PARIS - L'annonce d'une diminution dès les prochaines semaines du nombre de soldats français engagés au Mali laisse sceptiques les spécialistes de défense, pour qui la France risque au contraire d'être engagée durablement dans le pays si elle ne veut pas répéter les erreurs commises en Libye.
Un début de retrait envisageable "à partir de mars, si tout se passe comme
prévu", a affirmé la semaine dernière Laurent Fabius.
Un mois après le début de l'opération militaire au Mali, il s'agissait
surtout pour le ministre des Affaires étrangères d'affirmer que les troupes
françaises n'ont pas vocation à rester.
"Politiquement, nous avons intérêt à réduire notre dispositif,
économiquement aussi, et à nous faire remplacer par les forces africaines",
analyse Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le
renseignement (CF2R).
Avec 4.000 hommes sur le terrain, les soldats français consolident leur
dispositif logistique et poursuivent leur déploiement dans le nord du pays,
d'où les forces françaises et maliennes ont chassé les groupes islamistes.
Mais l'étendue de la zone de conflit les expose aux attaques suicides et
tentatives d'attentats de jihadistes isolés qui ont fuit devant le rouleau
compresseur des troupes françaises.
"Dire qu'on va commencer à se retirer en mars, c'est complètement
hasardeux", souligne pour sa part Pascal Le Pautremat, spécialiste des
questions de défense : "C'est pour rassurer ceux qui sont très critiques quant
au coût de l'opération, rassurer l'opinion publique qui a peur que le sang
soit versé ? Mais les aléas de la guerre font qu'il y a des logiques qu'on ne
maîtrise pas".
Aller "au bout de la guerre"
Pour nombre d'experts militaires, la guerre au Mali n'est en fait que le
prolongement des opérations conduites par la France et la Grande-Bretagne en
2011 en Libye, qui ont provoqué la chute du régime du colonel Kadhafi.
Faute d'avoir su contrôler le retour au Mali des mercenaires touaregs qui
se battaient au côté des troupes de Kadhafi et empêché la dissémination des
armes tirés des arsenaux libyens dans les pays limitrophes, Paris et Londres
ont selon eux contribué à déstabiliser la zone sahélienne.
"On ne peut pas dire +fin mars on s'en va+, sinon ça nous vaut la Libye et
demain il faudra faire la guerre au Niger ou ailleurs", estime le général
Vincent Desportes, ancien directeur de l'école de guerre.
Une fois que les opérations militaires sont lancées, il faut, dit-il, aller
"au bout de la guerre" et ne quitter le pays "que quand la situation sera
stabilisée". C'est-à-dire après la reconstitution d'un Etat stable au Mali.
La durée de l'opération française dépend donc étroitement du temps qu'il
faudra pour restaurer l'Etat, reconstituer les forces maliennes et former la
force africaine, la Misma, qui doit les aider à stabiliser le pays.
Plus de 4.000 soldats africains, dont 1.800 Tchadiens, sont déjà sur le sol
malien, selon les derniers chiffres de la Défense. Pour le ministre Jean-Yves
Le Drian, le passage progressif du relais des forces françaises aux forces
africaines devrait donc pouvoir "se faire relativement rapidement".
"Si on veut vraiment faire des Maliens une troupe qui se tienne au combat,
ça demande du temps", "au minimum une bonne année, une année et demie pour
avoir des gens compétents", souligne Pascal Le Pautremat.
Le général Desportes estime quant à lui "raisonnable" une durée d'un an
pour former l'armée malienne. "Et la Misma et le Mali auront toujours besoin
de l'appui des forces françaises", notamment de l'appui aérien, pour empêcher
le retour des islamistes, souligne-t-il : Nous sommes là pour longtemps".
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