Le procès d'Ahmed Al Faqi Al Mahdi qui s'est ouvert lundi devant la Cour pénale internationale de La Haye pour crimes de guerre, est suivi de près par les Maliens. A Bamako, de nombreux Maliens sont particulièrement prolixes sur le chef d’accusation qui aurait pu inclure en plus du pillage et de la destruction des Mausolées, les crimes de sang commis à la même période par les groupes djihadistes (AQMI et Ansar Dine) qui occupaient le nord du Mali. Le banc des accusés reste également sujet de commentaire, occupé par le seul Ahmed Al Faqi Al Mahdi. Ce qui suppose que de nombreux autres criminels de guerre restent dans la nature, et peut-être ne seront-ils jamais inquiétés au nom d’un processus de paix qui apparait jusque là tel un miroir aux alouettes.
L’islamiste Ahmed Al Faqi Al Mahdi comparait devant la CPI pour répondre de la destruction de mausolées à Tombouctou, au nord du Mali, des monuments classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Il est accusé d’avoir « dirigé intentionnellement des attaques » contre neuf des mausolées de Tombouctou et contre la porte de la mosquée Sidi Yahia, classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, entre le 30 juin et le 11 juillet 2012.
C’est un premier pas en plusieurs égards : c’est la première fois qu’un djihadiste malien comparait devant la CPI pour destruction de patrimoine culturel, ou pour autre chef d’inculpation. L’accusé en plaidant coupable reconnait les faits qui lui sont reprochés, et a en plus présenté ses excuses. Mais cette avancée parait bien en deçà des attentes chez les Maliens qui expriment généralement leur arrière goût d’insatisfaction, pour cause.
Le 18 juillet 2012, une délégation du Gouvernement du Mali conduite par le Ministre de la Justice de l’époque Malick Coulibaly, a été reçue par Mme la Procureure de la CPI, Fatou Bensoudan, aux fins de déférer à son bureau « la situation au Mali depuis le mois de janvier 2012 » et demander qu’une enquête soit menée en vue de déterminer si une ou plusieurs personnes doivent être accusées des crimes commis. Le Gouvernement du Mali à cette occasion, affirme que les juridictions maliennes sont dans l’impossibilité de poursuivre ou juger les auteurs. La délégation malienne a également produit des pièces à l’appui de sa demande.
L’Etat ne contrôlait plus que 1/3 de son territoire, occupé par des groupes armés terroristes qui ont commis des crimes de sang des plus odieux : assassinats massifs à Aguel Hoc, viols, amputations et lapidation dans d’autres localités du nord du Mali. De nombreuses femmes et des petites filles, des mineurs ont été violées et enceintées par des occupants armés. Par la saisine de la CPI on s’attendait à ce qu’elle aille au-delà du seul cas d’Ahmed Al Faqi, pour éradiquer cette impunité. Les terroristes sont comptables de nombreux autres crimes de guerre à côté du pillage et de la destruction des mausolées de Tombouctou, patrimoine mondial.
Réactions des leaders religieux
Pour les leaders religieux maliens, il faut travailler à asseoir un Islam modéré tel qu’on l’a toujours connu au Mali. Il s’agit d’un Islam qui est consenti et non imposé, basé sur la conviction et le pardon et non la violence, comme on le voit avec les djihadistes qui amputent et flagellent pour obtenir l’application de la charia.
Pour un leader religieux malien, Moussa Boubacar Bah, président du Mouvement Sabati 2012, interrogé par Le Républicain, « On ne doit plus cautionner aucune impunité ». Pour lui, « tous les autres criminels doivent être jugés. J’invite également Al Mahdi Faqi à coopérer avec la cour pénale internationale (CPI) pour démasquer les autres criminels afin qu’ils soient jugés, car il y a eu d’autres crimes qui ont été commis, tels qu’à Aguel Hoc ».
Pour cet autre leader religieux malien, El hadji Cheick Soufi Bilal Diallo, guide spirituel des soufis du Mali, « le fait qu’il ait plaidé coupable et demandé pardon ne le disculpe pas. C’est pourquoi d’ailleurs nous demandons à ce que Ahmad Al Faqi Al Mahdi soit jugé conformément à la gravité des violations faites et aux lois applicables en la matière ».
Des organisations de défense des droits de l’homme appellent la procureure à élargir son champ d’action : « nous devons nous assurer que justice soit rendue pour les autres crimes commis au Mali depuis 2012, notamment les meurtres, viols, torture de civils », selon un communiqué d’Amnesty International.
A l’ouverture du procès qui va durer une semaine, la procureure a insisté sur l'importance de ce procès et celle des mausolées en tant que patrimoine dont la destruction est utilisée comme une arme de guerre (destructions perpétrées par le groupe Etat islamique en Syrie et en Irak). Fatou Bensouda a indiqué que le patrimoine façonne l'identité et la cohésion des peuples. Fondée au Ve siècle par des tribus touareg, la ville de Tombouctou (nord-ouest du Mali) est devenue un grand centre intellectuel de l’islam et a connu son apogée au XVe siècle. En tant que chef de la Hisbah, la brigade islamique des mœurs, Ahmad Al Faqi Al Mahdi aurait ordonné et participé aux attaques contre les mausolées. « Ces bâtiments étaient les plus connus de Tombouctou et faisaient partie de son héritage historique, ils faisaient partie de l’histoire du Mali et de celle du monde », a affirmé la procureure Fatou Bensouda. « Ce qu’il s’est passé à Tombouctou est une page noire dans l’histoire de la ville », a-t-elle ajouté.
B. Daou