la concurrence étrangère sur son sol. Pour le savoir, il faut aller sur le site des douanes marocaines. Cette information confirme ce que nous avions dit dans une précédente édition. Aucun pays n’accepte d’ouvrir tous azimuts ses frontières aux produits étrangers. Même les textes de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ne sont pas opposés à certaines mesures protectionnistes qu’utilisent les pays pour défendre leur économie.
C’est dire que les Douanes maliennes sont dans leur rôle de protection de notre économie nationale, notamment le secteur de la pomme de terre. Surtout, que la décision de la Direction Générale des Douanes (DGD), ainsi que de la Direction Nationale du Commerce et de la Concurrence (DNCC) d’appliquer le Tarif Extérieur Commun de la CEDEAO, découle de la demande des producteurs nationaux qui se sont plaints de la concurrence déloyale que les importateurs de pomme de terre leur font subir. C’était à la faveur d’une rencontre qui a réuni autour de la table, le groupement des producteurs locaux et la DGD, le 02 juin 2014. Ce jour-là, les producteurs ont fait part de la concurrence déloyale qu’ils subissaient de la part des importateurs de légumes et fruits frais. A l’issue de la réunion, la Direction a instruit à ses services de procéder à des investigations aux fins de vérification.
Il est ressorti de cette enquête qu’effectivement, il y avait matière à se plaindre. Car, les enquêteurs ont découvert des minorations se rapportant à la fois au poids qu’à la valeur des droits de douane que les importateurs payaient et qui ne laissaient aucune chance à la production nationale d’émerger, quand bien même que l’Etat a consenti beaucoup d’efforts pour promouvoir cette filière dans le cadre de sa politique de sécurité alimentaire. Qui remonte à la grande crise des produits alimentaires, qui a ébranlé le monde en 2007 et 2008. Cette crise a provoqué des émeutes dans certains pays, notamment le Burkina Faso, en Egypte, etc. A la suite de cette grave crise mondiale, le gouvernement du Mali a adopté une nouvelle politique agricole qui s’articule autour d’un axe stratégique pour apporter une réponse structurelle à une situation conjoncturelle pour permettre à notre pays de se mettre désormais à l’abri des situations du genre. La stratégie a consisté à identifier certains secteurs porteurs afin de les soutenir. Les réflexions menées ça et là ont abouti à l’adoption de l’initiative riz, dont le ministre de l’Agriculture, Kassoum Denon, alors directeur général de l’Opération riz de Ségou, en est un principal concepteur. La stratégie visait à réduire la dépendance de notre pays vis-à-vis des importations des produits alimentaires. C’est ainsi que l’initiative a été élargie au secteur de la pomme de terre. D’ailleurs, le Programme de Compétitivité et de Diversification Agricole (PCDA) a beaucoup contribué à promouvoir cette filière au Mali. Ainsi, tout comme les intrants, la semence de la pomme de terre aussi a été subventionnée. Elle est taxée à seulement 5%. L’objectif est d’inciter d’autres investisseurs à s’intéresser à la filière, qui est désormais très rentable. C’est en ce moment que Modibo Kéïta, PDG de GDCM a décidé de troquer son boubou de commerçant contre celui de producteur comme d’autres entrepreneurs agricoles, notamment le président de l’APCAM Bakary Togola.
Ainsi, lorsque le problème de concurrence déloyale des importateurs a été posé en 2014, la DGD a ordonné des redressements suivis de pénalités sur les cargaisons sous douane au moment de la vérification. Les importateurs ont alors entrepris des démarches auprès de l’administration douanière en vue de revenir à la situation dénoncée et incriminée. C’est ce moment que Kadidiatou Lah entre en scène en se présentant comme la principale importatrice de légumes et fruits frais en provenance du Maroc. Elle a, alors, été reçue à sa demande par le Directeur du Renseignement et des Enquêtes Douanières le 28 juin 2014 sur autorisation de la DGD. A cette occasion, elle a expliqué à ses interlocuteurs le coût d’acquisition de la marchandise au Maroc, qui s’y vendait en son temps à 200 FCFA le kilogramme. Elle s’est également expliquée longuement sur les conditions du transport du Maroc au Mali. Selon elle, les importateurs payaient en son temps pour les frais d’emballage et de manutention par cargaison 350 000 FCFA et 6 000 000 FCFA pour les frais de transport d’un chargement.
En son temps, la Direction a entrepris des mesures destinées à accompagner le secteur. Mais, avec l’avènement du Tarif Extérieur Commun, qui prend la pomme de terre sur la bande N°5 du TEC, la DGD est obligée de revenir sur la base de taxation de cette denrée. Tout comme le Maroc, la CEDEAO a souci de la survie des producteurs de la Communauté. C’est pourquoi, elle a indexé la taxation de la pomme de terre sur la bande N°5 qui couvre les produits protégés de la Communauté conformément aux accords qu’elle a contractés avec l’OMC. Il appartient à nos opérateurs économiques d’avoir un peu de fibre patriotique pour que leurs frères et sœurs puissent vivre de la sueur de leur front. Surtout que la Douane ne taxe seulement que le produit en faisant fi des autres charges liées. Sinon, dans les conditions normales, la Douane taxe le produit selon le coût réel à l’achat (prix de revient). Celui-ci intègre toutes les dépenses effectuées par l’opérateur. Par là, il faut comprendre le prix d’achat à l’usine, les coûts du transport et de manutention, etc. Mais, concernant la pomme de terre, la Douane a renoncé aux coûts de transport et de manutention pour ne prendre que le prix d’achat au producteur, qui était de 200 FCFA en 2014.C’est déjà un effort de plusieurs milliards FCFA.
M. A. Diakité