Dr Adama Traoré à propos des augmentations tarifaires : « Les populations maliennes ne doivent pas supporter le poids de cette augmentation consécutive à une mauvaise gestion »
Président du Réseau malien des consommateurs du téléphone mobile, Adama Traoré est aussi président de l’Union des associations des consommateurs en dehors de l’ASCOMA et du Redecoma. En tant que président de cette association de regroupement, il parle au nom des consommateurs. Nous l’avons rencontré à propos de la décision du dernier conseil des ministres sur une augmentation tarifaire de l’électricité.
Adama Traoré
Le Pouce : Le conseil des ministres du vendredi dernier a entendu une communication relative à une augmentation graduelle tarifaire de l’électricité et un réajustement de la grille des tarifs d’eau. Comment avez-vous accueilli cette information ?
Dr Adama Traoré : A chaud, je vais répondre sur l’impact que cela va faire sur le citoyen lambda. Nous avons aussi appris sur les ondes qu’un point de presse a été organisé par le Comité de Régulation de l’Electricité et de l’Eau. En tant que responsables d’associations qui défendent l’intérêt des consommateurs, nous nous mettons du coté de la barrière pour faire un jugement a priori. Quel est l’impact que cela va faire sur le budget du consommateur malien ? Nous savons aujourd’hui que le pouvoir d’achat au Mali, est très faible. Avec l’électricité et l’eau qui augmentent, ça va être une charge supplémentaire au niveau de tous les ménages. Les ménages sont en deux dimensions : les travailleurs qui perçoivent un salaire mensuel et aussi la population qui a accès à l’électricité mais qui n’est pas payée par mois (secteur privé informel et autres). Tout le monde va supporter le poids de cette augmentation. C’est notre première remarque en tant que responsable de cette association. Nous n’avons pas encore analysé les conséquences que cette augmentation va faire sur le budget collectif des consommateurs. Si on sent que la population est pénalisée et que les raisons évoquées pour augmenter, ne sont pas suffisantes, on va rencontrer le gouvernement pour donner notre point de vue en tant que responsables d’association.
Le Pouce : Quelles conséquences sur le budget du consommateur ?
Dr Adama Traoré : Il faut le voir sous deux aspects. Il y a d’ abord, la gestion domestique de l’électricité. Elle concerne, d’une manière générale, la population. Je l’ai évoqué tantôt que c’est chacun de nous qui aura à supporter ce poids. Nous n’avons pas tous les mêmes revenus. Le pouvoir d’achat étant très faible, il va de soi que les conséquences soient négatives sur la population. Vous n’êtes pas sans savoir que l’augmentation n’est pas seulement au niveau de la population. Les industries vont subir le poids de cette augmentation. Quoi qu’on puisse dire, le point final va se ramener au niveau du ménage. Les industries vont répercuter ces charges sur le produit fini. Au niveau du ménage, on paiera l’électricité et on affrontera sur le marché les produits chers. Il y a deux conséquences au niveau de la population malienne. Il y a toujours un danger quel que soit le côté qu’on prend.
Le Pouce : Le gouvernement doit-il réajuster les salaires ?
Dr Adama Traoré : Bien entendu, s’il y a la possibilité. Les syndicats sont là pour que les travailleurs aient un salaire décent, viable qui leur permet de vivre correctement. D’une manière générale, il est certain que le salaire doit être relevé pas seulement au niveau de l’administration mais également au niveau du secteur privé. L’ensemble des salaires doit être relevé s’il y a un relèvement au niveau des charges de l’eau et de l’électricité qui restent fondamentale pour la vie d’une nation. L’augmentation et le réajustement tarifaire de l’eau et de l’électricité vont se répercuter à tous les niveaux.
Le Pouce : Faut- il comprendre que la restauration de l’équilibre financier de ces deux structures de distributions, endettées jusqu’au cou, doit se faire sur le dos des consommateurs qui se sont toujours plaints de la qualité des services ?
Dr Adama Traoré : Non, cela ne doit pas se faire. Et, s’il est vrai que ce sont des entités qui relèvent de l’Etat, et que ce dernier fonctionne pour donner une vie décente à la population malienne, une telle augmentation ne doit pas se faire sur le dos du consommateur. Chacun de nous est conscient qu’il y a des difficultés. Mais, quelque part, est- ce que ce n’est pas un problème de gestion ? On doit se poser cette question. Il faut que subitement, on vienne mettre en avant le manque d’argent de l’Etat, pour justifier l’augmentation ! Le Mali n’est pas le seul pays à avoir des difficultés financières. Nous ne sommes pas d’accord que la population soit victime de ce manque à gagner. Les populations maliennes ne doivent pas supporter le poids de cette augmentation consécutive à une mauvaise gestion.
Le Pouce : Vous parlez de mauvaise gestion de ces sociétés. Pouvez- vous édifier davantage nos lecteurs ?
Dr Adama Traoré : Au niveau de l’ensemble des sociétés et entreprises d’Etat du Mali, il n’est un secret pour personne qu’elles connaissent des problèmes de gestion. Spécifiquement, le cas de l’Energie du Mali. Il me permet de rappeler un phénomène qui s’est passé, il y a quelques années. Au moment où SAURR est venue et où l’Etat a voulu faire une gestion collégiale, on a un cadre supérieur de la société EDM-SA, feu Alkali Kéïta qui a démontré que le prix pratiqué à l’époque n’était pas bon. Ce prix, avait-il dit, était illégal. Selon lui, on pouvait donner l’eau et l’électricité moins chère à la population malienne. Pour moi, il y a un problème de gestion même si le carburant a connu une hausse de son prix. Dans les autres pays, des mesures de compensations ont été trouvées. Certains ont anticipé en prenant des mesures en faisant de sorte que le poids ne revienne pas demain sur les populations. Ici, il n’y a pas eu cette anticipation. Cela se répercute sur le problème de la gestion. D’une manière générale, il n’est pas rare d’entendre les gens dire que les fonctionnaires de ces deux structures de distribution de l’eau et de l’électricité sont plus riches que les sociétés qui les emploient. On ne va pas jeter l’anathème sur la gestion d’un cadre particulièrement. Mais nous disons que l’Etat doit veiller à la moralité de la gestion de la société avant de se braquer sur une augmentation alors que le niveau du salaire du travailleur malien est le plus bas. Nous ne sommes pas en train de faire un jugement a priori. Seulement, nous disons, est-ce qu’il n’y a pas un réel problème de gestion ? Qu’on y réfléchisse avant qu’on ne pense fondamentalement à augmenter les tarifs.
Le Pouce : Votre mot de la fin ?
Dr Adama Traoré : Dans les jours à venir, nous allons nous réunir et prendre des décisions concernant cette proposition d’augmentation des prix d’eau et d’électricité. Nous allons voir s’il est opportun, en ce moment, que l’Etat fasse ces augmentations sur le dos de la population malienne. Calmement, nous allons voir le juste milieu afin que les consommateurs ne soient pas les victimes de cette situation. Notre raison d’être est de défendre l’intérêt de chacun des consommateurs du Mali. Il va falloir donner une bonne explication à la population par rapport à cette augmentation. Nous allons aussi rappeler l’Etat pour lui dire qu’il a augmenté et que d’autre part, il doit faire en sorte que cela ne soit pas supporter par le consommateur. Celui-ci doit être dans des conditions meilleures pour pouvoir payer l’acte d’augmentation de l’Etat.