De plus en plus, les points de vente de carburant non conformes aux dispositions réglementaires pullulent à Bamako, exposant les citoyens à des drames inimaginables. Une situation favorisée par le silence et surtout l’indifférence des pouvoirs publics qui disent pourtant vouloir assainir et embellir notre capitale.
Dans quelques semaines voire quelques jours, au mépris de la sécurité des citoyens, va s'ouvrir à Lafiabougou (voire image) une station-service au vu et au su de tous.
Située à Lafiabougou à quelques mètres de l'intersection des voies Monument Cabral/Place CAN-Dji Sourountou (Bougoudanin), cette station cohabite, dans un rayon de moins de 50 mètres, avec un immeuble habité, une boulangerie, un groupe scolaire privé, une école publique et une école catholique, une église et le Centre de santé de référence de la Commune IV en chantier présentement.
Qui peut avoir l'autorisation d'ouvrir une station-service dans un tel endroit dans un pays où les autorités et les élus se soucient réellement de la sécurité des populations ?
«J'ai fait le même constat et discuté avec les voisins. Certains veulent même fermer leurs magasins et quitter la zone avant qu'il ne soit trop tard», indique un jeune confrère de la place. L'installation d'une station-service doit respecter l'environnement, se soucier de la sécurité du public, protéger le petit commerce...
Cela d’autant plus que l'essence, le gas-oil, le pétrole lampant, le gaz butane… sont des produits hautement inflammables. Leur stockage et leur vente nécessitent des dispositions particulières. Au Mali, l’implantation des points de vente de carburant est bien réglementée. Mais à travers la ville, l'on retrouve plusieurs stations dont l’installation interpelle la conscience et le sens de la responsabilité des décideurs.
La réglementation en la matière est détaillée dans l'Arrêté interministériel N°15-60 du 19 mai 1990, fixant les règles d'implantation, d'aménagement et d'exploitation des points de vente de carburant. Cette nouvelle disposition a abrogé un texte réglementant le domaine depuis le 6 avril 1956.
Ainsi, tous les points de vente de produits pétroliers et dérivés d'une capacité comprise entre 500 litres et 5000 litres sont considérés comme postes temporaires de stockage d'hydrocarbures non classifiés. Il existe des postes fixes et des postes mobiles. Les premiers sont des installations de distribution de carburant constituées par une cuve souterraine équipée d'une pompe distributrice à main ou un appareil distributeur monté sur socle et équipé d'un réservoir interne.
Une réglementation désuète
Les seconds comprennent les appareils distributeurs de carburant pour moteurs à deux temps. Ces appareils appelés mélangeurs sont montés sur chariot et équipés d'un réservoir d'une capacité maximale de 50 litres. Les autres formes de vente (dépôts en vrac constitués de fûts d'essence, l'exposition à l'air libre des bidons, des bouteilles, renfermant des hydrocarbures) sont prohibées.
Selon la législation, l’installation d’un point de vente de carburant fixe sur le domaine public ou dans les agglomérations doit faire l’objet d’une «demande d'autorisation d'occuper l'emplacement». La demande est adressée à l'autorité administrative du lieu d'implantation. Dans le cas de Bamako, c’est le gouverneur qui est l’autorité administrative. L'autorisation d'occuper n'est accordée qu'après avis des services techniques compétents et dans les conditions fixées par les textes réglementaires en vigueur.
La réglementation précise que l'implantation des points de vente de carburant n'est pas autorisée sur le domaine public ou dans les agglomérations si l'emplacement projeté se trouve à proximité des avenues, routes et rues interdites à toutes installations du genre.
Les établissements publics tels que les hôpitaux, les écoles, les centres commerciaux, les salles de spectacles ne doivent pas cohabiter avec des dépôts d'essence. L'article 8 de l'arrêté interministériel fixe la distance réglementaire tolérable pour l'installation des points de vente. Ainsi pour les postes fixes, la marge de sécurité est de 25 mètres par rapport à toute maison d'habitation. La même distance est maintenue par rapport à la voie de circulation.
Les postes mobiles sont autorisés à 6 mètres de toute maison d'habitation et à 5 mètres de toute voie de circulation. Une réglementation rendue désuète par le laxisme et la corruption favorisant cette périlleuse cohabitation que nous déplorons ici. Aujourd’hui, Bamako et de nombreux centres urbains regorgent de postes fixes installés en violation flagrante de la législation et en toute irresponsabilité.
«Sur la route de Ségou, une nouvelle station ouvrira contiguë à Coumba gaz contiguë, à la gare Star… Cela fait peur au profane que je suis. Est-ce normal qu'une station service, une usine de gaz et un arrêt de citernes soient côte-à-côte face à une autre station service ?», s’interroge notre confrère et Doyen Almamy Diané.
«Le cas de Kalaban-Coro est pire ! L'on compte plus de 13 stations d'essence de la rentrée à Kabala», renchérit un autre compatriote sur les réseaux sociaux. Et on constate le même désolant et inquiétant spectacle d’installations anarchiques
Une périlleuse cohabitation
Et comme le souligne un agent de la Protection civile, «ces installations anarchiques sont de véritables bombes qui cohabitent avec les citoyens sans que ceux-ci ne mesurent réellement l’ampleur de la menace à laquelle ils sont exposés».
Il est clair que l'inobservation de ces règles par les opérateurs (qui fuient la presse comme la peste) dans notre capitale et les autres centres urbains expose les habitants à un danger permanent. Surtout que la Protection civile n’est pas toujours équipée des moyens d’intervention adéquats pour faire rapidement et efficacement face aux sinistres liés à ce genre d’insouciance par rapport à la sécurité publique.
Et les mesures de sécurité exigées par la législation au niveau des stations ne sont que théoriques. Si les extincteurs existent, dans la plupart des cas, ils ne fonctionnent pas ou sont de très faible capacité. Là où le bât blesse, c’est que cette anarchie ne suscite que silence et indifférence des pouvoirs, de la société civile et des citoyens.
Des intervenants nombreux, mais inefficaces
En octroyant la place aux demandeurs, les mairies sont fortement impliquées, donc interpellées dans l’installation anarchique des points de vente de carburant. «Le problème est devenu tellement complexe qu’il nous a franchement dépassés… Il incombe aux mairies de prendre leurs responsabilités pour rétablir l’ordre dans ce commerce», avait déclaré Ousmane Ba, secrétaire général de la mairie de la commune V, à nos confrères de L’Essor dans un article publié en avril 2015.
Toutefois, il avait signalé que l’intervention de plusieurs structures techniques dans l’installation d’une station n’était pas non plus de nature à leur faciliter la tâche. Cette situation fait que, en cas de faille dans la chaîne, «il est difficile de situer exactement la responsabilité principale».
Si la mairie octroie l’espace, ce sont les structures relevant du ministère du Commerce qui autorisent l’exploitation d’une station service. «Malgré notre opposition, les autorités ont autorisé l’installation d’une station appartenant à un groupe international au marché de Baco Djicoroni», a déploré Ousmane Ba. Selon les textes en vigueur, l’exploitation d’une station-service est autorisée par le ministère en charge du Commerce.
Selon nos investigations, la Brigade urbaine de protection de l'environnement (BUPE) rencontre des difficultés à contrôler la procédure d'autorisation d'installer des points de vente. Conformément à l'arrêté 014 du 9 août 2001, fixant les modalités d'utilisation du domaine public sur les axes de circulation dans le district de Bamako, elle peut sanctionner les violations de la législation.
L'occupation illicite du domaine public est punie d'une amende allant de 3000 à 18 000 FCFA au plus, la confiscation des produits ou l'enlèvement des cuves pour les postes fixes. Une sanction trop légère et loin d’être proportionnelle à l’ampleur des conséquences dramatiques auxquelles une telle violation expose les citoyens.
Conséquence d’une mauvaise politique d’urbanisation
Toutefois, l'article 226 du Code pénal autorise des poursuites judiciaires contre les contrevenants. Mais rien de tout ça ne dissuade ces promoteurs indélicats qui misent sur leur fortune et leurs relations pour ne pas être inquiétés.
Aujourd’hui, la densité de la population de la capitale exige non seulement une application stricte de la réglementation, mais aussi et surtout un durcissement de certaines dispositions. Il est inconcevable que l’on puisse accepter une station qui, dans moins d’un rayon de 50 m, cohabite avec une boulangerie, trois établissements scolaires, une église, et un centre de santé. À défaut du gouvernement, les élus de la nation doivent adopter une proposition de loi prenant surtout en compte ces considérations.
En attendant, les points de vente de carburant non conformes aux dispositions réglementaires pullulent dans notre capitale que les pouvoirs publics disent pourtant vouloir assainir et embellir.
«La ville de Bamako a évolué sans qu’on ne tienne compte dans son agrandissement de l’emplacement à réserver aux stations et aux points de vente de carburants. C’est pourquoi certains d’entre nous ont négocié pour s’installer sur les terrains d’habitation. Je pense que c’est par nécessité qu’ils l’ont fait, parce que la demande existe bel et bien dans les alentours de leur implantation», s’est justifié le vice-président de l’Association des revendeurs de carburants (lancée en 2011), Abdoulaye Djigua, cité dans l’article publié par L’Essor en avril 2015. Et d’ajouter, «nous sommes dans un pays pauvre et les gens qui achètent du carburant en petite quantité sont les plus nombreux.
C’est ce qui explique d’ailleurs la prolifération des points de vente à Bamako».
S’il reconnaissait que la plupart des points de vente à Bamako sont installés de façon désordonnée, il a également indexé les stations-service appartenant aux multinationales souvent implantées en violation de la réglementation. Pour le moment, rien n'est fait pour garantir «la sécurité des citoyens exposés à la menace d'une catastrophe dont nul ne peut à priori mesurer les conséquences».
Pousser l’Etat à s’assumer
Au lieu de se fendre dans des communiqués mal libellés pour présenter ses condoléances aux victimes et à leurs familles tout en promettant, de façon démagogique, de faire toute la lumière sur une catastrophe, n’est-il pas mieux de prendre toutes les précautions pour que cela ne se reproduise pas ? C’est ainsi que va sans doute agir un régime responsable.
«C’est sur vous, hommes de médias, que nous pouvons compter pour alerter l’opinion nationale et internationale. Dans un environnement de corruption, la marge de manœuvre du citoyen est très réduite. À travers vous, nous appelons Pr. Dioncounda Traoré (ancien président Intérimaire), Moussa Mara (ancien Premier ministre et ancien maire de la Commune IV), Dr. Oumar Mariko (Députe SADI) et tous les médias du pays à peser de toute leur influence pour empêcher l’ouverture de cette station et d’autres dans les mêmes conditions», avoue une habitante située dans le voisinage de la future station.
Les médias assument leur part de responsabilité en dénonçant toujours cette calamiteuse situation. Nos confrères de L’Essor y ont déjà consacré plusieurs articles ces dernières années. Ainsi, personne ne pourra dire qu'il n'était pas au courant car ses articles et publications sur les réseaux sociaux visent à prendre à témoin l’opinion nationale et, aussi et surtout, les autorités et les élus.
Et au lieu de passer tout leur temps à courir derrière des politiciens véreux pour d'hypothétiques places, je pense que cela doit être le combat de la jeunesse...
En commune IV, les jeunes ont par exemple empêché des délinquants fonciers de s'accaparer de nombreux espaces de jeu avec la complicité des élus communaux. Cette lutte ne doit pas se limiter aux seuls terrains de football.
Ils doivent se lever pour défendre leur sécurité, la quiétude de nos quartiers. Pour jouer au football et judicieusement bénéficier d’autres loisirs, il faut être en vie et bien portant, donc dans un environnement sécurisé !
Moussa BOLLY
Source: Le Reporter