En réalité, la tension qui couve aujourd’hui à Kidal, n’est qu’un problème entre seulement deux communautés : les Ifoghas et les Imghads. C’est un problème qui existe avant l’accession de notre pays à la souveraineté nationale et internationale. C’est le colonisateur français qui serait à la base de cette mésentente entre les deux communautés. Pour mieux dominer, il n’a pas hésité à prendre le pouvoir aux Imghads, tribu majoritaire, pour le remettre aux Ifoghas. Cette politique de « diviser pour mieux régner » a existé jusqu’à l’indépendance. Malheureusement, les régimes successifs du Mali ont marché dans les pas du colonisateur, en soutenant les Ifoghas contre les Imghads. Qui ont subi cette domination imposée jusqu’à la rébellion des années 90, où deux mouvement armés ont été créés. L’un, le Mouvement populaire de l’Azawad (MPA) composé majoritairement des Ifoghas et l’autre, l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad (ARLA), favorable aux Imghads. C’est le tout début du conflit après l’indépendance du Mali entre les deux communautés. Qui veulent, chacune, affirmer sa puissance et son hégémonie dans la ville de Kidal et dans la région du même nom. Les Ifoghas, détenant le pouvoir et bénéficiant du soutien des autorités maliennes, ont fait régner la terreur à Kidal contre des familles Imghads. Des exécutions sommaires, des enlèvements et des séquestrations, des viols de femmes et du vol de biens, sont, entre autres, les sévices subis par les Imghads. Qui ont décidé de s’exiler à l’intérieur du pays et dans les pays limitrophes. Pendant cette période, ils se sont préparés pour revenir conquérir leur terre et leurs biens.
Alors profitant de l’ouverture démocratique, des jeunes Imghads ont tenté de reprendre, par les urnes, ce qui leur a été pris par la force, en se présentant aux élections de proximité. Ceux-ci sont devenus aussi ambitieux que les Ifoghas. Qui aperçoivent ces nouvelles ambitions des Imghads comme un défi lancé à leur communauté.
Ainsi aux communales de 2009, les Imghads ont réussi une alliance avec d’autres communautés. Cette alliance, comprenant les arabes, les Kountas, les Idnans, les Taghamalates, a permis aux Imghads de prendre, au détriment des Ifoghas et de leurs alliés, la mairie de la commune urbaine de Kidal. Les alliés des Imghads en ont également profité. Parce que la présidence du conseil de cercle de Kidal est revenue aux Taghamalates Kel Eware ; la présidence du conseil régional aux Taghamalates Kel Telabit et la première vice-présidence du conseil régional aux Kountas. Une réussite que les Ifoghas n’ont jamais pu digérer. C’est pourquoi, ils ont instauré un climat de terreur à Kidal. Des meurtres ont même été commis. Et c’est dans ce sillage que le Commandant de la Garde nationale du Mali, Barka Ag Icheick, a été sauvagement assassiné à l’entrée même de la ville de Kidal avec un de ses frères, Mohamed Ag Mossa.
Pour contrer les Imghads, les Ifoghas ne reculent devant rien. Ainsi, pour affaiblir ceux-ci, ils n’ont pas hésité à nouer des alliances avec des alliés peu recommandables, notamment AQMI et certains groupes terroristes de la bande du sahel. Pour avoir perdu le pouvoir politique à Kidal, ils se sont finalement décidés à faire couler la République. D’où la mutinerie de 2006 contre le pouvoir central. Qui a finalement compris que les Ifoghas sont des ennemis de la paix. Ainsi, le chef de l’Etat, à l’époque, a décidé de confier l’opération « Djiguitougou » à un Imghad, en la personne du Colonel Gamou, pour contrer la révolte séparatiste des Ifoghas. La mission a été un succès. La discipline a été restaurée, sans un bain de sang.
Aussi, contrairement aux leaders des autres communautés, El Hadj Gamou a également réussi, à contenir les jeunes combattants Imghads revenus de la Libye, jusqu’à leur intégration dans l’armée malienne.
En outre, après l’occupation des régions du nord en 2012, Ançardine, le mouvement d’Iyad Ag Ghaly, proche des Ifoghas, aurait publiquement affirmé que les populations restées fidèles au Mali, sont des mécréants. Que ces personnes n’ont ni maisons, ni femmes, ni enfants. Les Imghads sont expressément visés. Ainsi, toutes les maisons appartenant à des Imghads ont été pillées, et données à des affidés d’Ançardine ou du HCUA. C’est pendant cette période qu’Ançardine a créé la Commission régionale de l’administration et de la gestion des affaires de Kidal. Elle ne comprend aucun Imghad. Et c’est cette commission qui gère jusqu’à ce jour la ville de Kidal, avec les mêmes responsables. Donc, les Imghads, malgré qu’ils soient majoritaires à Kidal, n’ont pas voix au chapitre. Quand leurs droits sont bafoués, il n’y a personne dans cette commission pour l’évoquer ou le défendre. Leurs maisons et leurs boutiques sont toujours occupées par des anciens membres d’Ançardine, présentement au HCUA.
Pour mettre fin à ces injustices, les Imghads ont demandé, après la signature de l’accord de Ouaga (juin 2013), d’être associés à la gestion des affaires de Kidal, en intégrant la commission régionale. Sa demande restera lettre morte car Ançardine et le HCUA y ont opposé un niet catégorique. C’est pourquoi, les Imghads sont exclus de la gestion de tous les projets de développement en direction de Kidal, des aides humanitaires. Bref de la vie sociale de Kidal. Les nombreuses dénonciations n’ont jamais reçu d’échos ni auprès des autorités maliennes, encore moins auprès des mouvements proches des Ifoghas. Et les frustrations ont continué jusqu’à la défaite de l’armée malienne à Kidal, en mai 2014. Une situation dont voulait profiter la CMA pour détruire les Imghads. Son porte parole, à l’époque, aurait dit dans un communiqué que « toute personne détenteur d’une arme, qui n’est pas affiliée à la CMA, sera désarmée dans les 48heures, de Kidal jusqu’au Gourma (Tombouctou, ndlr) ». Au même moment, des responsables Ifoghas auraient donné carte blanche à leurs combattants de prendre les biens des Imghads. Qui n’adhèrent pas à l’idéologie des Ifoghas dans la région de Kidal.
C’est à partir de cet instant que les Imghads ont compris qu’il fallait créer le GATIA pour se défendre et se protéger des Ifoghas et de toutes les autres menaces. Ils en ont profité pour signer des alliances avec les sédentaires de la Coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance (CMFPR) et le Mouvement Arabe de l’Azawad (MAA) originaire. Dès que cette alliance a été scellée, les Ifoghas ont attaqué les positions de la Plateforme à Tabankort (19 au 22 juillet 2014). Et malgré le cessez-le-feu et les différents accords pour la paix et la réconciliation, la CMA a continué à attaquer les positions de la Plateforme. Tout simplement parce que ce sont les Ifoghas qui mènent la danse dans la Coordination des mouvements de l’Azawad. Même au moment de la signature de l’accord issu du processus d’Alger (mai et juin 2015), les combats violents opposaient la CMA et la Plateforme dans la zone de Kidal. C’est en ce moment que la communauté internationale et le gouvernement du Mali, ont pris conscience qu’il ne peut y avoir de paix, sans un accord entre les communautés du nord. C’est ainsi qu’il y a eu l’initiative des Assises d’Anéfis (octobre 2015). De cette rencontre, est découlé un pacte d’honneur. Qui fait la paix entre les Imghads et les Ifoghas ; entre les Idnans et les arabes sur l’épineuse question d’Inhalil… Et toutes les communautés ont fait la paix en respectant leurs accords, à l’exception des Imghads et des Ifoghas. Parce que ces derniers ont refusé de se plier aux différents accords qu’ils ont librement signés, notamment celui d’Anéfis. Qui définit les règles de collaboration avec les Imghads dans la gestion sociopolitique, économique et sécuritaire de la ville de Kidal.
Les Ifoghas et les Imghad ont signé un document à Edjerer, tout près d’Anéfis, le 9 octobre, dans lequel ils manifestent leur désir de paix entre leurs communautés qui se livrent depuis de nombreuses années une lutte politique de leadership dans la région de Kidal. Les deux tribus se sont engagés à partager de façon équitable le pouvoir et œuvrer à « la gestion concertée et inclusive des affaires politiques ». Les conflits entre les deux clans seront réglés selon « leurs us et coutumes ». Les garants de cet accord sont d’un côté le chef exécutif de la tribu Ifoghas, Alghabass Ag Intalla, et, de l’autre, le général El Hadj Ag Gamou pour la tribu Imghad.
Concernant les récents évènements, lorsque les Imghads ont compris la mauvaise foi des Ifoghas, la tension a monté d’un cran. Un compromis a été trouvé pour éviter l’escalade. Ce qui a permis aux parties de se retrouver à Niamey où une déclaration a été signée (17 juillet 2016), en présence des responsables politico-militaires de la CMA et de la Plateforme.
Paradoxalement, avant même le retour de la délégation de la Plateforme, un détachement de GATIA a fait l’objet de tirs nourris à l’entrée de Kidal par des éléments du HCUA. Il se trouve que les Ifoghas ne sont pas contents de la déclaration de Niamey. Le Gatia n’a pas tardé à riposter. Et les combats ont coûté la vie à une centaine de personnes dont des combattants et des populations civiles. C’est ainsi que la Minusma, a demandé au GATIA de se retirer du côté Sud-est et Ouest de la ville, à 25 km environ et ne pas s’avancer vers Kidal.
Mais de l’autre côté, la force onusienne tolérait les mouvements du HCUA à l’intérieur et à l’extérieur de Kidal. Profitant de cette partialité des forces étrangères, les combattants du HCUA ont, à deux reprises, attaqué les positions du Gatia. Mais ils ont toujours été repoussés avec des pertes énormes en matériels et en combattants. Mais comme, ils sont très forts dans la propagande, ce sont eux, qui auraient en premier lieu mis des photos des morts de la Plateforme sur les réseaux sociaux, à titre de trophée de guerre. Mais ironie du sort, c’est la CMA qui a aussi sollicité la médiation internationale et le gouvernement du Mali pour arrêter les hostilités. Pour se venger de ses multiples déroutes, les combattants du HCUA n’ont trouvé d’autres moyens que de reprendre les exactions sur les populations Imghads. Qui n’arrivent même plus à se réfugier dans les locaux de la Minusma, grâce à une complicité avec les Ifoghas.
Enfin, le GATIA attire l’attention de la communauté internationale sur une simple réalité. « Il n’y a pas de problème entre la CMA et la Plateforme », précise un responsable du mouvement. La preuve, dit-il, c’est que la Plateforme travaille en étroite collaboration avec la CMA à Gao, Tombouctou, Ménaka, Anéfis et dans une partie de la région de Kidal. « Donc le problème est très clair. Il s’appelle CONFLIT COMMUNAUTAIRE ENTRE IMGHADS ET IFOGHAS à l’intérieur de la ville de Kidal… », indique notre interlocuteur. Qui précise que les Imghads se battent uniquement pour leurs droits. Droit d’être chez eux à Kidal ; droit de récupérer leurs maisons ; droit de vivre dans la paix et la sécurité avec leurs familles à l’intérieur de la ville de Kidal…, entre autres.
Fakoro Traoré