La crise, c’est l’impasse totale ! Les organisateurs de manifestations culturelles, les acteurs culturels, les structures de production et les spectateurs impuissants vivent une période difficile, à la suite des turbulences politico-sécuritaires que notre pays connait depuis 2012.
Le patrimoine culturel immatériel a souffert de la crise multidimensionnelle dont le Mali essaie d’émerger depuis bientôt cinq ans. Les festivals et les concerts furent interdits pour raisons de sécurité et le Mali inscrit sur une ligne rouge dissuadant les visiteurs. C’est la période de l’instauration de plusieurs mesures (embargo après le coup d’Etat militaire, suspension de l’aide des partenaires financiers, en attendant la restauration de l’ordre constitutionnel normal, les successives mesures d’état d’urgence entrainant l’interdiction stricte des événements culturels). Malgré le soutien constant dont a bénéficié notre pays, auprès de la communauté internationale, le show-biz était dans l’impasse. Ces mesures prises par le gouvernement pour restaurer la sécurité dans notre pays ont aussi créé un climat de méfiance chez les investisseurs et d’incertitude chez les promoteurs et producteurs de spectacles car, elles ont eu un impact négatif sur l’organisation des événements culturels. Les grands événements culturels, ainsi que les structures d’accueil, n’ont pu résister à l’effet de la crise. Plusieurs événements se sont passés dans la plus grande simplicité et sans tintamarre, état d’urgence oblige. Certes, le but est d’instaurer un climat de quiétude dans le pays menacé par des groupes armés mais le public était presque sevré d’activités musicales dont le ‘Sumu’ ; animation musicale lors des mariages et baptêmes. Dans les quartiers de la capitale, on n’assistait plus au ‘Balani show’ lors des fêtes d’anniversaire et pendant les vacances en guise de loisirs pour les jeunes. Même la biennale, le plus grand événement culturel du pays, a été reportée, avant d’être finalement annulée pour motif d’insécurité grandissante. Les promoteurs culturels n’arrivent plus à supporter les coûts de leurs activités. Il en est de même pour les artistes qui ne savent plus « à quel Saint se vouer » pour remplir le programme d’une journée, ne parlons pas du mois, encore moins de l’année. « Les activités culturelles comme le concert sont au point mort. Il faut vivre d’autres choses en cette période de crise car toutes les activités culturelles sont à terre », a dit Yoro Diallo, artiste musicien et joueur de Kamalen N’Goni. Les chiffres d’affaires des opérateurs culturels sont en baisse, les budgets des activités culturelles au niveau du public sont réduits au Mali, un pays en guerre contre le terrorisme. C’est la période des vaches maigres. Certains producteurs en sont réduits ou contraints de tenter leurs chances dans d’autres secteurs pour survivre. Selon Abdoul Berthé, le directeur technique du Maestro-Sound, une maison de production audiovisuelle et discographique, la crise a mis K.O la production. « Nous avons réalisé, en 2013, moins de 20% de nos activités en temps normal ». « Notre structure dépend à plus de 80% des ressources extérieures et, avec la crise, nos partenaires ne venaient plus et les productions culturelles étaient paralysées. Les financements des projets culturels sont au ralenti, sinon arrêtés », a dit M. Berthé. Quelle solution alternative pour combler cette période de cassure ? « Certains artistes sont partis à l’aventure », a dit la directrice nationale de l’action culturelle (DNAC), Mme Haïdara Aminata Sy. Cette émigration a forcement créé un manque à gagner au niveau des structures ainsi que chez les opérateurs culturels. D’autres ont choisi d’être des hommes d’affaires, des intermédiaires d’affaires communément appelés « Coxeurs ». Dans les parcs autos, des artistes musiciens se sont transformés en revendeurs des voitures d’occasion appelées « au revoir la France », ces véhicules de seconde main provenant d’Europe ou d’autres pays du monde entier. Les festivals sur le Niger, de Sélingué et celui dans le désert ont subi des conséquences considérables durant la période de crise. « Notre pays a connu une longue période d’hibernation avec l’interdiction pure et simple d’organiser toute forme d’activités culturelles, y compris le folklore », a signalé la directrice nationale de l’Action culturelle. Dans le Nord, les extrémistes islamistes ont détruit les espaces culturels, tout en interdisant des manifestions culturelles. Le dans le Sud, les producteurs se sont tournés vers d’autres activités mieux rentables financièrement. Le Festival sur le Niger a l’avantage de disposer d’infrastructures culturelles et de sites d’hébergement, ce qui lui permet d’avoir une programmation soutenue. Certes, il n’a pas fait exception car les organisateurs ont été obligés de concevoir un format réduit « spécial ». Les artistes internationaux n’étaient pas présents lors du dernier rendez-vous. La fréquence des concerts a baissé, le site est délocalisé et la psychose n‘est pas absente des esprits. Autres facteurs de la baisse du niveau des prestations, le manque de ressources financières, la rareté des bailleurs de fonds dans le secteur culturel et l’inexistence de fonds d’appui au secteur culturel malien. Pendant cette période, les seuls musiciens qui s’épanouissent sont programmés dans les espaces culturels peu connus et dans les bars où ils bénéficient de l’appui de leurs fans.
IMPACTS NEGATIFS SUR L’INDUSTRIE CULTURELLE ET MUSICALE. L’action culturelle a du mal à se relever de cette crise. « La crise sécuritaire a plongé le secteur culturel dans la léthargie », a déploré le patron du Festival sur le Niger, Mamou Daffé. Cette crise a porté un coup fatal à tout le secteur en général. M. Daffé a révélé que son festival n’est pas resté en marge de cette tendance générale. Par exemple, la 12ème édition du Festival sur le Niger s’est tenue sans la composante musique à cause des questions sécuritaires et de l’état d’urgence. Cela a un impact considérable sur l’économie, notamment à Ségou. Ce festival apporte à cette ville des opportunités d’emplois et de développement de l’économie locale. « Certes, notre festival a pu résister mais, la situation est pire pour d’autres événements culturels qui n’ont pu se tenir. En un mot, la crise sécuritaire n’a épargné aucune activité culturelle dans le Nord comme dans le Sud. Et cela a des impacts négatifs sur l’économie du pays en général, notamment avec plusieurs acteurs du secteur au chômage », a-t-il poursuivi. Pire, la situation « a aussi eu un impact sur la cohésion sociale et la mentalité des populations, toutes choses qui ne sont pas propices à l’épanouissement de l’individu. C’est très difficile de relever le défi pour relancer les grands événements mais nous restons optimistes », a conclu Daffé. Selon les données de la Cellule de planification statistique (CPS) du secteur de la Culture, le Palais de la culture a été fortement paralysé par la crise de 2012 à cause de l’arrêt des activités. Entre 2012 et 2013, le Palais de la culture, a accueilli 106 prestations et 295 artistes, toutes activités culturelles confondues. Les analyses de la CPS confirment une réduction nette des activités culturelles depuis l’avènement de la crise avec une diminution d’environ 80%. Pour le directeur général du Palais de la culture, Boubacar Hama Diaby, la crise a engendré deux grandes conséquences à savoir : économiques et psychologiques. Au plan économique, la crise a entravé le bon fonctionnement des services à cause de la rareté des fonds de soutien et la restriction du budget national. L’Etat a dû faire face à la gestion de la crise qui nécessite des fonds importants. Pour cela, il fallait réduire le budget des structures publiques. « Cette situation a créé un mécontentement au niveau du personnel contractant. Pendant plus de neuf mois, le Palais de la culture n’a pas fait de manifestation car l’Etat d’urgence était en vigueur», a expliqué M. Diaby.Sur un plan purement psychologique, les cibles « des terroristes » sont des éléments culturels comme l’accoutrement moderne des jeunes, les patrimoines immatériels et matériels, les lieux de concerts et autres. Même après 2013, c’était difficile. Par exemple, l’émission de télévision ‘Tougakouna’, avait invité l’un des plus grands artistes populaires de l’Afrique, Alpha Blondy, dans la salle de 3000 places, au Palais de la culture, sans réussir pour autant à drainer du monde. « Le Festival dans le Désert faisait une rentrée importante dans l’économie malienne, environ 4 millions d’euros », a révélé, Alassa Ag Dandi, chargé de la promotion du tourisme au niveau du festival, avant d’ajouter : « Nous avons été victimes du terrorisme qui a traumatisé les touristes et les fans du festival ». L’absence des activités a facilité l’exode rural chez les jeunes. La crise a anéanti toute une chaine de travailleurs et de structures (guides, hôtels, restaurateurs, couturiers, musiciens, bars). Malgré cette situation, les responsables en charge de la culture gardent espoir pour la relance des activités culturelles et artistiques. Ainsi, la biennale artistique et culturelle, édition spéciale, est-elle prévue en décembre prochain à Bamako.