A Bèwani, les parcelles sont monnayées contre de fortes sommes d’argent en violation de la législation. Paysans et agents de l’Office se rejettent la responsabilité
A l’Office du Niger, les champs sont attribués aux producteurs pour l’exploitation. Il leur est formellement interdit de les vendre. Officiellement. Mais dans la pratique, la réalité est tout autre. Les champs changent de mains très fréquemment, moyennant de grosses sommes d’argent.
La spéculation foncière est une réalité dans les périmètres irrigués de l’Office du Niger. Dans certaines zones, les terres sont très convoitées. C’est le cas du périmètre de Bèwani, situé sur l’axe routier menant de Markala à Niono. Des riches hommes d’affaires et des fonctionnaires proposent de fortes sommes d’argent aux paysans pour racheter leurs parcelles. Cette situation est devenue aujourd’hui une menace sérieuse pour l’agriculture familiale, pratiquée par les habitants de la zone de Bèwani.
Le phénomène a pris une ampleur qui semble inquiéter les protagonistes eux-mêmes. Paysans et agents de la zone de Bèwani, chargés du foncier, se rejettent la responsabilité. Les premiers accusent les seconds d’être à l’origine de ce commerce illicite. De leur côté, les agents de l’Office soutiennent que les paysans cèdent facilement à l’appât du gain et vendent leurs champs à des acheteurs fortunés.
Ce jeu de ping-pong entre agents et paysans amène à se demander comment les champs sont-ils attribués aux exploitants à l’Office du Niger ? Pourquoi les paysans arrivent-ils à vendre leurs champs ? Comment des agents chargés de l’encadrement des paysans parviennent-ils à les déposséder de leurs champs pour les revendre ?
Chef de la division appui au monde rural, Youssouf Konaté répond à la première interrogation. « La vente de champ est interdite à l’Office du Niger. Les champs sont attribués à la demande des citoyens qu’ils soient habitants ou non de la zone, paysans ou fonctionnaires de l’Etat », précise-t-il, très remonté contre les allégations des paysans.
Le dépositaire du patrimoine foncier de la zone tient à rappeler la particularité de certains casiers de la zone dont Bèwani. Selon lui, ces casiers sont le fruit d’un aménagement participatif : aménagement réalisé par les paysans eux-mêmes, selon leurs moyens humains et matériels. Les familles recensées à cet effet ont creusé des drains à la demande de l’Office du Niger. Au moment de l’octroi des champs aux exploitants, la superficie allouée à chaque famille devrait être proportionnelle à la longueur des drains creusés par elles. Il est alors difficilement compréhensible qu’après ce dur labeur un paysan vende son champ de son propre gré.
L’imam Mahamet Touré qui est aussi conseiller au chef du village de Bèwani-koro, a lui une autre explication. Le marabout soutient que les superficies dont disposent les habitants ne couvrent pas leurs besoins. Pourquoi vous vendez donc des champs s’il est vrai que les superficies à votre disposition sont inférieures à vos besoins ? Le jeune frère de l’imam, Almamy Touré, président du comité de gestion de la zone de Bèwani, répond à cette question. Selon lui, des paysans sont à tort ou à raison évincés de leurs champs pour non payement de la redevance eau qui s’élève à un plus de 65 000 Fcfa par hectare. Souvent, des paysans ne parviennent pas à s’acquitter de la redevance parce qu’ils n’ont pas pu cultiver leurs champs pour cause d’inondations ou du caractère inexploitable de la parcelle. Or l’Office du Niger ne tient pas compte de tous les problèmes dans les dégrèvements c’est-à-dire l’exemption de payement de la redevance eau.
Fonds de commerce. Si un paysan est menacé d’éviction, pour éviter de perdre complètement le bénéfice du champ, il est amené à le vendre. Dans ce cas, même s’il ne disposera plus du champ, il aura empocher une grosse somme d’argent. Le souci est de ne pas se retrouver les mains vides après avoir contribué à aménager une parcelle.
Un hectare est cédé entre 350 000 et 600 000 Fcfa selon la qualité de l’aménagement et la situation géographique du champ. Avec le produit de la vente, le paysan paye la redevance, s’acquitte des dettes contractées auprès des créanciers pour s’approvisionner en intrants agricoles et utilise le reste de l’argent à sa guise. « Il s’arrange avec des agents de l’Office pour transférer la facture du champ au nom du nouvel acquéreur », révèle notre source.
Almamy Touré ajoute que les parcelles retirées aux paysans pour non payement de la redevance, doivent être redistribuées à ceux qui en expriment le besoin, à travers les comités de gestion. Les choses ne se passent pas toujours de cette manière. Les paysans soupçonnent les agents techniques de l’Office du Niger de faire de ces champs un fonds de commerce quand ils ne les reprennent pas à leur propre compte. C’est pourquoi, dit-il, les paysans préfèrent vendre les champs au lieu d’attendre d’être évincés par l’Office du Niger.
Cette forme de marchandisation de la terre a commencé en 2009, croit savoir Bourama Coulibaly, représentant local de la chambre d’agriculture de N’Poko, arrondissement voisin de Sansanding et Siribala. Cette année-là, se souvient notre interlocuteur, l’Office du Niger autorisa un remembrement (regroupement) des champs dans le souci de réduire la souffrance des paysans, en les installant sur des champs proches de leurs lieux d’habitation. Une ambition noble qui semble avoir ouvert la boîte de pandore, estime-t-il.
Sautant sur cette nouvelle « aubaine », des agents chargés du remembrement auraient ponctionné sur les superficies initiales des paysans à reloger. Ainsi, des paysans qui avaient un champ d’une superficie totale de 4 hectares se sont retrouvés à termes avec 2 ou 3 hectares. Barima Diallo, un paysan qui exploite les champs de son père Daouda, est dans ce cas. Comme en témoignent ses factures de redevance d’eau de 2008 et de 2014.
Youssouf Konaté, le chef de la division appui au monde rural, confirme que les problèmes fonciers ont débuté effectivement depuis le remembrement. Mais il a une autre lecture du phénomène. Selon lui, le remembrement a mis à nu les insuffisances liées à l’aménagement des rizières de la zone. Car, indique-t-il, les superficies indiquées sur les plans d’aménagement ne correspondaient pas aux surfaces réelles.
« Au niveau de certaines parcelles, on vous dit que la superficie fait 10 hectares. Quand vous chaînez, vous vous retrouverez avec 8 ou 9 hectares », argumente-t-il. Les agents chargés des opérations de réattribution se sont alors trouvés avec moins de superficies qu’ils doivent en distribuer, déplore Youssouf Konaté. Qui ajoute : « il fallait alors réduire les superficies pour l’ensemble des bénéficiaires et partager les champs de sorte que nul ne soit laissé pour compte. En tenant évidemment compte de la superficie totale dont disposait chacun ». Youssouf Konaté rejette la responsabilité sur le bureau de contrôle des travaux d’aménagement.
Le chargé des questions foncières accuse à son tour les paysans de dilapider les champs à eux attribuer gratuitement par l’Office en vue d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Il explique à ce propos que les paysans effectuent des ventes entre eux sans en informer la direction de la zone. Et pour obtenir souvent un transfert de la facture au nom du nouvel acquéreur, ils invoquent des raisons sociales.
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