Magistrat chevronné, le président de la HAC est un juriste réputé très ferme dans la prise de décision. Attendu, il entend réguler un paysage médiatique dynamique mais désordonné
Promoteurs de stations de radio et de chaines de télévision dans l’illégalité, tremblez ! La Haute autorité de la communication (HAC) est résolument engagée à mettre fin au désordre qui domine le paysage audiovisuel malien. En sentinelle vigilante, le régulateur prépare minutieusement une vaste opération d’assainissement. Le chef de l’exécution du grand ménage attendu se nomme Fodié Touré, magistrat chevronné entouré de huit professionnels expérimentés de la communication.
Très bientôt, tous les acteurs du secteur des médias qui ne sont pas en règle auront à faire avec l’organe régulateur dirigé par un natif de Nioro du Sahel qui aura 59 ans révolus le 30 décembre prochain. Sans se prendre pour un justicier, le magistrat de grade exceptionnel et décoré de la médaille de Chevalier de l’Ordre national du Mali (2009) entend mener à hauteur de souhait sa mission avec vigilance et abnégation. En s’appuyant, tel un gendarme, sur les règles du droit et la force de la loi. Le magistrat Fodié Touré affiche déjà sa détermination à assainir le champ médiatique malien certes dynamique mais miné en maints endroits par un amateurisme ambiant qui n’a que trop perduré. Avec présentement près de 100 journaux, plus de 300 radios et une vingtaine de télévisions, la presse malienne a gagné le pari de la quantité mais n’a pas réussi à relever le défi de la qualité. Face au désordre persistant dans le paysage médiatique national, Fodié Touré s’engage : «le Mali a connu plus de 20 années de laisser-aller médiatique. Nous allons très bientôt siffler la fin de la récréation ». Le lavage à grande eau est donc imminent : «nous allons le faire même s’il faut prendre des décisions impopulaires», promet Fodié Touré. Plus précis, il indique qu’«à partir de fin octobre, les populations constateront sur le terrain l’application de nos premières mesures». Il pourrait y avoir la fermeture de certaines stations non en règle. La HAC va sévir car «même s’il cultive la pondération, Fodié sait être ferme dans la prise des décisions. Il est constamment à cheval sur les principes et ne transige pas l’application stricte des textes. Quand il décide, c’est décidé», nous confie un vieil avocat du barreau.
Cette détermination dans l’action, il l’a forgée tout au long de son riche parcours professionnel. Il débute sa carrière de magistrat comme substitut du procureur de la République près le Tribunal de Bamako (1987-1989). Ensuite, il officie comme juge d’instruction, juge au siège, juge de paix ou procureur dans plusieurs juridictions de première instance à Koulikoro, Ségou, San, Bougouni, Kati et à Bamako, de 1989 à 2012. C’est de son poste de conseiller à la Cour d’appel de Bamako qu’il occupait depuis septembre 2012, qu’il est nommé à la présidence de la HAC par le chef de l’Etat en septembre 2015. Au cours de ce parcours, il a été plusieurs fois membre du Conseil supérieur de la magistrature en 1994-1995, puis en 2004-2015.
EXPERT RAPPORTEUR. Pour les habitués des prétoires, Fodié Touré fait partie des magistrats maliens formés à la bonne école. Il est détenteur d’une maîtrise en droit privé, obtenue à l’ENA de Bamako en 1984. La même année, il intègre la Fonction publique à travers son admission au concours d’entrée à l’Institut national de formation judiciaire de Bamako. Il y subit sa spécialisation sous l’encadrement de l’Ecole supérieure de magistrature de Paris qui lui délivre son diplôme professionnel en 1986. Avec certains de ses promotionnaires, dont Daniel A. Téssougué et Sombé Théra, il est membre fondateur du Syndicat autonome de la magistrature. Il y a occupé les postes de commissaire aux conflits (1998-2001), de vice-président (2001-2003) et de président du Comité directeur (2003-2013). A ce titre, il est désigné expert-rapporteur chargé de l’enquête sur l’indépendance de la magistrature dans les pays africains devant adhérer à l’Union internationale des magistrats.
Pratiquant d’Aïkido et de culture physique, il est d’un mental fort et se veut serein face aux épreuves. Il affiche un sourire discret à la recherche d’une solution adéquate aux problèmes posés, témoigne un de ses collaborateurs. Il s’est aussi montré imperturbable face aux récriminations de certains acteurs politiques qui ont tenté de l’intimider quand il dirigeait la Commission électorale nationale indépendante. Il a été ainsi, au titre de la société civile, le président de la CENI qui a supervisé en 2006-2007, le processus de l’élection présidentielle et des législatives. Auparavant, il avait servi à la présidence de la République en qualité de membre de la Commission ad hoc chargée de l’étude des rapports du Contrôle général d’Etat (1999-2001). Cette commission dédiée à la lutte contre la corruption et la délinquance financière est transformée en Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’administration, (CASCA) au sein de laquelle Fodié Touré a siégé de 2001 à 2003.
Le musulman Fodié Touré est d’obédience hamalliste, « d’arrière grand-père à maintenant », tient-il à le préciser. Abonné à la lecture des classiques (Cid, Racine, etc.), il affole les confrontations d’idées. Fodié Touré dirige un collège où son affabilité et sa modestie lui facilitent la tâche. «Je ne sens pas de clivage professionnel. Venant d’horizons divers, chacun d’entre nous apporte ses compétences techniques spécifiques. Nos différentes méthodes d’approche sont à capitaliser», explique le régulateur en chef avec assurance.
La nomination du magistrat Fodié Touré à la tête de la HAC a quelque peu suscité du scepticisme sinon de la méfiance dans certains milieux médiatiques. La presse malienne sous «contrôle judiciaire», s’inquiètent les uns. «Musèlement en vue de la presse privée», se demandent d’autres. «Une régulation à la saveur mitigée», s’écrient des mécontents. Le praticien du droit affirme les comprendre mais, ajoute-il, « la régulation est technique mais plus administrative et juridique. Les deux dernières considérations l’emportent sur la première».
SANCTIONS NON PENALES. D’une manière générale, la nomination de Fodié Touré n’a pas été une grande surprise pour les journalistes qu’il pratique. Dès leur prestation de serment devant la Cour suprême, le 11 décembre 2015, Fodié Touré et ses collègues ont multiplié les initiatives d’explication et de sensibilisation à l’endroit des acteurs du secteur de la communication. Aux dires d’un journaliste syndicaliste qui a pris part aux différentes rencontres organisées par la HAC, « le président Fodié fait montre de patience, d’une grande capacité d’écoute et d’ouverture d’esprit ».
Compte tenu du besoin pressant d’assainissement du paysage médiatique malien, nombreux sont les citoyens impatients de voir la HAC à l’œuvre de salubrité publique. Jusque-là, «par prudence et par sagesse, nous n’avons pas sanctionné des dérives constatées. Il ne servait à rien de poser des actes sans aucun fondement légal ». Maintenant, ce fondement existe avec l’adoption par le gouvernement de plusieurs décrets dont les avant-projets ont été élaborés par la HAC sans grand bruit.
Parmi les textes adoptés, il y a les décrets portant cahiers de charges des organes de l’audiovisuel et celui qui détermine les conditions de mise en œuvre des sanctions non pénales prononcées par la HAC. Ces sanctions sont : l’avertissement, la suspension ou le retrait du service incriminé, la suspension ou le retrait de l’autorisation. Ces nouveaux textes en vigueur ont été récemment expliqués aux professionnels du secteur. Ainsi, durant dix mois de fonctionnement, Fodié Touré et ses collègues ont brandi la carotte de la pédagogie. Maintenant, ils sont prêts à utiliser le bâton des sanctions. Ils envisagent de frapper fort tout contrevenant.
Les premières cibles sont visées dans l’audiovisuel privé. Quid des journaux et lde la presse en ligne ? «Leur tour viendra avec la relecture des textes régissant les délits de presse, l’attribution de la carte de presse, la relecture des textes sur l’aide publique à la presse ainsi que sur la publicité au Mali. Il nous faut aussi une législation spécifique pour combler un vide juridique sur le numérique », espère-t-on à la HAC.
Les nouveaux régulateurs n’ont-ils pas peur d’éventuelles ripostes médiatiques ? «Que non !», répond sèchement Fodié Touré, l’air déterminé.
Il fait remarquer que des voies de recours légal sont prévues pour tous ceux qui seront sanctionnés. Conformiste, le juriste Fodié Touré persiste et signe : «nous allons poser les actes qu’il faut, et cela, conformément à la loi ».
Issa DOUMBIA