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56ème anniversaire de la République du Mali : La problématique de la sauvegarde du Mali
Publié le lundi 3 octobre 2016  |  Le Prétoire
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Notre pays, le Mali, a célébré dans l’apathie générale la 56ème année de la naissance de la République, qui consacre en fait la réhabilitation sous la forme moderne républicaine de la nation malienne, après des décennies de domination coloniale. Il est vrai que, par les temps qui courent, le soleil ne luit pas vivement pour les Maliens et le Mali. J’aurais compris une célébration sobre de l’événement. Mais je m’insurge vigoureusement contre la tiédeur des festivités commémoratives de l’accession à l’indépendance. Je ne dénie pas l’importance du cérémonial militaire, auquel on ne saurait réduire la commémoration, car l’armée et les militaires sont d’ailleurs le support institutionnel clé de la défense nationale. En privé comme en public, chaque Malienne, chaque Malien, censé être pénétré de l’amour de la patrie et du devoir civique, aurait dû apporter sa pierre à l’édifice en réhabilitation. Les cœurs des citoyens portent la marque des célébrations.



Nous avons l’obligation d’assurer de pérennité la République du Mali abîmée par une crise multiforme. Je concède qu’elle affronte en ce moment le défi shakespearien d’être ou de ne pas être. Mais je suis confiant en sa capacité de résilience due notamment à son histoire et à ses ressources.



La réalité de la nation et l’assurance de pérennité du Mali

Le Mali est et le Mali demeurera, au gré des Maliens et en dépit des duplicités. Il tient de son histoire millénaire et de ses ressources morales et matérielles autant sa réalité que sa pérennité. Le Mali est un legs impérissable, reçu de nos dévoués ancêtres, les vrais. Pays des bâtisseurs de renom des grands empires et des vastes royaumes, du Ghana, du Manding, de Gao, de Ségou, du Kénédougou, du Macina, le Mali a engendré de grands hommes, doués de science, de vision et de force, des conquérants tenaces, intrépides et des résistants notoires. Il a enregistré des explorations téméraires, heurtant la conscience moderne, des œuvres grandioses, marquées d’humanités indélébiles. Il a assuré à ses fils la communauté de rêves et la volonté de cohabitation, la participation active à l’érection de l’édifice national. Il a usé de l’école, de l’administration, de la justice, de l’armée, de la police, et d’autres institutions publiques qu’il a mises au service de la construction nationale.

Pionnier et chantre du panafricanisme et de l’intégration africaine, sous la férule de visionnaires, hélas contrariés et enfin vaincus, le Mali a marqué sa volonté de sacrifier, sur l’autel de l’unité de l’Afrique, sa souveraineté, cet attribut régalien essentiel dont les Etats sont pourtant extrêmement jaloux. Il a inspiré les instruments et les institutions de la fédération des Africains, quand bien même les échos et les adhésions seraient encore timides.

Le Mali préexiste à nombre de puissances majeures de la civilisation technicienne. Quelle était la situation des Etats dominants de l’ère moderne en 1236, au moment où les pourparlers s’engageaient dans le Manding pour conclure la charte de KurukanFouga ? Certains d’entre eux étaient constitués de vastes étendues alors occupées par des populations indigènes qui vivaient notamment de chasse, de pêche, de cueillette et de ramassage.

Le Mali a une histoire séculaire, qui témoigne d’une culture unifiée, insusceptible de se réduire à la période précoloniale et à la période coloniale. Coutumes et confessions différentes sont harmonieusement pratiquées sur cette terre, qui témoignent de son aptitude à la génération d’étiquettes nationales propres et à la réception des valeurs universelles fécondes.

Certes, nous ne sommes au Mali ni chauvins, ni xénophobes, ni racistes. Mais nous aimons le Mali qui nous a gratifiés de subsistance et d’honneur. Le Mali nous manque cruellement lorsque nous séjournons en territoires étrangers, même dans les pays des trésors, des bijoux, des étoiles et des spectacles, des appartements, des hôtels, des restaurants, des sports et des loisirs. Nul ne peut nous délivrer durablement de la nostalgie, lorsque nous séjournons et recevons à l’étranger les images et les sonorités du Mali.

L’adversité d’aujourd’hui résonne comme la délivrance de demain. Nous convertissons nos handicaps techniques, alliés à la colonisation, qui nous a privés volontiers de la moindre bretelle d’accès à la mer, en atouts économiques, reliés à l’intégration des Etats du continent. Assurément, le meilleur ne s’offre aux Maliens, aujourd’hui et demain, que dans le Mali, un et indivisible, prospère, et assuré de pérennité.

Vous étonnez-vous que tant de Maliens ne se réclament que du Mali ? Connaissez-vous dans la nature, d’une science certaine, une silhouette, qui se détache même un court instant du corps qu’elle accompagne ? Connaissez-vous, en Afrique et dans le monde, une autre nationalité, qui puisse conserver à nos patronymes leur résonnance singulière ? Vous étonnez-vous que nous nous prenions pour le plus beau pays ? Ne voyez-vous pas que de cette terre africaine millénaire du Mali, les patronymes régionaux les plus historiquement illustres émergent inéluctablement, que les patronymes à consonance mandingue et sonrhaï se propagent sur l’Afrique, que l’information reçoive par notre langue une large diffusion dans le monde, que le vêtement de l’Afrique naisse et se propage librement dans le monde et que les artistes s’envolent aussi librement que les oiseaux dans le monde ?

Sommes-nous maintenant résolus à sceller le destin de puissance du Mali ? Sommes-nous maintenant résolus à engager les chantiers de la puissance ? De nos aïeux, nous tenons des motifs de nous enorgueillir du passé lointain. A notre postérité, nous devons des motifs de s’enorgueillir du passé proche. De l’histoire, maintenant écrite, elle recevra certes toutes les informations.

Nous n’avons pas le droit d’abandonner le pays à la convoitise des tiers. Seuls les renégats céderaient à cette périlleuse et honteuse insouciance. Au Mali, nous traitons certes nos hôtes et nos invités comme les nôtres, mais, le Mali appartient toujours aux Maliens et aux Maliens seuls. Au Mali, nous devons tout en tant qu’enfants de la terre inaliénable : nos aptitudes, nos opportunités, notre identité.

L’intégrité de l’arbre du Mali

La carte du Mali n’est pas anodine. Les contingences et les évidences du tracé colonial lui donnent une image qui n’est pas dénuée de sens. L’image du Mali offerte à la perception du connaisseur est celle de l’arbre géant, dont les racines fortes percent profondément la terre ferme au sud, à la quête obstinée des eaux douces nourricières du Golfe de Guinée, trempées dans les sources intarissables du fleuve Niger et du fleuve Sénégal, puis à l’assaut ferme des eaux abondantes des pays côtiers.

L’image du Mali à la perception du connaisseur est celle de l’arbre géant, dont le tronc s’épaissit et se raffermit au centre, si hétérogène, au contact de la sève nourricière des affluents et des bras du Niger, dont certaines branches s’étendent à l’est dans le continent, à la recherche constante de sources inépuisables de brassage, et d’autres s’acheminent à l’ouest vers l’Océan, en exploration des possibilités énormes de contact dans l’Atlantique.

L’image du Mali à la perception du connaisseur est celle de l’arbre géant, dont la cime transperce au nord les immenses étendues désertiques, puis s’achemine vers la mer Méditerranée, l’Europe, l’Orient et l’Asie, et enfin réalise une ouverture sur les civilisations occidentale et orientale.

De l’immensité de son territoire et de la multiplicité de ses frontières, le Mali tire certes la pluralité de voisins et la diversité de potentialités. Mais il en tient l’obligation de se munir de tous moyens de contrôle des aléas. L’arbre du Mali reflète tant de diversités, d’opportunités et de contraintes. Les utilités que nous en avons reçues sont multiples. Elles sont irréductibles aux fruits que nous partageons avec nos hôtes.

Que nul ne se considère donc comme ayant suffisamment servi le Mali. Que chacun lui rende, selon ses moyens, un peu de ce qu’il lui doit, quels qu’en soient au demeurant la forme, la nature et le contenu, à titre de contribution citoyenne, pour la prospérité et la sauvegarde, à titre d’obligation ardente, autant que la contribution fiscale notoire, au-delà de ce que nous clamons, au-delà de ce que nous revendiquons.

Gare aux esprits malins et malicieux qui rêvent d’élaguer ou de déraciner l’arbre du Mali ! Gare aux forces occultes qui lui aménagent le cruel destin de son homonyme colonial qu’elles ont éclaté en deux Etats qu’elles miniaturisent allègrement! Gare aux potentats qui collaborent à l’entreprise secrète de dislocation et aux couards qui ménagent leurs efforts patriotiques!

Indéfectible est le lien qui unit la beauté et l’intégrité de l’arbre du Mali. Hardis sont les esprits et forces employés aux atteintes à l’arbre du Mali. Naïfs sont les nôtres qui ignorent les suites de la sollicitation qu’on leur adresse et de l’appui qu’ils fournissent sciemment ou non. L’arbre du Mali n’est pas livré aux flammes qu’ils ont délibérément attisées. L’arbre du Mali n’a pas vocation à contribuer à leurs sources d’énergie. L’arbre du Mali récupérera sûrement tout organe dont il aura été amputé. L’arbre du Mali s’enracine profondément et s’épaissit irrésistiblement.

Les arrières- goûts de la libération de l’empire obscurantiste

Nous avons éprouvé la joie de la victoire éclatante contre la barbarie et le désordre, que nous craignions des sinistres apatrides qui transcendent les frontières nationales. Nous avons éprouvé la joie de la résistance à l’obscurantisme et à l’assujettissement, que nous connaissons aux marchands véreux qui affichent plutôt le manteau de la foi. Nous avons éprouvé la joie de la récupération et de la préservation de l’identité nationale, que de cyniques et cruels adeptes de l’austérité mensongère avaient tantôt confisquée. Parce que nous sommes un chantre de l’intégration africaine et de l’ingérence humanitaire, nous souffrons que notre territoire soit investi comme nous avons investi d’autres territoires, aux fins d’abréger la souffrance des innocents et de libérer les peuples des atrocités ignobles.

Hélas, loin qu’elle soit entière, nous ressentons les arrières- goûts de notre libération, maintenant que nous réalisons que notre libérateur est le parrain de l’auteur de l’outrage, quoique de sa main gauche il ait réduit les aspérités des méfaits de sa main droite, laquelle nous avait exposés et livrés à la précarité. Notre soulagement résonne en ce moment comme la délivrance du naufragé, qui ne se préoccupe pas outre mesure de l’identité et de la motivation de son sauveur.

Nous constatons que sa présence, sur notre territoire qu’il avait tantôt quitté, naguère raisonnable, circonscrite à la culture et à l’économie, devient soudain exubérante. Nous remarquons que nous demeurons plutôt des enjeux que des partenaires, dédiés à concourir à l’uniformisation des mœurs et la sauvegarde d’intérêts étrangers. Nous relevons que nos forces armées sont astreintes sur le sol national, privées du droit d’initiative, à une retenue vexatoire, exorbitante de la raison humaine. Nous déplorons qu’il ait réduit les forces de la communauté internationale à un corps d’appoint, investi en fait de la mission d’accompagnement de sa volonté de rapetissement et d’hégémonie. Nos décisions sont émises en échos aux siennes, parce qu’il est si jaloux de son pouvoir de réduire des princes nationaux en auxiliaires.

Nous recevons du libérateur des injonctions qui nient notre tradition de négociation, données sous l’astreinte de privation, comme le malade sous assistance, du traitement requis. Nous éprouvons la contrainte de dialoguer avec des forces rétrogrades, qui assimilent à la faiblesse toute marque de respect, de considération et de bienséance. Nous constatons la persistance au nord et l’extension au centre et au sud de la barbarie et de la lâcheté, qui se manifestent par les attaques dans le dos et la pose de mines à l’aveuglette. Nous scrutons en vain les indices de confirmation de la sympathie, qui nous donnent de sérieux motifs d’espérer une coopération mutuellement avantageuse.

Il nous est loisible de nous exclamer pour marquer courageusement l’étonnement souverain que nous éprouvons devant les difficultés de déchiffrement du message du libérateur. Qu’elle est drôle cette amitié qui réduit l’ami à l’impuissance et à l’immobilisme ! Qu’elle est étrange cette préférence accordée aux ennemis irrédentistes de l’ami ! Qu’il est énigmatique ce libérateur dont l’aide souveraine et l’assistance multiforme profitent plutôt à l’ennemi !

Il nous est loisible d’interroger courageusement le libérateur et la communauté internationale, qui éprouvent notre respect, notre considération, notre hospitalité et notre patience. Quel projet le libérateur porte-t-il donc s’il se détache, sans son consentement, de l’armée amie et opère librement sur le territoire ? A quelle veine se nourrissent donc les invectives et les insinuations de son filleul ? A-t-il donc reçu de son filleul des garanties de partage des valeurs de la République ? A-t-il donc reçu de son filleul la certitude qu’il lui offrirait la loyauté refusée à l’ami ? Qu’attend-il donc davantage de l’ami, qui partage sa langue et son système de droit ? A qui profiteraient donc les entraves à l’exercice régulier de la souveraineté de l’Etat ?

Le partage des aires est-il donc définitif entre les puissances du fer et de l’industrie ? L’assistance internationale ménage-t-elle donc les susceptibilités notoires du libérateur ? L’assistance internationale s’accommode-t-elle donc de la fourberie et de la surenchère ? Le serval a-t-il donc réduit en espace servile le territoire libéré de l’influence cameline ? Les dunes de sable ont-elles donc échappé au pouvoir du lion de la savane et du sahel ? Le consensus international confisque-t-il donc à des fins inavouées la souveraineté de la République du Mali ?

L’occupation nous a-t-elle donc pris notre dignité, notre amour-propre et notre fierté ? La pusillanimité étreint-elle donc les héritiers légitimes du Mansa, de l’Askia, du Tata, du Tondjon, de l’Ardo ? La tragédie de la résistance nationale a-t-elle donc brisé les épées des héros émergents ? La témérité des ères glorieuses s’est-elle donc finalement enfouie dans le temps écoulé ? Notre tradition s’est-elle donc dépouillée de la capacité de négociation et de réconciliation ? La recherche obstinée de l’onction internationale a-t-elle donc plombé l’action nationale ?

Il nous est loisible de rappeler courageusement au libérateur et à la communauté des nations que la solution du renforcement de la souveraineté de l’Etat ne tolère pas d’alternative. Il nous incombe d’assumer nos responsabilités envers nous-mêmes et de nous interroger, car des indices concordent à profusion que la souveraineté a été plutôt abandonnée. Dans l’euphorie d’hier, la libération sentait la sincérité, la sécurité et la tranquillité. Aujourd’hui, la libération sent autrement, comme le secours du renard à la volaille.

Il urge que nous nous laissions pénétrer du devoir de subsister ou du risque de périr. L’apathie et l’attentisme nuisent gravement à notre volonté proclamée de puissance. Il urge que nous montrions que l’histoire et l’actualité nous valent le respect d’autrui. Selon que nous assumons ou non le statut d’Etat, la libération sera définitive ou non. Notre action consistera demain en un acte de sauvegarde ou un sursis à dislocation.

Maliennes et Maliens, préparons-nous à affronter à moyen ou à long terme l’inimitié cachée de l’ennemi, plutôt qu’à recevoir l’amitié manifestée de l’ami et l’assistance fournie de l’assistant. Engageons-nous à préserver de la convoitise et de la ruine l’édifice national hérité, que les agames d’autres cieux ont opportunément et cyniquement ouvert et investi. Faisons que les frères dressés en ennemis, par les diverses intrusions malveillantes, des frères que rien n’oppose fondamentalement, comblent les fissures des murs de la maison. Résolvons-nous à assurer l’organisation propice à opposer une tenace résistance, digne des vieilles civilisations, dont certes nous sommes, à la domination déguisée. Délivrons la république quinquagénaire du vacillement et du babillage. Usons de tous atouts et dominons tous handicaps. Levons-nous, n’abandonnons pas le pays et œuvrons à l’unisson à la sauvegarde du Mali. /

Mama DJENEPO, administrateur civil, chargé de cours de droit, Commune II, District de Bamako

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