Il y a une semaine, l’ancien Premier Ministre Moussa Mara a participé au lancement de « Faso Baro », un débat initié par le Réseau des Jeunes pour la Paix au Mali. Mara en a profité pour dénoncer la gestion de l’appareil militaire au cours des 20 dernières années.
« En 2000 et 2001, l’armée malienne était dans un état plus critique que maintenant. L’ancien président ATT a fait des efforts. Mais tous ces efforts ont été dévoyés par la corruption. Par exemple, si le Mali devait acheter des BRDM neufs, on se permettait de rassembler des anciens BRDM en Tchécoslovaquie ou en Bulgarie et on les facturait au prix du neuf. Et après quelques coups de feu, ces vieux matériels tombaient en panne ».
Armée victime de la corruption et de la politique
Mara déplore que sous ATT, beaucoup de recrutements dans l’armée aient été faits « sur la base clientélisme, du népotisme, avec des quotas pour le Mouvement Citoyen et d’autres formations politiques ». Et Mara d’affirmer: « Durant ces 20 dernières années, ils ont en un mot enterré l’armée. Sous l’ancien président Alpha Oumar Konaré, le choix était fait depuis le haut sommet de l’Etat de tout faire pour ne pas mettre l’armée dans ses capacités optimales. C’est pourquoi les hommes ne bénéficiaient ni de formation ni d’équipements. Et c’est depuis ce moment qu’ils ont commencé à enterrer l’armée petit à petit. Les Maliens doivent savoir que durant ces 20 dernières années, ils ont transformé notre lion en petit chat. On peut tout reprocher à l’ancien président Moussa Traoré sauf de n’avoir pas mis l’armée dans les meilleures conditions de combat ».
Pas de fonds pour l’armée
L’ancien Premier Ministre se dit convaincu que ce n’est pas en deux ou trois ans qu’on peut redresser l’armée malienne: « Cela n’est pas possible en moins de 10 ans. C’est pourquoi la Loi d’Orientation et de Programmation militaire a été élaborée. A l’époque, j’étais Premier Ministre.Dans cette loi, il est prévu, au-delà du budget initial alloué à la Défense, d’injecter 200 milliards dans nos forces armées et de sécurité. C’est vrai que la Loi a été votée en avril 2015, mais durant toute l’année 2015, l’Etat n’a pas pu, dans le cadre de l’exécution de cette loi, injecter 5 milliards.Idem pour cette année 2016.Il faut que les autorités disent la vérité à la population par rapport à cette loi qu’on a votée et dont on manque de moyens financiers de mise en œuvre ».
Mara poursuit dans la même logique: « Ce n’est pas en achetant 2 camions ou 4 pick up ça et là, ou en recrutant des jeunes qu’on pourra bâtir une armée digne de ce nom. C’est en mettant plutôt les moyens financiers conséquents comme les 200 milliards annuels de la Loi de programmation militaire. Il faut que les autorités disent la vérité aux populations par rapport à la faible mobilisation des ressources financières de cette loi. Pourquoi ne pas demander à nos concitoyens, aux sociétés minières, de contribuer à lever ces fonds ? ».
Armées peu préparées
Parlant spécifiquement de la lutte anti-terroriste, Moussa Mara fait quelques révélations : « Nos armées africaines ne sont pas bien organisées pour faire face aux groupes terroristes. Certains, dans le gouvernement, n’ont pas intérêt que la mise en œuvre de l’accord soit effective. Beaucoup de chefs rebelles et de simples combattants vivent de cette crise car c’est grâce à ce conflit qu’ils sont accueillis à l’extérieur ou à Bamako dans des hôtels de luxe. Sans compter que des membres des groupes armés se font beaucoup de sous à travers le trafic de drogue et le terrorisme. Donc, tous ceux-ci n’ont pas intérêt que l’Accord soit mis en œuvre ».
Mara précise que des personnes haut placées sont en train de torpiller l’Accord de paix: « Dans la gestion des pouvoirs publics, l’Accord préconise une décentralisation poussée. Avec ce système de gouvernance, le pouvoir ne sera plus concentré à Bamako. Et beaucoup de gens, ici dans la capitale, n’y ont pas intérêt car pour eux, le pouvoir est synonyme d’argent. Ces personnes font tout pour torpiller l’Accord.Si on veut que ce pays avance, il faut que nous-mêmes, nous acceptions de changer. Il faut que nous acceptions de souffrir pour l’intérêt collectif. Nous voulons tous que ce pays soit propre, que les routes soient libérées, mais personne ne veut se sacrifier pour son pays »
Opération Ami Kane
Parlant de l’opération de déguerpissement et de démolition engagée sous l’égide de la gouverneure du district, Mara déclare: « Le Gouverneur Ami Kane dit qu’elle a informé les intéressés et certains déguerpis soutiennent le contraire. D’autres, par contre, disent qu’ils ont été informés mais qu’on ne leur a pas donné toutes les explications nécessaires ni suffisamment de temps. Donc, cette situation est très complexe. Quand j’étais ministre de l’Urbanisme, nous avons essayé de faire un travail similaire. Pour cela, nous avions mis sur place une commission composée des commerçants, des autorités… Durant tout le temps que j’ai fait au ministère de l’Urbanisme, en 2013, puis à mon passage à la Primature, cette commission faisait son travail. Et chaque jour, il y avait un nouveau problème de nature à empêcher que l’opération soit exécutée. A vrai dire, on a eu le sentiment que cette commission ferait 10 ans sans trouver les voies et moyens d’effectuer le déguerpissement. Car ceux qui sont installés sur les trottoirs ne voulaient pas réellement partir. Peut-être que c’est pour éviter de tomber dans ce dialogue de sourds que le gouverneur du District, Ami Kane, a mené ainsi l’opération. »…
Les propos de Mara ont été rapportés par le journal « Aujourd’hui »