Quand la tension sociale quitte l’intelligentsia pour atteindre, au bas de l’échelle, le bas peuple, il y a péril en la demeure. Les événements de masse qui se succèdent à Bamako sont les photos encore floues d’un tel scénario dont le régime se passerait à quelques jours du 3è anniversaire du mandat d’IBK. Les manifestations populaires politiques, sociales et syndicales, qui avaient connu un regain d’intensité aux mois d’avril et de mai derniers, sont montées d’un cran avec l’opération Ami Kane déclenchée en juillet, et ont atteint quasiment un point de non-retour avec l’arrestation de l’animateur critique, Youssouf Mohamed Ali Bathily dit Ras Bath. De simples marches pacifiques de dénonciation sur les grandes artères de la capitale, on est passé à un blessé par balle (le samedi 30 juillet), puis à des pertes en vies humaines hier mercredi 17 août. Que reste-t-il maintenant ? A décompter d’autres victimes ? Toujours est-il que cette situation de mouvements d’humeur dénote du profond malaise qui frappe les populations maliennes et du manque de solution d’un régime aux abois. Attention : si l’on ne prend garde, on fonce droit vers la catastrophe.
Avec les événements d’hier consécutifs à l’arrestation de Ras Bath et qui se sont soldés par des morts d’homme, il nous est directement re (venu) à l’esprit cette pertinente analyse d’Henri Levent publiée par notre confrère Le Pays et reprise par les sites d’information le 26 mai 2016 sous le titre: Mali : les vraies menaces contre la République. Extrait :
« Les politiques à courte vue font courir de nombreux risques aux Etats qui s’engagent sur ce chemin. Il est important de distinguer les vraies menaces des fausses que parfois les hommes au pouvoir font courir pour se maintenir davantage. Au-delà des faux coups d’Etat, des complots imaginaires, le pire à craindre reste la pauvreté, l’injustice et la mal gouvernance. Le plus redoutable des coups d’Etat ne viendra pas de l’armée, il viendra de la rue. Rien ne fait autant peur à nos chefs d’Etat qu’un coup d’Etat, fût-il faux. Ils tremblent à grosses goûtes. Pourtant, la vraie menace qui pèse contre le régime actuel, n’est autre que l’extrême misère dans laquelle vivent les populations. La pauvreté, sera plus redoutable que n’importe quel coup d’Etat dans ce nouveau millénaire, qui consacre en Afrique le règne de la mal gouvernance et de la boulimie du pouvoir. Des « Présidents pour l’honneur » au « Président capitaine », le déficit budgétaire caractérise notre économie. Avec pour principal corollaire, une balance commerciale déficitaire d’année en année, malgré un taux de croissance que l’on prétend en hausse, ainsi que les félicitations du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Comme à l’accoutumée, notre pays va tendre la main pour combler le trou. Surtout que notre Etat mendiant, à travers son président, son Excellence Ibrahim Boubacar Keita, entretient de bons rapports avec la mère colonie. Mais la France et Hollande ont aussi leurs problèmes. La France présente d’ailleurs des signes d’essoufflement au sein de l’Union européenne. Alors, que se passera-t-il si un jour l’Etat éprouvait des difficultés à payer ses fonctionnaires ? Sans doute que les nouveaux riches et la Chine mettront la main à la poche pour soutenir le président IBK. Cependant, la menace que fait peser la situation économique de notre pays est réelle quand on sait que les amitiés et le soutien inconditionnel d’un salarié malien s’évaporent avec la rapidité de la mousse du thé. Son amour à l’endroit des régimes politiques peut s’en aller comme la fumée des feux des brochettes, si jamais il ne peut plus en déguster. Un grand homme de culture disait : “Les flatteries gonflent l’idiot mais font maigrir l’intelligent.”
Le gouvernement risque la chute parce qu’il ne sait pas que notre pays, le Mali, est pauvre. IBK sait-il aujourd’hui que son peuple est pauvre ? Jusqu’où appréhende-t-il les limites de sa misère ? Lui-même n’était pas riche lorsqu’il accédait au pouvoir il y a 32 mois de cela. Le luxe insultant des palais, le goût des champagnes, les avantages du pouvoir ont-ils laminé la mémoire de notre président à telle enseigne qu’il ait oublié l’agonie de son peuple, déraciné par la “redoutable arme de la faim” et la pauvreté ? Pour les plus durs, qui survivent à cette pauvreté imposée par un Etat qui va à vau-l’eau, ils finissent par mourir de paludisme ou de Sida, abandonnés par un pouvoir qui ne peut pas soigner sa population.
Tout régime qui maintient son peuple dans la pauvreté, crée les conditions de sa propre chute. Un château construit par de l’argent mal acquis, un milliard fêté, dans un pays comme le Mali où la majorité rumine la galère au quotidien, sont autant de signes qui poussent à la révolte.
Dans le contexte socio-économique de notre pays, toutes les conditions sont réunies pour que le peuple crie un jour “Haro sur le baudet !” et réclame le changement. Seulement, quand l’heure aura sonné, plus personne ne pourra arrêter le compte à rebours. L’honneur des Maliens emportera le bonheur des hommes au pouvoir. Une nouvelle génération de femmes et d’hommes prendra en main la destinée du peuple… ».
Si nous rappelons ce pamphlet, c’est pour dire que toute la situation qui prévaut actuellement est due à la pauvreté sur laquelle le régime « ferme les yeux ». Les populations maliennes vivent dans un dénuement jamais égalé sous nos cieux, même aux heures chaudes de la misère de 1972-1973 et 1984.
Non seulement le pouvoir actuel ne fait rien pour améliorer les conditions de vie des populations, mais aussi il prend des mesures impopulaires dans des contextes très critiques. Par ces actes, pour paraphraser Henri Levent, il « crée les conditions de sa propre chute ».
Déjà balloté par un front sociopolitique, scolaire et syndicale en ébullition (nous y reviendrons plus bas), le gouvernement ramène subitement sur le tapis l’opération de déguerpissement des occupants des voies publiques pour, dit-on, embellir la ville de Bamako. Le Mali n’a-t-il pas aujourd’hui d’autres priorités que de soigner l’image de Bamako suffisamment embellie par les présidents Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré qui en ont fait une véritable métropole à l’image d’Abidjan, de Dakar, de Lagos? Ne peut-on pas embellir Bamako sans priver définitivement de pain ces pauvres petits commerçants et vendeurs du secteur informel ? Mais surtout, le moment est-il approprié?
A toutes ces questions, la réponse d’IBK semble être : OUI ! Oui, au grand dam du peuple.
Pour exécuter l’œuvre, le maître d’ouvrage a nommé la gouverneure Ami Kane qui se met aussitôt à la tâche.
En effet, l’opération d’envergure de déguerpissement des artères de Bamako a débuté très tôt, le jeudi 21 juillet 2016, dans le centre névralgique de Bamako, en Commune II et III. Par les alentours du cimetière de Niaréla. Là, tous les kiosques sont balayés. La zone fut totalement rasée par des Caterpillar et des camions bennes qui ramassent les carcasses et les débris. Ensuite, l’opération gagne le « Rail-da » où tous les étals sont démolis. Puis ce fut le tour de la devanture et des alentours de l’Assemblée nationale. Et des artères de l’avenue Modibo Kéita jusqu’au Pont des Martyrs, en prenant le soin d’épargner les barricades de l’Ambassade de France.
Les jours suivants, il en fut ainsi dans les autres commues de Bamako où les Ateliers de menuiserie, les garages, les mécaniciens, les restaurants et gargotes en plein air, les vendeurs de carburant en détail, tous les commerces et activités économiques informelles furent dégagés.
Scènes d’émeutes…
Mais, le samedi 30 juillet, l’opération Ami Kane vire au drame avec des affrontements qui ont fait un blessé grave par balle. Ce jour-là, des commerçants, des détaillants soutenus par de nombreux jeunes du centre-ville ont laissé éclater leur colère au sujet du déguerpissement.
Jets de pierres, barricades, pneus enflammés, destruction d’édifices publics…sont autant d’actes de violence menés par les manifestants aux alentours de la Cathédrale de Bamako.
Depuis, le sujet fait débat dans les causeries de grins, les médias, les rencontres entre acteurs. Les déguerpis ruminent leur colère, en attendant des actions de riposte à entreprendre.
C’est sur ces entrefaites qu’intervient l’interpellation de Youssouf Bathily dit Ras Bath dans la nuit du lundi 15 août. L’animateur critique de Maliba FM, Renouveau FM et TM2 est conduits dans les locaux du Camp 1 de la gendarmerie nationale. L’empêcheur de tourner en rond est accusé d’atteinte aux mœurs et injures publiques à caractère sexuel. Son audition était prévue hier au tribunal de la Commune IV. L’information ayant fait le tour du monde avec les réseaux sociaux, ses fans (et les mécontents du régime ?) sonnent la mobilisation et se rassemblent près du tribunal. Mais, le très populaire Ras Bath n’est jamais venu. Malgré tout, des scènes d’émeutes éclatent aux alentours du tribunal. Les affrontements entre manifestants et policiers s’étendent à l’intérieur des quartiers de Hamdallaye et Lafiabougou puis à l’ACI 2000. Les événements font des morts et plusieurs blessés. Cela en valait-il la peine ?
Le régime mesure-t-il la gravité de telles situations assorties de mort d’homme ?
Pourtant, le mécontentement ne date pas de l’opération Ami Kane ou de l’arrestation de Ras Bath. Le feu couvait depuis plusieurs mois, avec une série de dénonciations, de protestations et de marches.
Pour rappel, des associations comme le Biprem, le Réveil citoyen, Ras-le-bol, An Torola etc. ont été mis sur les fonts baptismaux et dénoncé la mauvaise gouvernance, la corruption et autres pratiques scandaleuses qui ont atteint des proportions inquiétantes sous le régime IBK.
Ces méthodes évoluent plus tard en marches pacifiques pour scander des slogans hostiles au régime ; pour dénoncer les dérives en cascade du même régime ; pour réclamer plus de droits et plus d’attention à leurs conditions de la part des autorités ; pour réclamer à manger et à boire ; bref pour simplement demander à vivre en dignes citoyens.
Les associations syndicales et partis politiques se mêlent au combat des marches, en dénonçant les mêmes dérives.
La marche historique de l’opposition du 21 mai 2016 reste encore dans les esprits.
L’appel du chef de file de l’opposition Soumaïla Cissé est sans commentaire : « Notre Mali est en terribles souffrances sociales, en persistantes déviances affairistes, en misères économiques grandissantes et en méfiances inquiétantes de la communauté internationale et des investisseurs. Plus de 30 mois d’immobilisme, voire de recul ont anéanti l’espoir, le bonheur et l’honneur tant promis.
Or, notre peuple n’aspire qu’à la paix, à la quiétude dans la solidarité et le partage. C’est pourquoi nous avons invité les Maliennes et les Maliens de tous bords, ce matin à « la Marche pour le Mali », pour faire entendre le cri de désespoir de notre peuple, le cri du peuple est notre cri à tous et c’est ensemble que nous devons désormais nous engager au chevet de notre pays pour le bien-être des populations, au-delà de tous les clivages politiques, dénoncer non seulement les dérives du régime mais aussi et surtout…Dire Non à la mauvaise gestion du Nord, Non à la mauvaise gouvernance, Non à la corruption généralisée, Non à la dilapidation de nos maigres ressources, Non à l’arrogance et au mépris, Non à l’absence de dialogue social justifiant ainsi le malaise social grandissant. Exiger que la priorité soit donnée à une paix durable en toute transparence des moyens et des accords ! !Exiger avec force la création massive et pertinente d’emplois pour les jeunes. Soulager la souffrance du peuple par des subventions des denrées de première nécessité. Refuser catégoriquement la partition du pays dont les conséquences diviseraient notre peuple. Nous exigeons des assises nationales pour la refondation de l’État ; le retour du Président ATT pour une vraie réconciliation nationale ; la fin de la dilapidation des ressources publiques ; l’emploi pour les jeunes ; une meilleure dotation des FAMA pour la défense de l’intégrité du territoire et la sécurisation des personnes et de leurs biens ; une gestion transparente des ressources allouées aux FAMA ; un allègement de la souffrance quotidienne des ménages ; la fin de la gestion patrimoniale de l’État ; une meilleure présence de l’État et de ses démembrements (Éducation, Santé, Administration…) sur toute l’étendue du territoire national ; le retour au dialogue pour contenir un malaise social grandissant ».
Sékou Tamboura