Les conseils municipaux
La décentralisation est décrite par J. Brunet-Jailly comme un échec. En effet, après avoir démarré en fanfare dans les années 1990 sous l’ère Konaré, celle-ci a vite tourné court avec un ATT qui manifestement n’avait pas l’intention de porter ce projet ambitieux. ATT n’avait effectivement que pour seul ambition politique que de gérer paisiblement ses mandats présidentiels. D’où cette idée inhibitrice des énergies et des compétences qu’est son consensus qui consistait à mettre la classe politique sous sa coupe, lui un militaire sans parti politique, pour empêcher l’expression de toute opposition.
Pour J. Brunet-Jailly l’échec des conseils communaux trouve son explication, en plus ou plus exactement du manque d’intérêt du chef de l’Etat pour la décentralisation, l’insuffisance des moyens financiers et le manque de cadres compétents dans les collectivités territoriales, la conception notabiliaire qu’ont les élus de leur rôle, la recentralisation administrative et financière favorisée par le consensus comme mode de gestion du pouvoir.
Il faut convenir en effet avec lui que le désintérêt des nouvelles autorités pour la décentralisation, a permis aux agents de l’Etat central de procéder en de maints domaines, à une remise en cause des acquis de la décentralisation, quand ils ne ralentissaient pas par plusieurs procédés dilatoires ou prétextes (comme le manque de personnel compétent dans les communes), la dévolution des compétences quand même des textes législatifs et règlementaires existaient ou étaient votés.
Il y a eu aussi cette politique des projets de bailleurs de fonds, financés à coups de milliards parfois, qui a pu être un obstacle ou un frein à la décentralisation dans certains domaines sectoriels. Si dans le domaine de l’éducation, il y a eu des avancées en matière de transfert des compétences, dans la santé, avec le Projet de développement du secteur de la santé (Prodess), un projet décennal géré par le ministère de la santé et qui avait une vue sur tout ce qui concerne la création, la construction, le fonctionnement et la gestion des centres de santé au Mali, il y eut manifestement des blocages vers un transfert des compétences et surtout des finances vers les collectivités territoriales ou les services décentralisés de la santé.
L’assemblée nationale
Pour ce qui est de l’Assemblée nationale, l’auteur fait remarquer que les candidats sont choisis et soutenus par les états-majors des partis qui ont la haute main sur le financement des campagnes. S’il est vrai que ce sont les partis qui choisissent et soutiennent les candidats des partis aux élections législatives, il reste que ce sont plutôt les candidats qui financent et le parti et en grande partie leur propre campagne, ce dernier monnayant ses listes aux plus offrants, ce qui explique la faible représentation des femmes, des jeunes et des catégories les moins nanties à l’Assemblée nationale et la surreprésentations des catégories les plus fortunées comme l’auteur lui-même a relevé. Comme dans une vente aux enchères, les partis politiques vendent en effet les places sur les listes électorales à ceux qui peuvent ou veulent mettre le prix. Et le prix des places est fonction du rang. La place la plus chère étant évidemment la tête de liste.
Le nombre élevé des catégories urbaines et celles ayant un niveau d’instruction élevé parmi les députés devraient en principe donner lieu à des débats intéressants à l’Assemblée nationale. Elle-même devrait être en mesure de jouer son rôle de contrôle de l’exécutif, de lutter contre la corruption, de proposer des lois, etc. Mais malheureusement, majorité comme opposition à l’Assemblée nationale, aucune ne joue véritablement son rôle, aucune ne prend des initiatives. D’où cette accusation dirigée contre l’Assemblée nationale d’être une chambre d’enregistrement.
L’une des rares initiatives prises au cours de cette législature a été l’enquête parlementaire sur les évènements de mai 2015 à Kidal. Cette enquête parlementaire est à saluer. Mais peu d’informations en ont filtré et celles qui ont été beaucoup étalées dans les journaux, avaient plutôt trait à la culpabilité des principaux acteurs du dossier à l’époque des faits, à savoir Moussa Mara, Premier ministre, Soumeylou B. Maiga, ministre de la défense et Ba N’Daou, chef d’Etat-major des armées. Il est difficile de ne pas croire que cette enquête a été diligentée contre des personnes, notamment Moussa Mara qui a déjà affiché ses ambitions présidentielles pour 2018. Au lieu d’avoir pour objectif principal de rechercher et d’identifier les auteurs des crimes commis contre les hauts cadres de l’Etat afin de pouvoir les traduire en justice.
Les services publics : ministères et juridictions
Au Mali, les services publics sont le lieu par excellence de l’incompétence, du laxisme et de la corruption mais aussi du favoritisme qui est un pendant de la corruption. Ces comportements déviants par rapport aux normes officielles font désormais partie du fonctionnement routinier des services publics. Certes, on observe ce genre de comportements dans d’autres pays d’Afrique, mais au Mali ces phénomènes sont généralisés, ils sont observables chez le plus petit agent public comme chez les hauts cadres de l’administration, banals, tolérés voire encouragés, aussi bien par l’usager qui en est parfois l’instigateur que par l’agent et ses supérieurs hiérarchiques qui en profitent dans toute la chaine.
Autre caractéristique des services publics en Afrique, c’est le mépris des agents vis-à-vis de l’usager et la violence qui sous-tend généralement leurs interventions, notamment du côté des forces de l’ordre. D’où les fréquentes bavures constatées lors des actions de maintiens d’ordre comme récemment à Gao ou à Bamako. Cette attitude méprisante et violente notamment vis-à-vis des usagers les plus démunis trouve son origine dans la période coloniale lorsque l’administration coloniale à l’époque toute puissante avait affaire à des « indigènes ».
En effet, que ce soit le personnel de commandement (commandants de cercles, administrateurs civils, militaires, etc.) ou civil (enseignants, médecins, commis, interprètes), ceux-ci disposaient de larges pouvoirs de décision et de sanction et agissaient avec démesure et parfois avec abus avec les populations indigènes. Ceux qui ont lu le roman historique, L’étrange destin de Wangrin, d’Amadou Hampaté Ba, ont un peu une idée des pouvoirs de l’administration coloniale et des agents supplétifs africains qui profitaient de leur position. Les administrations africaines n’ont pas évolué depuis sur beaucoup des aspects incriminés.
Après les indépendances, il n’y a pas eu en effet de rupture avec l’esprit colonialiste des agents publics qui ne connaissent de l’administration publique que cette façon de se comporter avec les administrés et les usagers. Il était plus confortable pour les nouveaux dirigeants, sans compter les avantages que cela leur procure, de rester dans une telle posture. Je ne suis pas sûr que jusqu’aujourd’hui, la formation dans les écoles de police et de gendarmerie ait beaucoup évolué dans ce sens car il y a une culture professionnelle qui n’a pas cessé de se transmettre de génération en génération aussi bien de manière formelle que de manière informelle.
Autre exemple de la continuité des pratiques de l’administration coloniale, il n’est pas rare de voir les pouvoirs publics africains et dans les ex-colonies, requérir l’armée dans les opérations courantes de maintien de l’ordre public. Ce qui est impensable dans les pays dite de grande démocratie, sauf cas extrême et dans des conditions bien précises définies par la loi. Même si un tel ordre venait à être donné, il est presque sûr que l’armée ne s’exécuterait pas.
Ainsi, ces attitudes colonialistes se sont perpétuées après les indépendances et se sont même parfois durcies sous les régimes militaires. S’y sont ajoutées ou développées par la suite toutes ces autres pratiques de corruption, de laxisme, de favoritisme, etc. Elles n’ont pas changé avec la démocratie, mais se sont plutôt même démocratisées et décentralisées, même si entre temps, l’Etat s’est affaibli, a perdu de sa rigueur et de sa capacité de sanction, favorisant ainsi le règne de l’impunité à tous les niveaux. On se rappelle encore la réintégration des détenteurs de faux diplômes et des bénéficiaires des concours truqués qui avaient été exclus de le Fonction publique sous la Transition et qu’une décision de justice a réintégrés après 2013.
La Présidence
L’Etat malien s’est remis à fonctionner à marche forcée avant toute analyse des causes de son effondrement qui a d’ailleurs commencé avant le coup d’Etat, même si on ne le dit pas assez souvent. Ce diagnostic, très peu d’acteurs politiques en voulaient après le coup d’Etat de 2012. Le Président IBK, n’en voudrait peut-être pas non plus aujourd’hui car il a été, comme l’a si bien relevé J. Brunet Jailly, de tous les pouvoirs qui se sont succédé depuis 1991 et donc comptable, comme nombre d’acteurs de l’opposition, de la situation dans laquelle se trouve le Mali aujourd’hui. En tout cas pas dans le cadre de Concertations nationales encore moins lors d’une Conférence nationale.
Réclamées à cor et à cris aujourd’hui par presque toutes les composantes de l’opposition voire au-delà, les Concertations nationales sont différentes des concertations d’entente nationale prévue dans l’accord de paix pour discuter de certains sujets controversés. C’est pourquoi l’opposition pourrait être soupçonnée d’avoir des intentions cachées, elle qui a refusé une telle initiative dans un passé récent. Si c’est le cas, il ne faut pas s’attendre à voir IBK les organiser maintenant tant qu’il n’est pas sûr d’en maitriser le processus.
L’organisation de telles rencontres politiques n’étant pas sans risque car une fois qu’elles auront démarrées, nul ne peut prévoir quels en seront les résultats. Comme on l’a vu avec les premières générations des Conférences nationales qui ont contraint certains chefs d’Etat africains à inaugurer des chrysanthèmes. Il serait par contre peut-être plus disponible à les organiser au cours d’un éventuel second mandat quand il n’aura plus grand-chose à perdre. Pour l’instant, il préfère se prévaloir de sa légitimité électorale que de se laisser embarquer dans une aventure à l’issue incertaine.
Par contre, ce qu’il y a de plus urgent à faire, c’est de sauver le soldat IBK contre lui-même, contre son passé qui semble le rattraper, en l’aidant à se sortir de la situation dans laquelle il se trouve, empêtré qu’il dans des histoires qu’il est le seul à connaitre mais dont on peut soupçonner la gravité après qu’il ait été obligé de se rétracter plus d’une fois sur des positions courageuses qu’il avait prises au début de sa présidence. Comme par hasard, ces reculades d’IBK sont intervenues après des publications bien « opportunes » faites sur Médiapart concernant ses relations avec un certain Tommy qui serait dans le collimateur de la justice française. C’est pourquoi il faut l’aider non pas pour consolider son pouvoir à lui, mais pour l’obliger à résister aux pressions extérieures, à rester ferme sur ses positions du moment qu’elles sont en faveur du Mali et de ses intérêts.
Si jusque-là l’opposition est dans son rôle en dénonçant les scandales financiers sous IBK et en organisant une grande marche dans ce sens, n’est-elle pas aussi en devoir, d’être républicaine et patriote ? Elle ne doit pas perdre de vue que comme on le voit dans les grandes démocraties, les intérêts du pays passent avant les petits calculs personnels.
C’est ainsi qu’en France, dès qu’il s’agit des intérêts de la France, il n’existe pas d’opposition droite-gauche. N. Sarkozy a été accusé d’être celui qui a armé les rebelles pour déstabiliser le Mali dans l’intérêt de la France. Que dire alors du Président F. Hollande qui, loin de renier l’œuvre entreprise par son prédécesseur, agit pour assurer la présence (militaire) française non seulement au Mali mais aussi dans toute la bande sahélienne, permettant par là-même, hier au MNLA et aujourd’hui à la CMA de faire de Kidal une enclave au sein de la République ?
En cela on ne peut s’empêcher de reconnaitre à l’un et à l’autre leur patriotisme. Chacun fait ou a fait le travail pour lequel il a été élu, défendre les intérêts de la France partout où ils existent ou pourraient être menacés. La morale peut s’indigner du prix payé pour cela mais dans les relations internationales, la morale a-t-elle sa place ?
C’est pourquoi quand j’entends les jérémiades de nos autorités dire que des pays ou des partenaires ne veulent pas du réarmement du Mali, je dis il leur appartient de savoir quels sont ces pays et ces partenaires et d’agir en conséquence. Par ailleurs, pourquoi de la même manière qu’elle a organisé une marche pour dénoncer la politique autiste d’IBK, l’opposition n’organiserait-elle pas des marches pour dénoncer les actions dirigées contre le Mali ? Pourquoi elle n’organise pas des marches pour demander la levée d’un embargo sur les armes (comme elle avait marché dans le temps pour le réclamer contre le Mali) afin de permettre à l’armée de se défendre contre les attaques terroristes sinon de récupérer Kidal ?
Si par exemple au lendemain de la visite de Moussa Mara à Kidal, au lieu de tomber à bras raccourcis sur ce dernier, elle avait organisé une marche pour dénoncer les crimes commis sur des administrateurs maliens et l’indifférence de la Minusma et de Barkhane pendant aux tueries commises contre des officiels maliens ; apporter son soutien à IBK et à son gouvernement pour dire que face aux ennemis du Mali, nous sommes solidaires du gouvernement même si nous n’approuvons pas toutes ses actions, le Mali ne serait peut-être pas obligé de concéder sur tous ces dossiers dangereux pour la reconstruction de l’Etat : décentralisation poussée, autorités intérimaires, etc. Rappelons-nous que c’est après cette visite et l’ultime tentative de récupérer militairement Kidal que le Président IBK s’est vu contraint, et en position de faiblesse, de négocier avec les rebelles.
Cela dit, on est obligé d’accepter les critiques émises par J. Brunet-Jailly sur la pertinence de la mise en œuvre d’une décentralisation aussi « poussée » et aussi rapidement alors que l’Etat est presque inexistant, affaibli par une crise qui a débuté en réalité vers la fin des années 1980. Ainsi, comme la décentralisation engagée dans les années 1990, la décentralisation « poussée » se fera sous contrainte, à la différence que la première a été tout de même préparée pendant des années et après de longs débats qui ont impliqué toutes les catégories sociales.
Quant aux autorités intérimaires, elles n’ont été introduites dans l’Accord que pour satisfaire aux exigences des groupes rebelles qui voient sans doute là un moyen et une occasion d’avoir ce qu’ils n’ont pas pu gagner par les armes, le contrôle du Nord. Sinon, l’installation des autorités intérimaires n’apporte rien dans la résolution de la crise mais ne fera qu’exacerber les tensions entre ces autorités intérimaires armées et les populations qui n’en veulent pas.
Conclusion
Le Mali a raté en 2012 l’occasion d’une refondation de l’Etat. Les Concertations nationales demandées aujourd’hui par une partie de la classe politique seront difficilement acceptées par le Président IBK. Du moins tant qu’il n’aura pas l’assurance que celles-ci ne déboucheront pas sur une Conférence nationale et sur « ce mode de transition » qui le dépouillera de toutes ses prérogatives présidentielles, d’autant qu’il peut se prévaloir d’une légitimité électorale qu’aucun autre président n’a eu avant lui.
Mais comment le rassurer sur ce point ? Ce ne sont pas en tout cas les promesses de l’opposition jurant par tous les dieux que les Concertations se limiteront à l’organisation de la mise en œuvre de l’Accord qui le convaincront de sa bonne foi. S’il est difficile de croire en la tenue des Concertations au cours de ce premier mandat d’IBK, il faut peut-être les envisager seulement au cours d’un éventuel second mandat de celui-ci, quand il n’aura plus rien à perdre. Sinon, elles n’auront pas lieu même au cours du mandat suivant qui doit commencer en 2023 car le prochain président élu ne voudra pas non plus prendre le risque d’être l’otage d’une transition.