Si la corruption avait un visage au Mali, ce visage serait certainement incarné par un agent de l’appareil judiciaire. Comme un serpent de mer, elle se retrouve régulièrement dans la presse nationale. A chacune de sa réapparition, elle dévoile généralement les agissements d’un magistrat véreux.
Si le scandale révélé est trop grotesque, l’autorité politique à travers son ministre de tutelle, réagit pour prouver qu’elle n’est pas au même diapason que le juge, même si parfois, celui-ci n’a fait qu’obéir à une injonction provenant de sa hiérarchie, généralement sous forme d’ukase.
Le juge est alors voué aux gémonies. Quant au ministre, il y a de fortes probabilités qu’il perde son portefeuille au prochain remaniement ou réaménagement du gouvernement.
Etant donné le nombre élevé de scandales, il n’est donc pas étonnant que le ministère de la justice soit l’un des départements les plus instables ces dernières années.
En effet, de 2002 à nos jours, en occultant la période de transition 2012-2013, l’examen des statistiques de la valse des ministres au niveau de ce département montre qu’il y a eu 8 ministres sur les 14 ans de gouvernance constitutionnelle (2002 – 2012) et (2013 – 2016) soit moins de deux ans de fonction pour un ministre.
Si le Président Amadou Toumani Touré a usé de 4 ministres en dix ans, Ibrahim Boubacar Keïta avec l’arrivée de Me Mamadou Ismaël Konaté est à son 4ème ministre en 3 ans de gouverne ! Pour un ministère de souveraineté, avouons que cette instabilité n’est pas faite pour consolider les institutions de la république.
En dehors de cette instabilité au niveau de ce département, ce qui est remarquable, ce sont les rapports qui se créent entre le juge, le ministre et leur attitude par rapport à la corruption. On a beau clamer l’indépendance de la justice, mais dans la pratique, un magistrat doit sa survie à un poste de responsabilité que s’il y a une complicité entre lui et son ministre.
Fort de cette connivence, il n’hésite pas à commettre des actes délictueux non seulement au compte du ministre mais aussi à son propre compte, contre promotion administrative et bakchichs de toute nature, sachant qu’il y a de l’impunité au bout.
Par contre, le juge qui se refuse à ce jeu est souvent marginalisé et même bloqué dans sa carrière. Et, s’il n’est pas psychologiquement solide, il peut tomber dans la déprime. Il arrive que le titulaire du département, soit lui-même un homme ou une femme de principe ou un homme ou une femme instruit(e) des problèmes judiciaires et de tout ce qui se trame dans les tribunaux, alors il ou elle a souvent maille à partir avec les magistrats.
Dans un tel cas, le ministre ne demeure pas longtemps à son poste. Il est poussé à la sortie soit par ceux qui l’ont nommé soit par les syndicats des magistrats. Cette situation est fréquente surtout si le ministre est issu d’un cabinet d’avocats. Les expériences des maîtres Abdoulaye Garba Tapo, Fanta Sylla et de Mohamed Ali Bathily sont édifiantes à ce sujet.
Il faut reconnaître que les avocats ministres ne sont pas tendres avec leurs collaborateurs magistrats. On se rappelle encore des sorties tonitruantes de Me Abdoulaye Garba Tapo et la célèbre phrase de Me Fanta Sylla entrée dans la légende : « Les magistrats maliens sont indépendants de tout, sauf de l’argent sale » sans oublier les démêlées de maître Bathily avec les magistrats.
Même le nouvel arrivant, Maître Mamadou Ismaël Konaté, en soufflant le chaud et le froid a tenu des propos qui fâchent : « Il n’est plus question de trouver dans la justice un juge pourri qui tend la main, qui rend la justice en contrepartie de ce qu’on lui paye. Des sanctions vont tomber. S’il faut le radier, on le radiera». Par la suite, il a reconnu que les magistrats travaillent dans des conditions pas du tout idéales.
A la question pourquoi un tel désamour entre un avocat ministre et les magistrats, un avocat pince-sans-rire nous a dit : magistrats et nous, nous nous connaissons si bien que chacun de nous sait où mordre l’autre pour que cela lui fasse mal. Ne dit-on pas qu’une « tortue sait où mordre sa consœur ? »
…sans rancune
Wamseru A. Asama