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Laurent Bigot, consultant indépendant spécialisé dans le conseil en stratégie sur l’Afrique : « Les gens autour de la table des négociations sur l’Accord de paix, sont là pour de multiples raisons mais pas pour le bien-être du Mali ou de sa population »
Publié le jeudi 13 octobre 2016  |  Le Républicain
Laurent
© Autre presse par DR
Laurent Bigot
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Au Nord-Mali, le conflit qui oppose la CMA et la Plateforme, deux signataires de l’Accord de paix dont la mise en œuvre semble dans l’impasse, les attaques terroristes qui s’intensifient dans la zone et la mort récente de Cheikh Ag Aoussa, chef d’État major du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad, décédé dans l’explosion de son véhicule samedi dernier, sont autant d’événements très préoccupants. Le journal du Mali s’est entretenu sur ces sujets avec Laurent Bigot, ancien diplomate français au département Afrique de l’Ouest du quai d’Orsay, aujourd’hui consultant indépendant spécialisé dans le conseil en stratégie sur l’Afrique.
Quel est votre point de vue sur la situation au Nord-Mali, au vu des événements préoccupants de ces derniers mois ?
Ce qui se passe au Nord du Mali est un bazar sans nom. Il y des groupes armés qui fleurissent en nombre à chaque fois qu’il y a un nouvel intérêt catégoriel ou surtout lié au trafic. Il y a même des groupes armés soutenus par Bamako, c’est quand même assez incroyable, et on les acceptent autour d’une table de négociation. À partir du moment où on a accepté que tout et n’importe quoi pouvait être autour de la table de négociation, il ne faut pas s’étonner qu’après les alliances soient changeantes, mouvantes et que la situation devienne très complexe. Je crois que la nécessité absolue ce n’est pas d’essayer de comprendre, c’est surtout d’arrêter tout ça, d’arrêter cette mascarade, c’est l’urgence absolue. J’en discutais avec un ami Malien, la réalité c’est que tout les gens qui sont autour de la table des négociations sur l’Accord de paix, n’ont aucun souci pour leur pays, ils s’en fichent complètement. Ils sont là pour de multiples raisons mais pas pour le bien-être du Mali ou de sa population.
Le numéro 2 du HCUA, Cheikh Ag Aoussa est mort dans des circonstances encore peu claires, pensez-vous que cela peut impacter la donne actuelle au nord du mali ?
Je ne sais pas si c’est un assassinat mais ça y ressemble, en tout cas c’est surprenant parce que c’est un mode opératoire, sophistiqué, que l’on a pas l’habitude de voir dans la zone. Ceci dit, il y a toujours eu des morts suspectes dans la zone, des chefs touaregs qui meurent dans des circonstances étranges, avant il mourraient dans des accidents de la route, Ibrahim Ag Bahanga est mort de cette façon. Mais je ne pense pas que cela change quoique ce soit, les chefs se remplacent très vite, il faut savoir qu’il avait la culture de la guerre et la guerre fait des victimes, les chefs de guerre touaregs n’ont pas le même rapport à la mort que nous avons, ces groupes armés vivent tous les jours avec ça, la mort au combat. Mais l’escalade est tellement prévisible au regard de la structure de ces négociations de paix, au regard de l’acceptation de la Minusma et de la France de tous ces groupes armés, que je ne vois pas comment ça peut s’arranger.
Le gouvernement et la communauté internationale ne devrait pas inclure, selon vous, les mouvements armés dans le processus de paix ?
Ces mouvements ont montré leur incapacité totale à mettre en œuvre ce processus de paix. Ils ont montré que ce n’était pas des interlocuteurs fiables, ils ont montré qu’ils ne pouvaient tenir aucun engagement. En disant cela, je mets tout le mode dans le même sac, à la fois les groupes armés et Bamako.
Les forces internationales et la France en particulier sont jugés responsables de la mort de Cheikh Ag Aoussa, par certains mouvements armés, cela vous semble-t-il plausible ?
Barkhane, nos forces, sont enlisées au Nord-Mali et je ne pense pas qu’ils iraient se compliquer les choses en commettant un assassinat. De plus la règle veut que si vous éliminez une tête, une autre la remplace rapidement.
L’Accord de paix tel qu’il a été signé le 20 juin 2015, vous semble-t-il encore viable au vu de la guerre que ce livre la CMA et la Plateforme, deux des signataires, et des nombreuses défections enregistrées à la CMA et qui ont rejoint le camp adverse ?
Cet accord n’a jamais été viable, il ne tient pas pour une bonne et simple raison, qui est fondamentale, c’est qu’Alger est à la manœuvre. Alger n’est pas un négociateur, c’est un ‘‘spoiler’’ en mauvais français. Alger n’a aucun intérêt à ce que le nord du Mali ne soit pacifié, et tous les groupes armés disent toujours la même chose, ne nous laissez pas en tête à tête avec Alger. Donc je pense qu’Alger doit-être autour de la table de négociation mais ne peut pas piloter un processus de négociation. Et la France doit prendre ses responsabilités, c’est à dire qu’on a envoyé 6000 soldats pour faire la guerre avec l’opération Serval et on n’a pas été capable de rallier les équipes de négociation pour faire la paix. Quand on s’engage comme ça dans une partie du monde, il faut aussi penser à la paix et ce ne sont pas les militaires qui imposent la paix, ce sont des diplomates, des civils, des négociateurs chevronnés, et nous en avons qui connaissent bien la zone, mais le choix politique a été de ne pas s’immiscer dans ce processus. C’est parce que cette question n’est pas réglée que ça a dérapé, donc on n´’est pas du tout cohérent, une fois qu’on a gagné une bataille, on ne se donne pas les moyens de réussir, donc un an après ou un an et demi après ça dérape de nouveau.
Comment voyez-vous la suite des événements pour le nord du Mali ?
Objectivement, je pense que la situation au nord du Mali n’a jamais été aussi dégradée qu’aujourd’hui, jamais Bamako n’a autant perdu le contrôle du Nord, malgré la présence militaire étrangère, certains même me disent que c’est un point de non-retour, je n’irai pas jusque-là mais en tout cas ce qui est sûr, c’est qu’historiquement depuis l’indépendance, jamais Bamako n’a perdu autant le contrôle, je ne suis donc pas très optimiste sur la suite des opérations et si on se voile la face et qu’on ne regarde pas la réalité telle qu’elle est, il n’y a aucune chance que des solutions pertinentes et opérationnels émergent. Ces solutions devront venir du terrain, et pas des Nations-unis ou de la France, elles devront venir d’acteurs responsables qui décideront de s’occuper enfin de leur pays.
Le journal du Mali
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