Comme l’a rappelé François Hollande à Tombouctou et Bamako, le samedi 2 février, la France restera le temps qu’il faudra au Mali. Mais au delà, ou plutôt en-deçà de cette volonté politique, il s’agit de tirer les premiers enseignements de l’opération «Serval», au moment même où la Commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité s’apprête à remettre sa copie au président de la République.
Après une année 2011 riche sur le plan opérationnel, l’année 2012 a été marquée par le désengagement d’Afghanistan. 2013, semble commencer avec un nouveau rythme. Engagée sous la pression d’une offensive terroriste qui visait la capitale du Mali, la réaction militaire de la France intervient au moment même où la Commission du Livre blanc pour la défense et la sécurité s’apprête à rendre sa copie au président de la République.
Parallèlement, la France est également intervenue en Somalie. Dans son premier bilan comme dans leurs projections, la conduite de ces opérations permet déjà un premier retour d’expérience, «à chaud» comme disent les militaires, riche de cinq principaux enseignements.
1. Le premier constat générique n’est pas une grande découverte mais doit inlassablement être rappelé. Nécessité impérieuse liée à sa souveraineté et la défense de ses intérêts, notre pays doit continuer à disposer d’une force interarmées de réaction rapide dotée de moyens modernes et crédibles constituant une «capacité d’entrer en premier», comme disent les stratèges. Leur discours de la méthode reste imparable: «J’interviens en premier donc je suis!»… il n’est que voir les réactions internationales unanimes de soutien à la France.
2. Pour être crédible, c’est-à-dire réactive et polymorphe, sinon dissuasive, cette capacité doit pouvoir s’appuyer des segments de «projection de puissance». Une force de réaction rapide enracinée, inerte et hyper-territorialisée ne sert à rien. Les méfaits du syndrome «Ligne Maginot» ne sont plus à démontrer.
Les guerres d’aujourd’hui sont sans foi ni loi, sans ligne de front ni stabilité de perspective. Elles se caractérisent principalement par la «fluidité» et des mouvements «rhizomatiques» ne répondant surtout pas aux logiques cartésiennes d’arborescence mais à des progressions en «bubons» rappelant la propagation des pestes noires moyenâgeuses. Cette nouvelle biologie de la guerre dont les foyers sahélo-malien et somalien illustrent l’une des mutations majeures requiert le développement et l’entretien de capacités de projection de puissance à partir de la terre et à partir de la mer.
Forces et projections terre/mer forment désormais une indissociable unité organique. A ce titre, les points d’appui en Afrique ont été essentiels comme l’a été l’engagement discret d’un BPC (Bâtiment de projection et de commandement/porte-hélicoptères) au large de la Somalie. En 2011, les mêmes moyens avaient été aussi déployés devant la République de Côte d’Ivoire.
3. Aucune nation —pas même l’hyper-puissance américaine ni les émergents—, ne peut aujourd’hui anticiper, traiter et accompagner seule, les métastases de la biologie des guerres actuelles. L’opération «Serval» le confirme tout particulièrement: les objectifs politiques partagés d’une guerre moderne induisent quasi-géométriquement le «partage», en amont de plusieurs moyens de production de la puissance. Plus concrètement, cet «amont stratégique» génère des coûts financiers progressivement partagés et une mutualisation de la logistique: soutien, transports des hommes et du matériel. Il paraît évident et logique que l’Europe de la défense puisse ici prouver sa pertinence.
Pour Serval, si la France fournit les capacités de combat, plusieurs pays européens lui apportent désormais des moyens de transport, notamment dans le domaine aérien. A défaut d’une réelle mutualisation qu’offrira peut-être l’Airbus A400M, n’y a-t-il pas là, d’ores et déjà, une coopération opérationnelle de nature à optimiser les investissements des Européens dans leur défense?
4. L’«aval stratégique» des guerres modernes concerne les problématiques de la relève et de la stabilisation. Partageant des objectifs politiques communs donc la mutualisation de la logistique, la communauté internationale et ses coalitions ponctuelles doivent également assumer le suivi empêchant ainsi qu’une seule nation ne joue le rôle de gendarme du monde. Là encore «Serval» est emblématique. Voilà plus d’un an que la diplomatie française a initié une séquence onusienne de riposte aux crises sahéliennes (résolutions 2071 et 2085), confiant la gestion suivie et consolidée des menaces aux forces régionales de la CEDEAO, avec le soutien de l’Union africaine et de l’Union européenne.
Après l’urgence, parfaitement assumé par les forces françaises qui ont pu empêcher la prise de Bamako par les factions terroristes sahéliennes, les armées africaines prendront le relais avec les soutiens logistiques et des dispositifs appropriés de formation. Comme le répète à l’envie le Président de la République, la France n’a pas vocation à rester au Mali, et la stabilisation sera bien l’affaire des troupes de l’ONU.
5. Enfin, l’opération «Serval» —qui devrait rassembler environ 2.500 hommes—, dans ses quatre précédents retours d’expérience converge sur un constat central et générique pour l’avenir des capacités françaises de défense. Elle démontre que l’heure n’est plus aux troupes nombreuses et mal équipées mais à des forces resserrées parfaitement dotées, entraînées et capables de réagir immédiatement. «Serval» confirme la pertinence d’un constat plus ancien. Au plus fort de l’implication française en Afghanistan et bien que des carences d’équipement aient cruellement été ressenties en début d’opération, les troupes au sol n’ont jamais dépassé 4.000 hommes.