Pour la deuxième fois en quatre mois, l’opposition malienne bat le pavé (mais avec un but bien déterminé) dans certaines artères de Bamako pour dénoncer, encore une fois, les dérives du pouvoir d’une part et, d’autre part, amener le président Ibrahim Boubacar Kéïta à écouter son cri de cœur et à prendre en compte ses propositions de solution pour une sortie définitive de crise.
Si le 21 mai dernier, les responsables politiques de l’opposition ont harangué le régime sur sa mauvaise gouvernance, la patrimonialisation de l'État, le détournement des deniers publics, la corruption et la délinquance financière, le népotisme, les surfacturations, l’immixtion de la famille dans les affaires de l'État, etc. il s’agira, samedi, de protester contre la nouvelle loi électorale et la censure de l’Ortm, mais aussi d’en appeler à la tenue des concertations nationales et au retour du président Amadou Toumani Touré, exilé à Dakar depuis quatre ans.
L’enjeu de la marche du 1er octobre, c’est la capacité de l’opposition à rééditer la déferlante réussie le 21 mai. De cela, les organisateurs n’en doutent pas et en veulent pour allié le ras-le-bol des maliens ballotés ces dernières années entre la misère apparente et la résignation à ce sort. Le défi est lancé !
Tout le monde se rappelle encore cette grande marche historique de l’opposition républicaine et démocratique du 21 mai 2016 : « Marche pour le Mali ». Ce jour-là, plus de 50 000 manifestants (selon les organisateurs) venus des partis politiques de l’opposition, d’environ 300 associations et mouvements, de la société civile ainsi que les mécontents et les déçus du régime actuel ont réalisé une mobilisation sociale jamais vue en République du Mali. Les marcheurs étaient soutenus par les Maliens de France qui ont « kidnappé » certaines rues de Paris.
De Soumaïla Cissé (président de l’Urd et chef de file de l’opposition) à Tiébilé Dramé (président du Parena et gourou du pouvoir), en passant par Oumar Hamadoun Dicko (président du Psp), Daba Diawara (président du Pids), Djibril Tangara (président du Fcd), Sadou Harouna Diallo (président par intérim du Pdes), Souleymane Koné (1er vice-président des Fare An ka wuli), Djiguiba Kéïta dit PPR (secrétaire général du Parena), Me Demba Traoré (secrétaire à la communication de l’Urd), Mamadou Cissé (secrétaire général de la section Parena de France), Mamadou Sissoko alias Papman (président de Ras-le-bol), Yacouba Diakité (président de Réveil citoyen du Mali), tous, main dans la main, ont dénoncé haut et fort les dérives du pouvoir qui hypothèquent l’avenir du Mali, et des Maliens.
Au menu, il y avait entre autres : la mauvaise gouvernance, la patrimonialisation de l'État, la dilapidation et le détournement des deniers publics, les surfacturations, l’immixtion de la famille dans les affaires de l'État, le pilotage à vue des affaires publiques, l’improvisation, l’arrogance et le mépris vis à vis du peuple…
Les conséquences sont connues et peuvent être fatales aux Maliens. Ce jour-là, Soumaïla Cissé et ses camarades de l’opposition ont pris à témoin les manifestants, l’opinion nationale et internationale sur ces dérives du régime d’IBK qui sonnent comme une catastrophe humaine annoncée.
Apparemment, ce cri de cœur ne semble pas avoir été entendu par le pouvoir. Car, même si le président vient d’initier le dialogue social avec l’ensemble des acteurs et partenaires sociaux, avec le chef de file de l’opposition en première ligne, les dérives persistent et pire, elles s’accentuent. Rien n’est fait pour avancer dans la gestion des affaires publiques, dans la situation sécuritaire, dans l’application de l’Accord de paix, dans l’apaisement politique, dans le processus de réconciliation. Au contraire, l’Etat pose quotidiennement des actes controversés, à l’image de la nouvelle loi électorale, qui est le principal thème de la marche de samedi. En plus de ce grief majeur, les manifestants marchent contre la censure de l’Ortm et pour la tenue des concertations nationales et le retour d’ATT.
La marche est menée par 13 partis politiques : Urd, Parena, Fare, Pids, Pdes, Parti Lumière, Ancd Mali, Fcd, Psp, Afp, Prvm Fasoko, Fdm-Mjn et EP Fasso Ngneta Kanu. Plusieurs centaines d’associations et de mouvements de jeunes ainsi que la société civile se joindront aux leaders, responsables et militants de ces formations pour envahir et arpenter les artères du centre-ville suivant l’itinéraire : Ministère de l’éducation-Avenue Mamadou Konaté-Place Omvs-Place de l’Indépendance-Bourse du travail. C’est à ce dernier point, hautement symbolique dans l’histoire démocratique du Mali, que les messages forts de la marche seront passés.
Par rapport à la loi électorale, l’opposition avait demandé le retrait pur et simple du texte depuis qu’il était projet de loi sur la table de l’Assemblée nationale. Les responsables du regroupement avaient même organisé une conférence de presse (animée par le chef de file de l’Opposition, Soumaïla Cissé) au cours de laquelle ils ont rejeté la loi en gestation.
A l’occasion, Modibo Sidibé, président des Fare, avait égrené dans son exposé liminaire les tares de cette loi et les griefs contre elle. En ces termes : « le Gouvernement a déposé un projet de loi électorale auprès de l’Assemblée nationale. Il est porteur de germes préjudiciables à la démocratie de notre pays. S’il est voté en l’état, ses méfaits exposeraient le pays à beaucoup d’incertitudes.
Invités par la Commission Lois de l’Assemblée Nationale pour donner leurs points de vue et argumenter leurs réserves sur le projet de loi électorale, les partis politiques de l’opposition ont mis l’accent sur le dysfonctionnement du cadre de concertation Ministère Administration Territoriale/Présidents des partis politiques.
C’est ce cadre qui devait produire un projet consensuel de Loi électorale. Malgré cet état de fait, les partis de l’opposition ont accepté d’apporter leurs contributions collectives audit projet de Loi.
La commission lois de l’Assemblée nationale a soumis quelques questions à l’opposition qui, à son tour, a fourni ses avis explicites sur le bien-fondé de ses positions par rapport à ce projet de loi. De prime abord, les partis politiques de l’opposition pensent que le projet ne prend pas en compte les conclusions du comité de relecture de la loi électorale. Pire, elle constitue un recul par rapport à l’ancienne loi. Elle introduit des dispositions nouvelles, source de conflits et pose de sérieux problèmes d’interprétation.
Concernant le suffrage universel direct censé donner plus de légitimité aux élus locaux, les partis de l’opposition trouvent que cela peut non seulement poser des problèmes au niveau des entités régionales dotées de pouvoirs exorbitants, en conférant une légitimité plus forte pouvant déboucher sur le régionalisme, voire plus, mais il peut aussi accentuer le communautarisme, source de possible partition du pays, dans un pays où l’intégrité territoriale est fortement remise en cause.
En ce qui concerne la tenue des élections des conseillers des collectivités territoriales à des dates différentes dans une ou plusieurs régions, l’opposition n’approuve guère ce genre d’élection, qui entraine des conseils à mandats différents dans un même pays et fait planer le risque de partition du Mali.
Pour elle, l’Etat devra réunir les conditions de bon déroulement des élections globales au niveau national. Dans le projet de loi, l’opposition s’oppose solennellement au mode de répartition des membres de la CENI entre les partis de la majorité et de l’opposition, basée sur le nombre de députés à l’Assemblée nationale. Ce système pour elle, met en cause la crédibilité même de la CENI qui est une structure de contrôle et de supervision des élections. On ne saurait être juge et partie. Majorité et Opposition doivent avoir le même nombre de sièges afin de garantir des élections transparentes, crédibles et acceptables par tous.
L’opposition a rejeté totalement le parrainage proposé des élus et le montant exorbitant du cautionnement pour les candidats à l’élection présidentielle, traitant les dispositions de ces articles d’antidémocratiques, de discriminatoires et d’exclusion. Elle demande le maintien du statu quo ».
En dépit des amendements pertinents de l’Opposition politique et des recommandations éclairées de certains partenaires au développement, la loi a été votée par la majorité parlementaire. Chose étonnante et qui a surpris plus d’un Malien : la loi a été votée le lendemain (9 septembre) de l’audience entre le président de la République et le chef de file de l’opposition (8 septembre) dans le cadre du dialogue social. Et Soumaïla Cissé avait justement beaucoup insisté sur les tares et les dangers de cette loi. Il faut marcher.
Concernant la censure de l’Ortm, l’opposition dénonce la violation du principe de l’égal accès aux médias d’Etat. Toutes les protestations auprès de la direction de l’Office et des autorités de tutelle de la communication sont restées vaines. Alors, il faut marcher.
Par ailleurs, pour les leaders de l’opposition, il n’y aura jamais de paix et réconciliation sans des concertations nationales. Pour Modibo Sidibé pour conjurer le chaos et l’anarchie, il est indispensable et urgent de réunir les forces vives du pays en concertations nationales : « Tirant toutes les leçons des crises que traverse le Mali depuis 2012, les concertations nationales viseront à trouver une solution démocratique et définitive à la crise au Nord du Mali.
Elles vont assurer la sécurité et la paix sur l’ensemble du territoire national et dessiner les contours des institutions qui permettront au pays de prendre un nouveau départ. Un mécanisme électoral consensuel, fiable, transparent et crédible permettant la libre expression de la volonté du peuple sera mis en chantier.
Ces concertations nationales seront l’occasion, des réflexions où de nouvelles orientations constitutionnelles pourront être proposées, ce qui pourrait nous amener après à une révision constitutionnelle plus aboutie et plus légitime. Elles seront une véritable rencontre d’un pays, le Mali et son peuple. Les Maliens de toutes les sensibilités se retrouveront autour de leur bien commun, notre cher Mali, pour une refondation institutionnelle, économique, socioculturelle et politique».
Enfin, le 1er octobre, il sera question à la Bourse du travail du retour d’ATT au Mali.
Maintes fois réclamé, peu promis, mais toujours évoqué, le retour d’Amadou Toumani Touré reste d’actualité. Exilé depuis quatre ans à Dakar, l’ancien président a le soutien de la majorité de ses compatriotes qui réclament à cor et à cri à la fois la levée des poursuites engagées contre lui par les autorités, sa réhabilitation et son retour au bercail. L’opposition entend intensifier ce plaidoyer social.
Sékou Tamboura