Du 27 août 2016 au 24 septembre 2016, le Gabon nous a servi ce à quoi nous sommes habitués depuis la « démocratisation » de nos régimes politiques : des élections sous supervision d’observateurs étrangers censés être neutres mais toujours partiaux, des fraudes à grande échelle avec, à l’appui, des achats de conscience, des résultats truqués, proclamés après des semaines d’attente, le temps de tout faire passer par le logiciel de la manipulation accommodante, des vainqueurs autoproclamés : tout ce qui constitue la farce de ce type de consultations et nous désigne comme incapables de nous gérer nous-mêmes ; farce qui ne donne satisfaction qu’à ceux qui en bénéficient et à la Communauté internationale qui, par son biais, peut se prévaloir d’avoir, comme interlocuteurs, des responsables « démocratiquement élus ». Sur ce point, rien d’étonnant.
De même, rien d’étonnant en ce qui concerne l’attitude de l’Elysée face à cette présidentielle, en particulier, l’attitude du Parti Socialiste de François Hollande. Il n’a pas hésité à afficher sa préférence avant même que le peuple gabonais ne se rende aux urnes : après cinquante années de pouvoir exercé par la famille Bongo, estime-t-il, une alternance est souhaitable. Alternance au profit de qui ? Au profit de Jean Ping qui n’est autre qu’un homme du sérail Bongo à qui il a été demandé de faire défection du Parti Démocratique Gabonais (PDG), de fédérer l’opposition à ce parti et de briguer la présidence pour sauvegarder les intérêts de la France. Voilà la réalité.
Sauvegarder les intérêts de la France : il faut remonter aux années précédant l’indépendance octroyée le 17 août 1960 pour se faire une idée de cette réalité. Sommée de décoloniser par les puissances émergentes de l’après seconde guerre mondiale, la France ne se résout pas à lâcher ses possessions d’outre-mer. Surtout, pas le Gabon. En effet, l’Algérie n’est plus sûre. Son indépendance est inéluctable. Par conséquent, il fau renoncer au pétrole et au gaz d’Hassi Messaoud et d’Hassi R’Mel que l’on pouvait se permettre de pomper sans bourse délier. Or, il faut assurer l’indépendance énergétique face aux Etats-Unis auxquels on ne pardonne pas d’avoir été exclu des négociations de Yalta. Or, le Gabon possède ce qu’il faut pour cela, du pétrole et de l’uranium. Alors, la France choisit de faire son deuil de l’Algérie et de se rabattre sur le Gabon.
Elle trouve en Léon Mba l’homme de la situation. Il est demandé à ce dernier de prendre l’indépendance. Il n’en veut pas. Ce qu’il veut pour le Gabon, c’est le statut de département d’outre-mer. Charles de Gaulle ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, la France est un pays de race blanche, de culture gréco-romaine, de religion chrétienne. Alors, les bougnols de Bantous, grands animistes devant l’Eternel, n’y ont nullement leur place. L’indépendance est imposée à Leon Mba. Il l’accepte, de guerre lasse. Il demande et obtient qu’on lui envoie comme ambassadeur, non un diplomate sorti de l’ENA, mais un ancien administrateur des colonies. Il demande, mais ne l’obtient pas, qu’on lui permettre de conserver le drapeau français ou, à défaut, de le faire figurer dans un angle du drapeau gabonais. Il est renversé par l’armée gabonaise le 18 février 1968. L’armée française intervient et le remet au pouvoir le 19. Il meurt en 1967. Mais la France a pris soin de veiller au grain en l’amenant à désigner, comme successeur, Albert Bongo, son directeur de cabinet à qui, auparavant, Jacques Foccart, « pas seulement faux au quart, mais entièrement faux » (Sékou Touré) a pris soin de faire passer un grand oral à Paris. Avec Houphouët-Boigny, Bongo sera de tous les coups fourrés de la France en Afrique subsaharienne dont les milliers de morts de la tragédie biafraise. A sa disparition, le 8 juin 2009, Sarkozy facilite l’accès de son fils, Ali ben Bongo, au pouvoir, toujours, au nom de la préservation des intérêts de la France.
Or, voilà que, soudain, le fils adoubé devient imprévisible. Il est intéressé par ce que Paul Kagamé a réussi au Rwanda : s’affranchir totalement de la tutelle de Paris, élever l’anglais au rang de langue officielle au même titre que le français, adhérer au Commonwealth. A cela, face à la chute des cours du pétrole et pour résorber la récession économique, il songe à mettre fin au statut du Gabon, pays uniquement exportateur de matières premières, pour en faire un pays industrialisé, qui transforme sur place et exporte. Cette nouvelle orientation de sa part a joué sur le déroulement de la récente présidentielle et conduit l’Elysée et le PS à lui préférer Jean Ping qui, pour cela, a dû donner des gages de docilité.
Il y a de cela plus d’un quart de siècle, un chef d’Etat africain avait décidé de mettre son pays à l’école du Japon. La suite est connue. Aujourd’hui, Ali Bongo veut se mettre à l’école du Rwanda. Cela n’est pas sans susciter l’inquiétude de Paris. Mais la France doit se convaincre d’une réalité inéluctable : se dégager de son giron devient un impératif pour tout pays du « pré-carré », soucieux du devenir de son peuple.