Les forces françaises sont confrontées à des groupes islamistes dans un contexte politique où la France et le Président Ibrahim Boubacar Keïta sont soumis à la surenchère verbale des tenants d’une solution de force au Nord Mali.
Les accrochages qui ont lieu au Mali doivent être replacés dans leur contexte géopolitique et stratégique. Aucun responsable militaire français n’a jamais imaginé que l’action militaire française mettrait fin à la violence qui sévit au Nord Mali. En effet, les théoriciens militaires ont toujours distingué 4 phases dans une insurrection : la subversion avec des actions individuelles ou de petits groupes, la constitution de bandes armées (katibas) capables de mener des actions contre les forces armées ou des objectifs choisis et de les tenir quelques temps ; la constitution d’un sanctuaire inviolable dans le pays où la rébellion installe son administration, ses camps d’entrainement, sa logistique ; et enfin le soulèvement général et la prise de la capitale.
La France est intervenue au moment de l’enclenchement de la quatrième phase par AQMI et le MUJAO. L’action militaire française a permis de renvoyer la rébellion islamique au niveau de la phase 1. Mais elle n’a pas éradiquée les causes de la rébellion qui sont de nature culturelle, religieuse et politique.
En effet, au Sahel, l’opposition a existé de tous temps entre les peuples nomades du Nord qui sont des guerriers et les populations sédentaires du Sud qui n’ont pas ces valeurs militaires dans leur culture. A cela s’est greffée l’islamisation des peuples du Nord avec les dérives extrémistes contemporaines propres à cette religion. La colonisation française a créé, par l’école, des élites intellectuelles dans les populations noires du Sud mais elle a eu peu de prise sur les peuples nomades qui sont restés, à de rares exceptions[1], repliés sur leur culture traditionnelle. A la décolonisation, le pouvoir politique et administratif est revenu naturellement aux lettrés alors que la force militaire, sur leur terrain, était toujours aux mains des nomades qui n’ont jamais accepté d’être administrés dans leurs régions par d’autres que par eux-mêmes. Toutes les crises au Tchad dans lesquelles la France a été impliquée depuis 1969 ont été fondées sur les mêmes causes. La stabilité du Tchad n’existe que depuis qu’un chef militaire issu du Nord, Idriss Deby, a pris le pouvoir à N’Djamena.
Tant que Bamako n’aura pas accepté que, dans le cadre de l’unité du Mali, les régions quasi désertiques allant de la frontière algérienne jusqu’au fleuve Niger disposent d’une autonomie administrative du même type que celle que Madrid a fini par consentir au peuple Basque, les islamistes disposeront d’un terreau favorable et le Nord Mali ne connaitra pas la Paix.
En effet, l’élection présidentielle n’a pas fait taire les surenchères politiques concernant la mise au pas du Nord[2]. Cela fait penser que cette solution de bon sens aura bien du mal à s’imposer et que le niveau de violence que l’on observe actuellement au Nord se maintiendra quelle que soit la montée en puissance de l’armée malienne.
La présence militaire française réduite permettra de maintenir entre les stades 1 et 2 la rébellion du Nord Mali attisée par les brigades islamiques revendiquant leur appartenance à la mouvance d’Al-Qaïda et de protéger le développement des sites miniers qui fourniront au gouvernement les moyens de financer sa sécurité et un certain développement économique.
Mais il ne faut pas espérer obtenir plus que cela tant qu’une solution politique ne sera pas trouvée avec les leaders du Nord.
[1] Je pense à mon ami Mano Dayak, issu d’une tribu des ifoghas, disparu tragiquement dans un accident d’avion en décembre 1995. Mano m’avait raconté comment il a avait été obligé de suivre à 10 ans les cours de l’école française nomade qui lui avait fait petit à petit prendre gout aux études.