Pour l’ancien Premier ministre Moussa Mara, le salut de l’armée malienne passera forcement par la mise en œuvre effective de la Loi d’Orientation et de programmation militaire qui a été adoptée en 2015. Problème : sur les 200 milliards de Fcfa qui doivent être mobilisés par an pour nos forces armées et de sécurité, le gouvernement peine à trouver annuellement, depuis l’approbation de cette loi, plus de 5 milliards de Fcfa. L’ancien Premier ministre a fait ces révélations le week-end dernier lors du lancement du Carrefour d’opinion “Faso Baro” du Réseau des jeunes pour la paix au Mali (Rjpm).
C’est un espace public situé à Badalabougou Sema qui a servi de cadre à cette conférence débat de lancement du Carrefour d’opinion “Faso Baro” du Réseau des jeunes pour la paix au Mali (Rjpm). Outre l’ancien Premier ministre Moussa Mara, qui est aussi le président de la formation politique Yelema, et le président du Réseau des jeunes pour la paix au Mali, Tiéoulé Djigui Sidibé, cette rencontre a enregistré la présence des représentants des partis politiques de la place et de beaucoup d’organisations de la société civile malienne.
La situation de l’armée malienne, l’application de l’Accord pour la paix, l’opération de libération des voies encore appelée Opération Ami Kane… ont été, entre autres thèmes, abordés lors de cette rencontre.
Intervenant en premier lieu, l’ancien Premier ministre d’IBK, Moussa Mara, a donné en ces termes son opinion sur nos forces armées et de sécurité.
“Ils ont enterré l’armée durant ces 20 dernières années “
“En 2000 et 2001, l’armée malienne était dans un état plus critique que maintenant. Cependant, l’ancien président de la République, ATT, a fait des efforts. Mais tous ces efforts ont été dévoyés par la corruption. Par exemple si le Mali devait acheter des Brdm neufs, on se permettait de rassembler les anciens Brdm en Tchécoslovaquie ou en Bulgarie et on les facturait au prix du neuf. Et après quelques coups de feu, ces vieux matériels tombaient en panne” a introduit M. Mara. Il a regretté le fait que sous l’ancien président, ATT, il y a eu beaucoup de recrutements dans l’armée, mais qui ont été faits sur la base du “clientélisme, du népotisme, avec des quotas pour le Mouvement citoyen et d’autres formations politiques “.
«Durant ces 20 dernières années, ils ont en un mot enterré l’armée car sous l’ancien président, Alpha Oumar Konaré, le choix était fait depuis le haut sommet de l’Etat, de tout faire pour ne pas mettre l’armée dans ses capacités optimales. C’est pourquoi, les hommes ne bénéficiaient ni de formation ni d’équipements. Et c’est depuis en ce moment qu’ils ont commencé à enterrer l’armée petit à petit. Les Maliens doivent savoir que durant ces 20 dernières années, ils ont transformé notre lion en petit chat. Sinon on peut tout reprocher à l’ancien président Moussa Traoré, sauf de ne pas mettre l’armée à niveau et dans les meilleures conditions de combat ” a soutenu l’ancien Premier ministre.Ensuite, le conférencier s’est dit convaincu que ce n’est pas en deux ans, voire trois ans qu’on peut redresser l’armée malienne. “Cela n’est pas possible même à moins de 10 ans.
C’est pourquoi, la Loi d’Orientation et de programmation militaire a été élaborée. A l’époque, j’étais Premier ministre. Et dans cette loi, il est prévu qu’au delà du budget initial alloué à la Défense, d’injecter 200 milliards de Fcfa dans nos forces armées et de sécurité. C’est vrai que la Loi a été votée en avril 2015, mais durant toute l’année 2015, l’Etat n’a pas pu, dans le cadre de l’exécution de cette loi, injecter 5 milliards de Fcfa, idem pour cette année 2016. Il faut que les autorités disent la vérité à la population par rapport à cette loi qu’on a votée et dont on manque de moyens financiers pour sa mise en œuvre” a soutenu M. Mara.
Selon lui, l’armée que les Maliens rêvent ne pourra être une réalité qu’à travers cette loi. “Ce n’est pas en achetant deux camions, 4 pickup ça et là, en recrutant des jeunes, qu’on pourra bâtir une armée digne de ce nom. Mais c’est en mettant plutôt les moyens financiers conséquents comme les 200 milliards de Fcfa annuels de la Loi de programmation militaire. Cependant, il faut que les autorités disent la vérité aux populations par rapport à la faible mobilisation des ressources financières de cette loi. Et pourquoi ne pas demander à nos concitoyens, aux sociétés minières de la place, de contribuer pour lever ce fonds” a suggéré Moussa Mara, président du parti Yéléma. Il a aussi soutenu que de nos armées africaines ne sont pas bien organisées pour faire face à ces groupes terroristes.
Au cours de cette conférence débat, l’ancien Premier ministre Moussa Mara a donné également son point de vue sur la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale.
” Certains dans le gouvernement n’ont pas intérêt que la mise en œuvre de l’accord soit effective”
Selon lui, la responsabilité du retard dans la mise en œuvre de l’Accord n’est pas seulement imputable aux groupes armés, mais aussi à certains membres du gouvernement. “Beaucoup de chefs rebelles et de simples combattants vivent de cette crise car c’est grâce à ce conflit qu’ils sont accueillis à l’Extérieur, hébergés à Bamako dans des hôtels de luxe. Sans compter que des membres des groupes armés se font beaucoup de sous à travers le trafic de drogue et le terrorisme. Donc, tous ceux-ci n’on pas intérêt que l’Accord soit mis en œuvre ” a révélé M. Mara. Ce n’est pas tout, il a ajouté que dans le gouvernement Modibo Kéïta, certains sont en train de torpiller ledit accord car “dans la gestion des pouvoirs publics, l’Accord préconise une décentralisation poussée.
Avec ce système de gouvernance, le pouvoir ne sera plus concentré ici à Bamako. Et beaucoup de gens ici dans la capitale n’y ont pas intérêt car pour eux, le pouvoir c’est synonyme d’argent. Et ces personnes font tout pour torpiller l’Accord. C’est vrai que les groupes armés sont en retard par rapport au désarmement, mais aussi le gouvernement malien est également en retard dans l’élaboration de certains textes conformément à l’Accord. Donc en conclusion, les deux parties sont en retard, raison pour laquelle l’Accord piétine toujours…”, souligne le président du parti Yelema.
” J’avais mis sur place une commission pour la libération des voies publiques et j’ai eu le sentiment que cette structure pouvait faire 10 ans sans produire un rapport”
“Si on veut que ce pays avance, il faut nous que nous-mêmes, nous acceptions de changer. Il faut que nous acceptions en un moment de souffrir pour l’intérêt collectif. Nous voulons tous que ce pays soit propre, que les routes soient libérées, mais personne ne veut se sacrifier pour son pays”. C’est en ces termes que Moussa Mara a donné son opinion sur l’opération Ami Kane. Cependant, il a rappelé que quand on doit déguerpir les gens, il est bon de leur donner la vraie information, de leur indiquer un endroit où ils peuvent s’installer. “Maintenant, ce que nous avons compris, le Gouverneur Ami Kane dit qu’elle a informé les intéressés et certains déguerpis soutiennent le contraire.
D’autres, par contre, disent qu’ils ont été informés, mais on ne leur a pas donné toutes les explications nécessaires et suffisamment de temps. Donc cette situation est très complexe. Par contre, quand j’étais ministre de l’Urbanisme, nous avons essayé de faire ce travail similaire. Pour cela, nous avions mis sur place une commission composée des commerçants, des autorités… “, a révélé Moussa Mara. A le croire, cette commission avait pour tâche d’identifier les sites sur lesquels les gens seront installés. “Mais ce que je vais vous dire, durant tout le temps que j’ai fait au ministère de l’Urbanisme en 2013 et mon passage à la Primature, cette commission faisait son travail.
Et chaque jour, il y avait un nouveau problème de nature à empêcher que l’opération soit exécutée. A vrai dire, on a eu le sentiment que cette commission pouvait faire 10 ans sans pourtant trouver des voies et moyens pour que ce déguerpissement ait lieu. Car ceux qui sont installés sur ces trottoirs ne voulaient pas réellement partir. Peut-être c’est pour éviter de tomber dans ce dialogue de sourd que le gouverneur du District, Ami Kane, a mené ainsi l’opération” a confié le conférencier, avant de préciser que si l’on veut bâtir ce pays, il faut privilégier l’intérêt collectif au profit de l’intérêt particulier.
Il faut rappeler qu’à travers l’organisation de ces différents débats, le Rjpm se veut pour ambition d’inciter nos concitoyens à s’impliquer dans la gestion des affaires publiques. Et selon son président, Tioulé Djigui Sidibé, beaucoup de conférences similaires, avec d’autres responsables, se tiendront dans plusieurs localités du pays.
Kassoum THERA