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Jean-Hervé Jezequel, directeur adjoint du projet Afrique de l’Ouest de l’international Crisis Group :«Les djihadistes constituent une forme de réponse à une demande locale de justice, de sécurité et plus largement de moralisation du politique… face à un Etat peu crédible»
Publié le lundi 19 septembre 2016  |  la sentinelle
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Alors que toute l’attention est concentrée sur le Nord du Mali, le centre du pays est en proie à une montée inquiétante de la violence. Des groupes armés, y compris radicaux, se développent, et profitent du discrédit de l’Etat auprès d’une partie des populations locales. Le gouvernement doit permettre le retour effectif des services publics sur ces territoires afin de rétablir l’autorité et la légitimité de l’Etat.

L’insurrection gagne le centre du Mali où l’Etat n’est plus crédible

L’International Crisis Group a publié en juillet un rapport intitulé “Mali central: la fabrique d’une insurrection ?” (Rapport 238/Afrique, 6 juillet 2016



François Rihouay, notre correspondant à Bamako, a interviewé Jean-Hervé Jézéquel, directeur adjoint du projet Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group. Le chercheur revient sur la montée inquiétante des violences armées.



Une série d’attaques a frappé les régions de Mopti et Ségou, au centre du pays, ces derniers jours. Comment expliquer cette extension de la violence du nord vers le sud du Mali ?

La plupart des incidents armés se déroulent dans des zones rurales négligées par l’Etat, agitées par de fortes tensions locales autour de la gestion des ressources naturelles. Les populations du centre ont vu dans l’accès aux armes de guerre un moyen de se protéger et parfois de contester les hiérarchies en place. Sur ce terreau fertile, des groupes jihadistes se sont ré-implantés. Ces derniers viennent combler un vide sécuritaire et l’absence de l’Etat auprès des populations, nomades notamment, qui sont régulièrement menacées ou volées.

Y a-t-il là un glissement de l’opinion populaire en faveur des islamistes radicaux ?

Il y a en tout cas un passif de relations tumultueuses entre les populations du centre du pays et l’Etat. Pendant la crise malienne de 2012, de vastes territoires ont été laissés à l’abandon. En 2013, l’opération militaire française Serval a permis de chasser les groupes armés de la région mais le retour de l’Etat s’est, par la suite, opéré essentiellement à travers le redéploiement de l’armée Celle-ci s’est rendue coupable d’exactions, notamment à l’égard de populations peul suspectées de collaborer avec des groupes djihadistes. Ces abus ont renforcé le sentiment de défiance d’une partie des populations à l’égard d’autorités trop longtemps absentes et souvent corrompues. Par ailleurs, l’accord de paix et de réconciliation signé en juin 2015 par les groupes armés rebelles a largement négligé l’importance de cette zone charnière entre le sud et le nord. Dans ce contexte, les groupes djihadistes constituent une forme de réponse à une demande locale de justice, de sécurité et plus largement de moralisation du politique. Ils sont encore minoritaires mais leur influence grandit face à un Etat en manque de crédit

La MINUSMA prévoit de passer de 11 à 13500 le nombre de casques bleus déployés au Mali. Les renforts prévus au centre du pays endigueront-ils cette menace ?

Le risque est que ce déploiement ne fasse que de nouvelles cibles aux assaillants. Si l’on s’en tient à ce qui se passe dans les principales villes du nord, comme à Gao ou à Kidal, la force onusienne utilise l’essentiel de ses moyens à sa propre protection, et ne peut assurer une réelle sécurisation des populations locales. Il ne faut pourtant pas lui jeter la pierre. C’est surtout aux autorités maliennes de régler le problème en reprenant pied dans les régions du centre. La communauté internationale, en particulier la MINUSMA, devrait moins compter sur le déploiement d’un contingent de casques bleus supplémentaire et soutenir plus les efforts pour créer des forces de sécurité légitimes et adaptées aux conditions locales. De même, au vue de l’extension des violences armées, les deux missions européennes de soutien aux forces de défense et de sécurité malienne, EUTM Mali depuis 2013 et EUCAP Sahel-Mali depuis 2015, devraient tirer les leçons de leurs premières années d’action. Elles restent trop repliées sur Bamako formulant des plans de formation ambitieux mais parfois déconnectés des réalités de terrain. Elles gagneraient à se porter aussi au contact des forces maliennes à l’intérieur du pays.

(Source : Ligne de défense)

Titre original : « Mali central : la fabrique d’une insurrection ? »

Recommandations de l’International Crisis

Pour enrayer la détérioration de la situation sécuritaire dans les régions centrales et permettre aux autorités publiques de rétablir une présence et une légitimité sur ces territoires

Au gouvernement du Mali :

Développer une stratégie visant à assurer le retour effectif de l’Etat et à restaurer sa légitimité auprès de l’ensemble des populations et, pour cela,
Procéder à une réforme effective de la police territoriale, qui pourrait s’inspirer de projets récents menés au Niger ; en particulier, les forces de l’ordre devraient recruter des hommes et des femmes au sein des différentes communautés pour permettre un service efficace y compris dans les zones nomades.
Elaborer, de la façon la plus inclusive possible, un plan spécial pour coordonner les efforts de l’Etat dans les régions du centre et identifier les actions prioritaires à mener, notamment dans les domaines de la justice, de l’éducation et de la gestion des ressources naturelles. Dans ce dernier domaine, prévoir des mécanismes pour renforcer la cohabitation pacifique entre éleveurs et agriculteurs.
Nommer un haut représentant pour les régions du centre, pour incarner l’engagement de l’Etat, travailler en consultation avec les populations et les associations, et assurer la coordination avec les bailleurs qui se mobiliseront.
Eviter le recours aux groupes d’autodéfense à base communautaire et renforcer les moyens donnés aux Forces de sécurité (FDS) tout en punissant sévèrement et publiquement les brutalités des FDS à l’égard des civils.

Aux élites locales représentants les différentes populations du centre :

Jouer le rôle essentiel de relai entre les populations et l’Etat et, pour cela, dépasser les clivages communautaires et les querelles de personnes et accepter de coopérer avec de nouveaux représentants des populations, notamment les chefs nomades et les responsables religieux, y compris ceux qui ont sympathisé avec les groupes armés depuis 2012.
Eviter de soutenir les mouvements armés ou les groupes d’autodéfense qui ne peuvent constituer qu’une réponse de court terme à l’insécurité et qui à plus longue échéance pourraient aggraver durablement les violences intercommunautaires au centre du pays.
Promouvoir à l’inverse, en partenariat avec l’Etat, le développement d’une police territoriale au service des populations, dans laquelle les différentes composantes ethniques et de genre sont représentées.
Encourager les initiatives locales de résolution des conflits, tout particulièrement celles portées par des associations suffisamment représentatives des populations du centre du Mali en termes d’âge, d’appartenance ethnique, d’activités socioprofessionnelles et de genre.

Aux principaux partenaires du Mali, tout particulièrement l’Union européenne :

Accompagner l’Etat dans son redéploiement concret au niveau local en mettant en place des programmes de soutien au développement des services publics dans les régions du centre.
Faire de Mopti une région pilote pour les politiques de coopération en matière de sécurité locale et plus particulièrement de police territoriale, dont les enseignements pourraient servir demain pour d’autres régions sahéliennes et notamment pour le Nord du Mali.

A la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma) :

Etendre le bénéfice du programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) aux régions du centre sans déroger aux dispositions de l’accord de paix, en veillant à relier le DDR aux efforts de réforme de la police territoriale et en évitant de nourrir la constitution de groupes d’autodéfense échappant à une stricte régulation par les autorités publiques.
Soutenir la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire malien, conformément au mandat de la Minusma et, pour cela, adopter une approche fondée sur la restauration des services publics, y compris policiers, autant que sur le renforcement d’un dispositif militaire international.

Dakar/Bamako/Bruxelles, 6 juillet 2016

Lire l’intégralité du rapport : https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/mali/central-mali-uprising-making
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