Dans cet entretien exclusif qu’il a accordé à votre serviteur, le doyen Younouss Hamèye Dicko précise qu’en matière de sécurité, nous avons sur le terrain énormément de forces qui peuvent maintenir la sécurité pour la tenue des élections. Fustigeant les affrontements entre groupés armés à Kidal, il estime que ceux qui se font la guerre s les sous le prétexte de l’installation des autorités intérimaires ne pensent pas au redressement de la paix. Sur la faisabilité des élections du 20 novembre, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique se prononce. Faites bonne lecture de son commentaire.
« C’est le gouvernement qui a fixé la date des élections communales pour le 20 novembre 2016. C’est aussi le gouvernement qui est en train de mettre en œuvre les autorités intérimaires. Et enfin, c’est le gouvernement qui assure la sécurité du pays. Le gouvernement sait ce qu’il fait. S’il a pris une telle décision, c’est qu’il a mesuré en amont les conséquences. En ce qui concerne les autorités intérimaires, au RDS, nous approuvons totalement leur mise en place pour des raisons très simples. La première est que les autorités intérimaires sont inscrites dans l’accord d’Alger. Pour nous, lorsqu’on signe un accord, il faut l’appliquer loyalement, sincèrement et avec beaucoup d’intelligence de manière que, personne ne puisse venir dire que nous sommes de mauvaise foi ou même que nous sommes incapables. La deuxième chose, est qu’il faut reconnaître qu’il y avait des endroits dans le pays où l’Etat n’existait plus, où l’Etat était effacé de la carte et de la vie des populations. Ceci signifie qu’on ne pas venir faire directement des élections dans une situation pareille. La nécessité d’avoir une autorité qui seconde l’Etat pour pouvoir organiser des élections me parait nécessaire. Il me parait juste et objectif que de telle autorité puisse exister. Les gens oublient vite. La rébellion tout comme les djihadistes ont effacé la notion de l’Etat. Nous connaissons des gens qui ont crié partout pour dire qu’ils ne reconnaissent pas l’autorité du Mali ; nous nous moquons de la France, nous nous moquons des Etats-Unis, maintenant, c’est la charia. Tout cela a été dit sur le terrain malien. On parle aussi du fait que des autorités, c’est-à-dire les maires qui ont collaboré avec l’ennemi, les djihadistes et les rebelles, qui ont géré en leur nom certaines partie de la république du Mali, ne peuvent aujourd’hui se faire prévaloir de gérer les populations au nom du Mali et d’aller aux élections. Les Maliens sont très gentils, mais il y a des traites qui ont trahi ce pays. Ces gens ont composé avec l’ennemi. Ils ont géré au nom de l’ennemi. Aujourd’hui, il y a l’accord, ils veulent continuer à gérer le pays et à préparer les élections. Ce n’est pas normal. Les Maliens sont faibles dans des conditions pareilles. Il faut mettre au propre les textes. Parce que demain, des djihadistes peuvent revenir. Ce serait les mêmes autorités qui vont collaborer avec les ennemis du Mali qui viendront se présenter à l’Etat malien comme s’ils revenaient de la Mecque. Cela n’est pas acceptable. Tout indique qu’il faut un minimum de nettoyage et de redressement d’une administration légère qui permettra à l’Etat organiser les élections.
Attention, la mise en œuvre de telles autorités n’est pas une mince affaire. Nous sommes pour les autorités intérimaires, mais de manière intelligente. Personne n’est fou pour dire que nous allons mettre des autorités intérimaires à Koutiala ou à Kéniéba. Ce n’est pas l’esprit des autorités intérimaires. Personne ne peut dire qu’il faut systématiquement des autorités intérimaires dans toutes les anciennes mairies du nord. Kidal peut être, parce que l’Etat malien ne contrôle plus actuellement cette zone. A Kidal, le problème est assez spécial. Ce qui est vrai, c’est que pendant toute l’occupation des prédateurs dans le nord, Gao est restée une zone qui était plus ou moins administrée par son maire. Qu’il soit à Bamako ou ailleurs, il a toujours administré la ville. Il s’est toujours battu pour sa localité au même titre que le maire de Goundam, Mme Oumou Sall. Il me parait juste qu’on ne les jette pas la pierre pour dire oui, vous allez quitter, nous allons mettre une nouvelle autorité à votre place. Pour moi, la mise en œuvre des autorités intérimaires doit relever d’une certaine intelligence et stratégie en collaboration avec la population. Il y a des gens que les populations continuent d’apprécier. Des gens ne peuvent pas venir dire aujourd’hui aux anciens de disparaitre, parce qu’ils ont a pris le fusil avant-hier. Il est difficile d’aller s’assoir aujourd’hui à Gao pour dire que je suis autorité intérimaire et que les gens n’ont pas leur mot à dire.
S’agissant de la question de l’insécurité qui préoccupe et qui coupe le sommeil à beaucoup de nos compatriotes, je crois que l’Etat doit changer de stratégie. Je n’ai jamais compris comment des militaires peuvent exister dans un milieu quelconque sans qu’on ne les fasse travailler pour leur propre sécurité. C’est la première chose qu’on apprend à un militaire. Quand vous camper quelque part, il faut mettre un éclaireur autour de cet endroit. Il faut creuser les trous et tranchées pour se sécuriser au minimum. Aujourd’hui, au Mali, nos armées sont enfermées entre les quatre murs. Elles ne bougent pas. Et on vient les tuer derrières leur mur. Cela ne peut pas continuer. Cette situation est inacceptable. Ce n’est pas normal qu’on vienne chaque fois nous massacrer et faire ensuite des communiqués. Il faut se battre. Je crois que tant qu’on n’a pas cet esprit-là, l’insécurité continuera. Je suis de ceux qui ont combattu pour que la MINUSMA ne vienne pas dans ce pays. Tout le Mali le sait. Je menais ce combat non pas , par ce que j’ai quoique ce soit contre la communauté internationale, non pas que je suis contre la venue de la France ici, mais je voulais que ça se passe dans des conditions claires, nettes. Au début la communauté était juste venue contre les militaires qui avaient pris le pouvoir et contre les civils qui ont pris acte du coup d’Etat. Ces forces n’étaient pas venues pour combattre. Mais quand on voit ce qui se passe à travers le monde dans d’autres pays, ces forces ne sont pas là-bas pour combattre. Elles sont là-bas pour s’interposer. A l’époque, je leur dit qu’elles allaient s’interposer entre qui et qui ? Ce qui se passe au Mali n’est pas que chacun veut une tartine, mais il y a des gens qui veulent seulement partager le pays. On ne peut pas s’interposer entre des gens qui veulent se partager le pays. Comment faire avec ceux qui tiennent au Mali face à ceux qui ne tiennent pas au Mali. Dans ce cas vous serez obligé de combattre. Ils sont tous là et ils m’entendent. J’ai rencontré toutes les délégations qui sont venues au Mali en 2012 jusqu’en 2013. Elles m’ont invité à les rejoindre pour des raisons de sécurité dans tel ou tel hôtel. C’est ce même langage que nous les avions tenus. On ne peut faire de l’interposition au Mali, par ce que ce n’est pas comme dans les autres pays. Il arrive souvent qu’on nous empêche de sortir même de nos trous. Il faut une stratégie de mouvement comme l’a adopté le général De Gaule à la 2ème guerre mondiale. Ce sont des leçons que nous devons comprendre. Nous ne pouvons pas être encerclés dans notre propre pays. Tôt ou tard, il va falloir que l’on sorte. C’est la seule façon de ramener la paix et la sécurité dans ce pays. On ne pas se faire gérer par des milices. On ne peut pas se faire gérer par des armées étrangères qui ne sont pas sous notre commandement. Ce n’est pas parce qu’on veut être ultra-nationaliste. Elles n’agissent pas quand on leur demanderait d’agir. Il faut que nous ayons les moyens pour agir par nous-mêmes de gré ou de force. On nous empêche d’aller à Kidal. On ne peut pas continuer comme ça. Au moment où on veut mettre des autorités intérimaires, on initie des guerres pour que chacun vienne s’occuper de l’autorité intérimaire en oubliant que l’Etat est la-dans. Ceux qui se font la guerre pour les autorités intérimaires ne pensent pas aux élections. Ceux qui se font la guerre pour les autorités intérimaires ne pensent pas au redressement de la paix. Ils veulent la paix par la victoire militaire. Or nous avons signé les accords pour éviter qu’on continue à tuer les maliens. Dans ce contexte, il me parait normal qu’on aille aux élections. Si on continue comme ça avec des milices qui continuent à chercher la paix par la victoire militaire, c’est le pays qui est pris en otage. C’est deux choses ou l’une. Ou, on met tranquillement les autorités telles que nous l’avions crus, telles que nous le souhaitons, ou on va aux élections. Le fait que le gouvernement ait choisi d’aller aux élections me parait légitime. Cela parait relever du bon sens si on ne veut pas être définitivement pris en otage. En matière de sécurité, nous avons sur le terrain énormément de forces qui peuvent maintenir la sécurité pour les élections. Les forces qui sont là, si elles le veulent, elles peuvent le faire. Ce sont elles qui ont maintenu la sécurité pour les élections présidentielles et législatives 2013. Elles peuvent aussi le faire si elles le désirent pour les élections municipales à venir. Il n’y a rien qui s’oppose et qui empêche la tenue de ces élections. Aujourd’hui, on n’est pas à Kidal parce que ces forces ne l’ont pas voulu. Ce tiraillement, ce zigzag, ces va et vient correspondent à un adage qui dit que : égorger une bête avec un vieux couteau non tranchant, c’est la faire souffrir davantage. Je pense qu’il n’ ya pas de contradiction principale entre les autorités intérimaires et les élections le 20 novembre 2016. Le choix des dates n’est pas fondamental. C’est le principe de réaliser les élections qui est essentiel. Je crois que le gouvernement est sur la bonne voie ».
Entretien réalisé par Jean Goïta