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Le Franc CFA: fantasmes, délires et réalités
Publié le mercredi 21 septembre 2016  |  Financial Afrik
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© Autre presse par DR
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La question de la souveraineté monétaire des Etats africains membres de la Zone Franc est un débat récurrent et souvent biaisé, parce qu’à sens unique et à charge. Des critiques virulentes sont ainsi régulièrement formulées par certains activistes et des économistes francophones africains vis-à-vis du Franc de la Communauté Financière Africaine et du Franc de la Coopération Financière Africaine, émis respectivement par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Banque des Etats d’Afrique Centrale (BEAC). Ces deux banques centrales partagent le même sigle de leur monnaie (Franc CFA) et des arrangements institutionnels quasi-identiques entre leurs Etats membres et la République française.

Toute occasion est bonne à saisir pour ces personnes pour s’adonner à un procès à charge sur l’iniquité de ces arrangements institutionnels. Les plus visibles et « illustres » contempteurs sont le togolais Kaku Nubukpo, le sénégalais Demba Moussa DEMBELE et le camerounais Martial Ze BELINGA. Tout récemment, la journaliste française Fanny PIGEAUD s’est mêlée au débat, en publiant les 7, 9 et 11 août 2016, dans MEDIAPART[1] une série de pamphlets sur le franc CFA. Toutes ces personnes partagent la même rhétorique sur le fait que le Franc CFA, dans sa forme actuelle, est un instrument d’arrangement néocolonial qui s’avère être un obstacle au développement. En cela, ils suivent les traces voire vouent un culte au regretté Joseph Tchundjang POUEMI, éminent économiste camerounais, décédé en 2004, qui martelait « qu’il n’y a pas d’indépendance digne de ce nom sans maîtrise de l’instrument monétaire, parce que la monnaie confère le pouvoir politique ».

Aux attaques virulentes sur le régime de change du Franc CFA, répond un silence de la part de la BCEAO et de la BEAC qui peut s’interpeller dans le sens de l’adage « qui ne dit mot consent ». Ces attaques répétées amènent l’économiste et citoyen d’un Etat membre de la Zone franc (2) que je suis, à donner sa lecture documentée des choses pour rééquilibrer le débat.

Ces arrangements institutionnels constitueraient-ils un « pilier de l’empire colonial français » ?

Evoquant l’anniversaire en 2015 de la création du Franc des Colonies Française d’Afrique, certains de ces économistes ont vite fait de dire que le « franc CFA » a 70 ans. De quel Franc CFA parle-t-on ? Les monnaies FCFA ayant cours légal et pouvoir libératoire dans les Etats membres de la BCEAO et de la BEAC vont boucler en 2016, de jure, respectivement 54 et 44 années d’existence, soit quelques années de moins que les Etats souverains émetteurs. Là réside la première désinformation abusant largement le grand public. Le sigle demeure, mais les réalités post-indépendance bâties autour du concept de « coopération » sont bien différentes de celles du temps colonial reposant sur la domination.

Pourquoi les Etats indépendants de l’ex-Afrique Occidentale Française (AOF) et de l’ex-Afrique Equatoriale Française (AEF) devraient-ils se passer d’une coopération en matière de monnaie avec la France alors qu’ils en concluaient dans de multiples autres domaines d’intérêt pour de jeunes Etats souhaitant s’insérer efficacement dans le circuit de l’économie mondiale caractérisé par la circulation de plus en plus soutenue des biens et des capitaux ? Auraient-ils fait autrement, leurs performances en matière de croissance réelle et leur attractivité pour les investissements étrangers seraient fortement compromises, au regard de la fragilité de leurs structures économiques et politiques au cours des années 60 et 70, dans un contexte économique et financier international très volatil en particulier dans la décennie 70.

Certains Etats fraîchement indépendants qui ont opté pour des ruptures fracassantes avec l’ancienne puissance colonisatrice, en ont fait l’amère expérience au regard de l’état actuel de leurs structures économiques, par manque de réalisme et de lucidité face aux rapports de force économiques disproportionnés.

Il faut le reconnaître et le considérer comme une donne fondamentale, les économies des pays membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), sont de véritables «petites économies ouvertes». La caractéristique « petites » renvoie au fait que ces économies ne représentent qu’une faible portion du marché mondial.

Par conséquent, (i) elles subissent de facto la politique de taux d’intérêt à l’échelle globale ; (ii) leurs politiques budgétaires, contraintes en permanence par les performances limitées de l’efficacité de la fiscalité, ont un impact potentiel négatif important sur l’épargne nationale et par ricochet sur le solde de la balance commerciale ; (iii) leurs politiques d’investissement, reposant essentiellement sur des ressources extérieures, ont les mêmes effets négatifs sur le solde de la balance commerciale.

Dans ce contexte de contraintes structurelles, il apparaît d’une impérieuse nécessité de garantir le financement en toutes circonstances des engagements commerciaux et financiers des agents économiques de ces Unions et de crédibiliser le régime de change pour éviter des crises de change répétitives.

C’est ces raisons-là qui motivent en substance les Accords de coopération en matière monétaire conclus par la République française avec les Républiques membres de l’UMOA et les Républiques membres de la CEMAC. Au travers de ces accords, la France apporte son concours pour permettre à ces pays, membres du Fonds Monétaire International (FMI), d’assurer la libre convertibilité du Franc CFA. Les modalités de ce concours sont précisées par des Conventions de Compte d’opérations.

Conformément à l’article IV, Section 1 des Statuts du Fonds Monétaire International (FMI), chaque Etat membre s’engage à collaborer avec le Fonds et avec les autres Etats membres pour assurer le maintien de régimes de change ordonnés et promouvoir la stabilité de taux de change.

Les régimes de change susceptibles d’être adoptés par un Etat membre peuvent notamment être exprimés en référence au DTS ou d’un autre dénominateur autre que l’or, ou revêtir la forme de mécanismes de coopération en vertu desquels des Etats membres maintiennent la valeur de leurs monnaies par rapport à la valeur de la monnaie ou des monnaies d’autres Etats membres.

Sous ces éclairages, la souveraineté monétaire aurait-elle été confisquée ?

La réponse est non, pour peu que l’on prenne la peine de bien examiner les Accords de coopération monétaire entre la France et les Etats membres de l’UMOA et de la CEMAC, ainsi que les Conventions de Compte d’opérations de la BCEAO et de la BEAC dans les livres du Trésor français.

La Convention de compte d’opérations n’est rien d’autre que la matérialisation d’un cadre contractuel d’ouverture d’un compte courant entre un établissement-teneur de compte (le Trésor français) et un déposant (la BCEAO ou la BEAC). Ce cadre d’ouverture et de tenue de compte ne se différencie des relations contractuelles de correspondant bancaire que les banques centrales nouent entre elles et avec leurs correspondants bancaires, que par le caractère de « dépôt de garantie » en contrepartie de la garantie de libre convertibilité du Franc CFA. Et là aussi, le « dépôt de garantie » fait partie des usances bancaires.

Les contempteurs du Franc CFA s’appesantissent en particulier sur le fait que les ressources déposées au Compte d’opérations privent les Etats membres de l’UEMOA et de la CEMAC d’importantes ressources financières pour investir dans leur développement ou pour financer la croissance. Voilà la manifestation d’une méconnaissance inadmissible de la part d’économistes dits « chevronnés » de l’identité entre la « Masse monétaire » et ses contreparties que sont les « Avoirs Extérieurs Nets » et le « Crédit Intérieur ». Ces notions basiques sont enseignées dès la deuxième année des études de sciences économiques !

Les réserves de change détenues par la BCEAO et la BEAC ont déjà été « monétisées » pour l’essentiel en Franc CFA et cette contrevaleur créditée dans les comptes des agents économiques privés ou de l’Etat. Autrement dit, lorsqu’une société résidente dans l’UEMOA ou la CEAMC rapatrie des recettes d’exportations via sa banque, celle-ci cède les devises respectivement à la BCEAO ou à la BEAC, qui les logent dans un compte extérieur et créditent le compte de cette banque tenu en Franc FCFA dans leurs livres. De même, lorsqu’un Etat bénéficie d’un concours extérieur, le bailleur cède les devises à la BCEAO ou à la BEAC qui à leur tour versent la contrevaleur en Franc CFA audit Etat.

Que demandent certains économistes à la BCEAO et à la BEAC ? De procéder ex-nihilo à la création monétaire en monétisant à nouveau en Francs CFA les devises détenues ?

Simple réponse de bon sens ! Non, le volet « excédentaire » des réserves de change ne peut pas être utilisé pour financer la croissance sous peine de tordre le cou à la rationalité de la théorie économique apprise et enseignée certainement à leurs étudiants.

Retenons en définitive que les ressources déposées par la BCEAO et la BEAC dans le compte courant ouvert dans les livres du Trésor français (dit Compte d’opérations) sont des réserves de change à la disposition de ces Banques Centrales qu’elles peuvent librement utiliser pour assurer les règlements des transactions financières extérieures des Etats membres de l’UEMOA et de la CEAMC. Dans des circonstances exceptionnelles marquées par le tarissement des disponibilités extérieures générées notamment par les transactions financières, un découvert est accordé à la BCEAO ou à la BEAC par le Trésor français, pour garantir la continuité des règlements des importations de biens et services et le service de la dette extérieure privée et publique.
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