Il n’a pas connu la gloire de son compatriote Malick Sididé, considéré comme le plus grand portraitiste du «Tout-Bamako». Ni celle d’un autre célèbre Malien, Seydou Keïta, qui fut le centre d’une exposition au Grand-Palais à Paris du 31 mars au 11 juillet. Et pourtant, Mamadou Koné, dit Super Koné, affiche des états de service à susciter la jalousie des plus grands : en quarante-deux années d’une carrière ininterrompue, il aura vu passer devant son objectif pas moins de 818 chefs d’Etat, rois, princes et chefs de gouvernement. Le dernier d’entre eux étant le nouveau chef de l’Etat béninois, Patrice Talon.
Le griot et le photographe
Le rêve de jeunesse de Super Koné le destinait à une carrière de guitariste dans la capitale du Soudan français, l’ancien nom du Mali avant les indépendances africaines. Il a dû renoncer face au veto d’un père intransigeant qui ne voulait pas que son rejeton devienne un «griot moderne». C’est finalement la télévision scolaire, lancée aux débuts des années 1970, qui offre à ce grand gaillard au physique de catcheur son premier emploi en tant qu’assistant réalisateur. Il y côtoie l’actuel Premier ministre malien, Modibo Keïta, alors directeur de la toute jeune chaîne, qu’il finit par quitter en 1972 pour des stages successifs en France, à l’Ecole Louis-Lumière à Paris, à l’Office des programmes pédagogiques pour l’enseignement par la télévision (Ofratem) puis au Centre pédagogique des techniques avancées de la photo, à Marly-le-roi.
De retour à Bamako, la «ville aux trois caïmans» en bambara, Super Koné s’essaie à la photographie en autodidacte. Il obtient, grâce à la bienveillance des gardes et du protocole présidentiel, l’autorisation de «squatter» le palais de Koulouba, sur les hauteurs de la capitale, pour réaliser les photos des cérémonies officielles : audiences du chef de l’Etat, visites de présidents étrangers, lettres de créance. La qualité de ses clichés le distingue très vite des photographes officiels qui manifestent vite leur jalousie.
Son tempérament de baroudeur l’aide à faire le dos rond face aux sarcasmes. Il réalise le portrait de l’écrivain Amadou Hampâté Bâ, l’auteur de L’Etrange Destin de Wangrin, après celui de Banzoumana Cissoko, père de l’hymne national malien, et connaît sa première heure de gloire en 1975 avec la sortie aux Editions populaires du Mali de son livre Coiffures traditionnelles et modernes du Mali. Il gagne ses premiers millions de francs CFA, mais surtout une immense notoriété avec le succès commercial et professionnel de son hommage à la beauté de la femme malienne.
Le «fils africain de Jacques Foccart»
À écouter l’homme de 69 ans aux doigts noircis par une longue carrière de fumeur, c’est en 1977 que son destin bascule pour la première fois. Cette année-là, Jean Rouch réussit à le convaincre de venir s’installer à Paris. L’ethnologue et cinéaste français, dont le corps est inhumé au cimetière chrétien de Niamey, le présente à Jacques Foccart, le tout-puissant «Monsieur Afrique» du général de Gaulle qui lui ouvre en grand les portes de l’Elysée.
Plus besoin de carte de presse ou d’accréditation pour «le fils africain de Foccart» lorsqu’un chef d’Etat africain est reçu au palais de la présidence française, que ce soit sous Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande. Ce furent d’abord les pères des indépendances africaines qui passèrent devant son objectif, du Camerounais Ahmadou Ahidjo au Sénégalais Léopold Sédar Senghor, en passant par le Nigérien Hamani Diori et le Djiboutien Hassane Gouled Aptidon.
Le photographe malien, que la maladie empêche à présent de se déplacer, aura ensuite été le portraitiste de la deuxième génération des dirigeants africains incarnée par le Zaïrois Mobutu Sesse Seko, le Guinéen Lansana Conté, le Sénégalais Abdou Diouf. Après les pères présidents, Super Koné aura photographié les fils : Eyadema et Faure Gnassingbé, Omar et Ali Bongo, Hassan II et Mohammed VI. De sa longue carrière, il a tiré des liens très personnels avec certains chefs d’Etat, dont le Sénégalais Abdou Diouf, le Congolais Denis Sassou-Nguesso ou le Tchadien Idriss Déby, qu’il tutoie.
Houphouët avait une addiction à la photo
Mais c’est avec le premier président ivoirien qu’il a entretenu la plus longue et plus grande proximité. La rencontre entre le photographe et Félix Houphouët-Boigny a lieu 1956 au cimetière de Bamako alors que l’Ivoirien était député de l’Afrique-Occidentale au Parlement français. Super Koné était venu au Mali rendre hommage à son ami et compagnon de lutte pour les indépendances, Mamadou Konaté, vice-président du Rassemblement démocratique. Les deux hommes se retrouvent en 1985 à Paris, où Houphouët-Boigny, devenu président, effectue une visite de travail. Super Koné couvre l’événement. Il confie ensuite un album à l’ambassadeur Eugène Haïdara.
Le président Houphouët, devant la qualité des images, demande à rencontrer illico le photographe. «À cette époque-là, il n’y avait pas de portable, c’est donc une chasse à l’homme dans Paris que l’ambassadeur Haïdara et Ouézzin ont organisé pour me retrouver. Ils ont fini par y arriver en m’arrêtant au feu rouge d’un carrefour», se souvient avec jubilation le photographe malien au crâne désormais dégarni. Ce jour-là, le destin de Super Koné bascule à nouveau. Le président ivoirien décide du Sahélien son photographe attitré. De 8 h 30 à 22 heures, Super Kondé assure à l’hôtel particulier Le Masserand, dans le 7e arrondissement, la couverture de toutes les activités de l’ancien planteur de cacao devenu chef d’Etat. Il le suit au millimètre dans ses déplacements officiels à Paris et dans le reste de la France.
De cette complicité, le photographe gardera des souvenirs, comme la rencontre secrète entre François Mitterrand et Félix Houphouët-Boigny, qu’il évoque avec la fierté du combattant qui a ramené un trophée de guerre : «Le tête-à-tête a eu lieu en avril 1992, quelques mois avant le décès du président ivoirien. Le président français est venu dans un véhicule banalisé et il est resté deux heures et demie avec Houphouët. Je suis le seul photographe à avoir des images de cette entrevue, lance Super Koné.
C’est parce qu’il m’a reconnu que Mitterrand s’était prêté à l’exercice de la prise des vues en arrivant, puis à nouveau avec Houphouët.»
Selon le photographe, le président ivoirien était passionné de photo. Il aimait que le photographe lui remette son travail en main propre. L’occasion de dîners mémorables : «Même à Paris, Houphouët ne ratait pas ses plats africains, attieké, maffé, gombo, alloco. Il me recevait à sa table et commentait les photos pendant le repas. Il disait ici tu m’as mal pris, là tu aurais dû mieux cadrer ou me prendre de profil.»
Chefs d’Etat généreux ou pingres
En quatre décennies, Super Koné a vendu des portraits de chefs africains à de prestigieuses agences telles l’AFP, Sipa, Sigma et bien d’autres. Mais son business le plus rentable aura été les albums des activités officielles des chefs d’Etat. Des clients prestigieux, on retrouve des généreux comme Mobutu, qui peut remettre une mallette de billets lorsqu’il estime que l’album est bien fait. Houphouët n’hésitait pas à prépayer jusqu’à 150 000 francs français pour les travaux préliminaires puis à débourser 300 000 francs à la livraison. La légende raconte qu’il comptait l’argent en kilos. On cite également parmi les chefs d’Etat généreux le président-paysan de Guinée Lansana Conté, le premier président camerounais Ahmadou Ahidjo, Eyadema Gnassingbé, Omar Bongo ou le Congolais Denis Sassou-Nguesso. Mais, à voir Faure Gnassingbé et Ali Bongo, la générosité n’est pas une qualité dont on hérite forcément.
L’actuel président guinéen et son homologue mauritanien sont eux aussi réputés être près de leur sous. Mais lorsqu’on côtoie les chefs d’Etat pendant plus de quarante ans, on gagne, en plus de l’argent, opportunités et influence. Le photographe malien revendique ainsi d’avoir obtenu la fermeture du sinistre bagne malien de Taoudeni après avoir sensibilisé sur la question le président Moussa Traoré, de passage à Paris. Il se souvient également avec fierté d’avoir été le premier photographe africain à voir ses œuvres exposées, en septembre 1981, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York : «Il y avait au vernissage sept chefs d’Etat africains et le secrétaire général Kurt Waldheim.»
Album hommage
Au soir de sa carrière, le plus ancien photographe de chefs d’Etat africains à Paris se bat pour sortir de ses archives un album d’hommage à Félix Houphouët-Boigny assorti d’une centaine de témoignages de personnalités. Alors qu’il devrait bénéficier du soutien de tous ceux qui se présentent aujourd’hui comme les héritiers d’Houphouët-Boigny, le projet peine à trouver son financement. Alertée par différents canaux, la première dame ivoirienne se serait résolue à mettre 3 000 euros sur la table. Il en faudrait 50 000. La contribution de son époux, le président Alassane Ouattara et celle de l’ancien président Bédié se font toujours attendre. «Je vais dépenser jusqu’à mon dernier centime pour que cet hommage à Houphouët soit réalisé, lance Super Koné avant de grimper dans sa voiture pour retrouver son appartement de Sarcelles. Nous avons tous une dette morale envers Houphouët, je vais m’acquitter de ma part.»
Seidik Abba
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