L’espace médiatique malien est marqué par la floraison des titres et le non professionnalisme de la plupart des hommes qui l’animent avec son corolaire de violation des règles en la matière. D’où la décision des plus hautes autorités du pays de la création d’une instance chargée de la réguler, dénommée «Haute Autorité de la Communication » HAC. Cette dernière a procédé le vendredi 5 août 2016 à l’ouverture de sa première session ordinaire. A l’occasion, le président de la HAC, M. Fodié Touré a tenu un discours qui du moins siffle la fin de la récréation au niveau des médias tout en annonçant des mesures drastiques contre ceux qui choisiront de violer les règles en la matière et de les défier. Les chantiers qui attentent la HAC sont nombreux. Il s’agit entre autres de la dépénalisation des délits de presse et de la réglementation des télévisions et radios privées qui exercent sans aucune autorisation.
Installés il y a près de 8 mois, les membres de la HAC tirent le fondement juridique de leurs missions de la Loi n°2012-019 du 12 mars 2012 relative aux services privés de communication audiovisuelle, à l’Ordonnance n° 2014-006 du 21 janvier 2014 portant création de la Haute Autorité de la Communication et aux Décrets n° 2014-0951et n° 2014-0952 tous du 31 décembre 2014 déterminant respectivement les conditions d’établissement, d’exploitation et de distribution des services privés de radiodiffusion télévisuelle et des services privés de radiodiffusion sonore.
Selon le président de la HAC, M. Fodié Touré, afin d’enrichir le cadre réglementaire de ses missions, notamment celle d’autorisation d’établissement et d’exploitation des services privés de communication audiovisuelle, de contrôle et de sanction desdits services, elle a procédé au cours des 6 premiers mois à l’élaboration des projets de décrets. Il s’agit de 5 projets de décrets fixant les cahiers des charges des services privés de communication audiovisuelle et d’un projet de décret déterminant les conditions de mise en œuvre des sanctions non pénales prononcées par la HAC.
Selon nos sources, ces projets de décrets ont été adoptés en Conseil de Ministres, donnant ainsi à la HAC les moyens juridiques nécessaires pour exercer la plénitude de ses missions.
Au cours de cette session, le président Touré soulignera que l’établissement et l’exploitation de chaque type de service privé de communication audiovisuelle étant soumis à la signature d’une convention avec la HAC, son institution a élaboré cinq modèles de convention relatifs chacun à un service. Ces modèles de convention ont été soumis à l’observation des organisations professionnelles des médias et des promoteurs des services de communication audiovisuelle lors des journées de rencontre qu’ils ont eues avec la HAC les 15, 16 et 17 mars 2016. Les observations formulées par ces derniers et jugées pertinentes ont été prises en charge dans la version définitive des conventions.
43 radios émettent sans aucune autorisation dont 11 dans la zone géographique du District de Bamako
Il ressort aussi de l’intervention du président de la HAC qu’au cours des six premiers mois de son exercice, la Haute Autorité de la Communication a reçu du Ministère de l’Economie Numérique et de la Communication une documentation et des dossiers relatifs aux services privés de communication audiovisuelle. L’examen de ces dossiers a mis en exergue une situation extrêmement complexe des radios et des télévisions privées.
En effet, de 1994 à nos jours, sur le plan technique, plus de 800 fréquences ont été « assignées » pour l’exploitation de radios privées. Selon un rapport d’audit réalisé en 2015, avant l’installation de la HAC, par l’Autorité Malienne de Régulation des Télécommunications et des Postes, 575 autorisations ont été délivrées, y compris les autorisations provisoires pour l’établissement et l’exploitation de radios privées. Sur ces 575 radios, 329 fonctionnent conformément aux termes de l’autorisation qui leur a été délivrée. 353 émettent sur des sites indiqués dans l’autorisation d’établissement, 24 émettent à partir de fréquence autre que celle qui leur a été assignée, 3 émettent à partir de site autre que celui indiqué dans l’autorisation d’établissement. En outre, 219 fréquences assignées n’ont pas été mises en services.
En plus de ces 575 radios à qui des fréquences ont été assignées, 43 radios émettent sans aucune autorisation dont 11 dans la zone géographique du District de Bamako.
Il faut ajouter à cette situation déjà complexe, la délivrance, après l’installation de la HAC, de nombreuses autorisations provisoires sous réserve de leur confirmation par l’autorité de régulation.
Sur le plan administratif et juridique, on note entre autres l’existence de radios privées émettant sur la base d’arrêtés interministériels devenus caducs parce que n’ayant pas été renouvelés. Il y a aussi des radios privées émettant sur la base d’autorisations provisoires délivrées par le ministère chargé de la Communication, sous réserve de leur confirmation par la HAC. On note aussi des radios privées qui émettent à partir de fréquences non attribuées, donc frauduleuses.
Situation préoccupante des télévisions privées qui ne disposent d’aucune autorisation
La situation des télévisions privées est plus préoccupante. En effet, aucune d’elles ne dispose d’autorisation et il semble qu’il leur a simplement été donné la possibilité de procéder à des essais. Mais, malgré cela, il est aisé de constater aujourd’hui qu’elles figurent toutes sur les bouquets proposés par certaines entreprises maliennes de distribution de programmes.
Quant à la situation des entreprises de distribution de programmes et des radios étrangères, elle est moins préoccupante que celle des radios et des télévisions privées. Les entreprises de distribution de programmes et les radios étrangères diffusent et émettent sur la base, soit de conventions et d’accords conclus avec l’ancien ORTM, soit « d’autorisation » donnée par l’ex Conseil Supérieur de la Communication.
La complexité de la situation générale de l’espace médiatique audiovisuelle est accentuée par les demandes pressantes des promoteurs nationaux et étrangers qui attendent depuis des années.
Plus de 300 agences de publicité dont une dizaine seulement est capable de répondre aux attentes des usagers
Dans ce domaine, il faut retenir que le Mali compte aujourd’hui plus de 300 agences de publicité dont une dizaine seulement est capable de répondre aux attentes des usagers. En outre, le secteur de la publicité reste encore régi par la Loi n°83-63 du 18 janvier 1983 qui fixe le régime de la Publicité au Mali. Cette loi mérite d’être relue pour prendre en compte les nouvelles exigences du secteur et de l’environnement médiatique. Des tentatives ont été amorcées dans ce sens mais aucune d’elle n’a pu aboutir à ce jour.
La Loi n°00-046 du 07 juillet 2000 portant régime de la presse et délit de presse mérite aussi d’être revue pour intégrer les préoccupations des acteurs des médias, notamment la dépénalisation des délits de presse.
Enfin, la presse en ligne, bien que relevant du domaine de la mission de régulation de la HAC, n’est jusque-là réglementée par aucun texte. Il est donc urgent de légiférer en la matière.
Mettre fin au désordre
Deux décennies après sa libéralisation, il règne un véritable désordre dans l’espace médiatique audiovisuel au Mali. Une mise en ordre du secteur est donc urgente et impérative qui impliquera sans aucun doute des mesures rigoureuses qui vont être prises en toute lucidité, en toute responsabilité et dans la stricte légalité. Pour le président de la HAC, le respect des lois, y compris par son institution, revient à protéger ceux qui s’y soumettent et à sanctionner ceux qui choisissent de les violer et de les défier.
C’est pourquoi, les mesures envisagées concerneront l’observation des délais de mise en conformité au nouveau cadre légal et réglementaire, des sanctions de suspensions et de retraits de services et d’autorisations, ainsi que des signatures de nouvelles conventions conformément au cadre légal et réglementaire en vigueur.
La mise en ordre du secteur de l’espace médiatique audiovisuel est un véritable défi. Car elle consiste en une véritable opération d’assainissement du secteur. Pour son président, la HAC ne pourra relever ce défi sans la collaboration et la participation des acteurs du monde de l’audiovisuel. En effet, les premières rencontres entre elle et les organisations professionnelles des médias ont tout particulièrement insisté sur le besoin crucial et urgent de l’assainissement du secteur. Sur ce point, il y a une véritable convergence de vues entre la HAC et tous ses partenaires.
L’assainissement du secteur est un challenge gagnant-gagnant puisqu’il permettra aux acteurs des médias audiovisuels d’aller vers plus de professionnalisme, plus de performance, plus de rigueur et plus de responsabilité.
En somme, cette première session de la HAC, vient à point nommé mais si elle était intervenue bien avant, l’on aurait pu éviter plusieurs affaires sulfureuses et inutiles telle que celle entre le chroniqueur RASH Bath et le prêcheur Bandiougou Diawara. Alors, vivement l’application correcte des différents textes en la matière pour assainir les médias au Mali.
Dieudonné Tembely