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Comment notre pays a basculé dans la drogue (suite) : La privation des droits des citoyens
Publié le lundi 17 octobre 2016  |  L’Inter de Bamako
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Tous les groupes de discussion et entretiens ont mis en avant l’absence de l’État dans la vie des personnes ordinaires d’Afrique de l’Ouest, et le fait qu’il devenait un concept au mieux dénué de sens et au pire péjoratif. Cela est particulièrement fréquent et préjudiciable chez les jeunes, qui n’ont connu aucune autre forme de gouvernance et qui n’ont rien connu d’autre qu’un État corrompu et intéressé.
En conséquence, les habitants ne se considèrent pas comme les citoyens d’un pays, mais plutôt comme les membres d’entités sociales subnationales ou transnationales spécifiques (famille, tribu, ethnie ou village). Ce sont ces entités qui permettent d’accéder aux services d’ordre, de sécurité et sociaux élémentaires.
Un membre du groupe de discussion d’Agadez a expliqué que «la notion «d’État» n’a aucun sens pour la plupart des nigériens. Les autres affiliations identitaires et communautaires sont plus importantes que les idées de citoyenneté nigérienne».
De même, en Guinée-Bissau, un manque d’homogénéité et d’unité, ainsi qu’une solide structure tribale, compliquent la construction de l’État, car certains groupes ethniques n’ont pas le sentiment d’être représentés : «Il n’y a aucun sens du bien commun, de la représentativité et de la protection citoyenne».
Un participant a décrit comment les chefs locaux servaient d’intermédiaires entre leur clan et le gouverneur local et «qu’il s’agissait de la partie visible de l’interaction avec l’État» pour une personne lambda. La population a confiance dans sa communauté et ses leaders, mais ne fait pas confiance au gouvernement.
De même, un participant du groupe de discussion du Niger a expliqué, «Je me sens comme un étranger ici. Je ne connais pas l’État du Niger. Si les islamistes maliens de Mouvement pour L’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) étaient venus au Niger, j’aurais volontiers pris un AK-47 pour leur apporter mon soutien».
Enfin, le trafic participe à la privation des droits des citoyens, ou, comme un participant l’a dit : «Pourquoi voulez-vous être proche d’un État qui ignore votre existence ? L’État n’est que l’uniforme et le fusil».
«Pourquoi voulez-vous être proche d’un État qui ignore votre existence ? L’État n’est que l’uniforme et le fusil»
Avec un sentiment de loyauté ou d’engagement envers l’État si mince, et face à l’absence de résultat positif quant au statut d’État, la criminalité, la corruption, le vol et le détournement des ressources de l’État sont une conséquence naturelle. Dans le cadre d’un État absent et corrompu, le fait de percevoir le trafic illicite ou la contrebande comme des activités criminelles, ou mauvaises, ou même préjudiciables n’a aucun sens dans un contexte où se mêlent, à une plus grande échelle, problèmes et instabilité politiques.
Pour reprendre une description assez peu élégante d’un des participants du groupe de discussion de Kidal : «Toutes nos activités équivalent à pisser dans un violon !».
Réponses émanant de la communauté
Ce que les groupes de discussion communautaires ont décrit est un cycle négatif, vicieux et auto-renforcé caractérisé par la pauvreté, la criminalité, la corruption et la privation des droits (tel que cela est illustré dans la Figure 2). Aux fins de ce rapport, les thèmes abordés dans le cadre des discussions et des entretiens ont été regroupés dans un certain nombre de rubriques alors qu’en fait ils sont très étroitement liés et forment un cycle central négatif, dont les impacts négatifs sont multiples sur la sécurité humaine et de l’État, et qui favorise la violence, les conflits, et le détournement des ressources de l’État destinées au développement à des fins de corruption.
Ce n’est que très récemment que l’étendue de la prédation de l’État par les réseaux criminels a été révélée, comme le souligne la chute du gouvernement démocratiquement élu au Mali. En grande partie inaperçus (ou au moins non remarqués), le trafic illicite et la contrebande sous leurs formes traditionnelles ont corrompu et corrodé la gouvernance et la sécurité locales.
Entre autres, le coup d’état au Mali a permis de révéler l’ampleur du mécontentement populaire vis-à-vis de la classe politique et combien elle a été discréditée, ce qui a surpris de nombreux membres de la communauté internationale. Le fonctionnement formel des institutions démocratiques peut dissimuler l’extrême fragilité d’un régime, et pour concevoir des réponses efficaces, il faut comprendre de quelle façon ces dynamiques intéressent au niveau local.
L’une des raisons les plus importantes pour lesquelles des enquêtes détaillées sont conduites sur les perceptions de la communauté est que les résultats peuvent souvent mettre à mal l’avis général sur la façon dont les gens ordinaires voient leur vie quotidienne. La conception de réponses politiques efficaces requiert que ces points de vue soient pris en compte. Cette étude n’a peut-être consulté qu’un nombre limité de personnes, mais elle a offert de nouvelles perspectives sur les problèmes de conflits, de gouvernance et de fragilité étatique en Afrique de l’Ouest et au Sahel.
Jusqu’ici, la menace posée par la criminalité organisée et le financement qu’elle fournit aux groupes terroristes était principalement perçue à partir du point de vue des parties prenantes internationales et de leur motivation à protéger leurs propres intérêts de sécurité nationale. C’est pourquoi le problème du trafic illicite et de la criminalité organisée avait d’abord été observé à travers une lentille de sécurité : la nécessité d’investir dans le contrôle des frontières, la capacité de mise en application des lois, le partage des renseignements et la coopération internationale.
Au contraire, les groupes de discussion et les informateurs clés interrogés ont proposé un certain nombre de priorités et de points d’entrée alternatifs afin d’inverser le cycle négatif de la criminalité, de la corruption et de la mauvaise gouvernance sur le long terme, et d’une façon durable.
Les recommandations de réponses suivantes ont été générées par les personnes interrogées elles-mêmes, et reflètent les inquiétudes du point de vue des communautés locales.
Gouvernance et État source de développement
En dépit du fait que bon nombre des groupes de discussion basés sur la communauté, et des informateurs interrogés, ont exprimé un sentiment de privation des droits, de frustration et de désespoir vis-à-vis de l’État, ils souhaitaient en fin de compte voir l’État se relever et jouer un rôle positif dans leur vie.
Les participants du groupe de discussion de Kidal ont unanimement conclu, «Il est de la responsabilité de l’État malien de résoudre ces problèmes». Le groupe de Figure 2 Un cycle négatif de la privation des droits et de l’érosion étatique.
Pauvreté /
POINTS DE VUE DE LA POPULATION SUR LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE EN AFRIQUE DE L’OUEST ET AU SAHEL discussion de Gao a souhaité voir «le pays réformé afin de raviver la foi et la confiance dans l’État dans son ensemble». Le groupe de Niamey, au Niger, a également conclu que «si une initiative doit être prise, elle doit avoir pour objectif de renforcer la présence de l’État dans les régions du nord qui sont vulnérables au trafic». Même en Guinée-Bissau, où le gouvernement a été dépeint comme corrompu et intéressé depuis sa création, les membres de la communauté souhaitaient voir «la présence de l’État dans tout le pays, y compris au sud et dans les îles».
Alors qu’un certain nombre d’acteurs internationaux ont peut-être reconnu la nécessité de renforcer le développement et les interventions sécuritaires au Sahel, et que l’engagement international dans la région est sans précédent depuis la chute du Mali, les groupes de discussion ont fortement insisté sur le fait que les interventions internationales avaient leurs limites et qu’ils souhaiteraient plutôt voir une aide émanant de l’État.
Les participants du groupe de discussion au Mali ont décrit l’union de longue date entre le président Touré et les donateurs internationaux, qui a renforcé la perception selon laquelle le Mali n’était pas un État souverain axé sur les besoins de sa population. Ils ont largement dépeint la présidence de Touré comme ayant été «envahie par les étrangers», même si, comme l’a sèchement déclaré un des participants, «Au lieu d’une invasion, il s’agissait d’une invitation ».
Le président Touré a cédé les principales responsabilités souveraines aux acteurs internationaux, notamment le droit de passage et le contrôle des frontières, et cela a renforcé la perception que l’État malien était faible et incapable de fonctionner seul.
Afin d’éviter que cette perception perdure avec la nouvelle administration, ou se renforce dans l’ensemble de la région, des efforts internationaux de soutien au nouveau gouvernement malien, et à ses voisins, devraient renforcer les principes d’appartenance nationale et l’implication de l’État dans son rôle. Il était clair qu’il fallait projeter l’influence de l’État au-delà de la capitale et des villes principales. «La présence de l’État se limite aux centres urbains, et encore pas tous, et le manque le contrôle et d’influence facilite la prolifération de la criminalité organisée».
Les participants nationaux ont insisté sur l’importance de voir l’État diriger des efforts de développement et projeter les institutions étatiques dans ces «corridors de non-droit», où elles n’étaient auparavant pas vraiment ressenties, en créant des impacts visibles pour les segments de la société privés de droits et la population en général. Un participant a souligné le fait que la visibilité était essentielle, puisque la majorité des personnes étaient analphabètes et n’avaient pas accès à la télévision.
Des efforts tangibles de l’État pour acheminer l’eau, par exemple, même à petite échelle, favoriseraient la confiance envers l’État, et inciteraient davantage les populations du nord à se reposer sur l’État au lieu des divers acteurs non étatiques, légitimes ou non.
Les priorités de développement mises en avant par tous les participants consistaient à proposer des opportunités économiques alternatives, ce qui réduirait la dépendance envers l’économie illicite. Les participants des groupes de discussion ont reconnu qu’il ne serait pas facile de trouver des alternatives légitimes susceptibles de rivaliser avec les revenus générés par le trafic : «Lorsque le [président Touré] s’est rendu dans la région de Kidal pour annoncer le Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du Nord Mali (ou le plan PSPSDN), il a expliqué à un large auditoire de jeunes gens du nord que le projet ciblerait les besoins du nord en termes d’opportunités d’emplois et de formation (en mécanique, en maçonnerie, au métier de tailleur, etc.).»
Des voix se sont élevées pour critiquer ce discours. Les jeunes ont répondu que cela n’avait rien à voir avec des «emplois» et qu’ils étaient heureux des emplois qu’ils occupaient depuis ces dernières sept à dix années : en tant que guides et conducteurs pour les trafiquants.68 Les emplois précaires et difficiles ne constitueront pas une alternative durable, mais il est nécessaire de créer de nouveaux secteurs économiques efficaces dans chaque pays et dans la région, et d’adapter les compétences aux emplois.
Au Niger, le secteur bourgeonnant des industries extractives a été proposé en guise d’exemple, à la condition que les opportunités d’emplois de ces secteurs soient offertes aux populations locales.
Sécurité, police communautaire et accès à la justice
Parce que la communauté est heureuse de voir l’État au premier plan dans la lutte contre la criminalité organisée, un certain nombre de participants ont indiqué la nécessité de renforcer la capacité de l’État à assurer la sécurité et la justice. Il y a deux volets à cela : le renforcement de la capacité civile à mettre en application les lois au niveau de la communauté, particulièrement dans les communautés situées le long des routes de trafic ; et l’établissement de la capacité à assurer une condamnation rapide des trafiquants reconnus coupables ou des fonctionnaires corrompus.
…l’importance de voir l’État diriger des efforts de développement et projeter les institutions étatiques dans ces «corridors de non-droit», où elles n’étaient auparavant pas vraiment ressenties…
Il est important de souligner que lorsque les groupes de discussion et les informateurs parlaient de la nécessité de renforcer la capacité sécuritaire, l’accent était rarement mis sur les compétences techniques mais plutôt sur l’intégrité et la façon dont les fonctionnaires de sécurité s’engageaient auprès de la population.
Lors d’une discussion avec un groupe de maires venus de tout le Mali, il est ressorti qu’aucun des maires régionaux n’avait de police dans sa commune, à l’exception des maires des communes situées à côté de Bamako.
Sans force de police nationale, les «membres de la communauté essaient de faire la police eux-mêmes et assurent la sécurité de leur propriété grâce à des accords locaux de surveillance». Sans structure policière civile, l’armée est la seule branche de l’État associée à la loi et l’ordre, et dans les trois pays, elle est réputée pour sa corruption, son ingérence dans la politique, ses tactiques musclées, et ses fréquentes violations des droits de l’homme. Comme un des groupes de discussion maliens l’a mis en avant, ce dont ils ont besoin c’est «de forces armées capables et respectueuses, qui peuvent prendre en charge la surveillance des frontières maliennes».
Quelques participants ont demandé une réforme profonde du secteur sécuritaire : «Les NU [Nations Unies] doivent agir contre les militaires. Les Guinéens sont très fatigués !» D’autres ont parlé de la nécessité d’augmenter de façon importante le nombre et la capacité des forces de police civiles et militarisées (gendarmes), et d’accroître le nombre de postes aux frontières. Cependant, s’il n’y a pas suffisamment de ressources, de volonté et d’élan politique pour cela, d’autres mesures peuvent être prises pour renforcer la confiance et l’intégrité des forces sécuritaires.
Les participants ont demandé à ce que des efforts soient faits pour «favoriser une culture d’honnêteté et d’intégrité... au sein des services sécuritaires» et construire une capacité sécuritaire locale. Ils ont également suggéré d’augmenter la rotation des services de sécurité actifs au sein des communautés vulnérables au trafic illicite, car les pots-de-vin distribués aux fonctionnaires de sécurité «permettent de veiller à ce que ceux déjà en place restent afin de pérenniser le profit issu du trafic».
La nécessité de renforcer le secteur de la justice a été jugée comme essentielle. Les participants ont parlé d’interventions sur plusieurs niveaux, notamment le renforcement du pouvoir judiciaire et la protection des procureurs et des magistrats qui essaient de mettre un terme au trafic : «Les procès qui impliquent des militaires en tant qu’auteurs présumés [sont des procès qu’] aucun fonctionnaire judicaire n’a le courage de traiter. Cela n’est pas par manque de compétences techniques, [mais] du fait du manque de sécurité du magistrat».
De même, ils ont parlé de la nécessité de trouver «une façon d’encourager un témoin à témoigner contre un criminel», cela créerait une culture du signalement et de la responsabilité. Il a été considéré comme essentiel d’avoir des médias indépendants, et une société civile libre d’enquêter et de signaler les violations de la justice et des droits de l’homme afin de créer une culture basée sur l’État de droit.
Les membres de la société civile interrogés dans le cadre de l’étude ont souligné la nécessité de protéger ceux qui dénoncent. Enfin, les participants des trois pays ont mis en avant la nécessité de favoriser l’accès à la justice, et ont exprimé leur frustration quant à l’inefficacité du système de justice.
En finir avec la corruption et l’impunité
La priorité qui a peut-être été considérée comme la plus urgente par les participants nationaux a été la nécessité d’en terminer, de façon visible, avec l’impunité des criminels et des trafiquants car elle participe à la privation des droits des citoyens et rend inefficaces et hypocrites les tentatives visant à endiguer le trafic. Sans oublier, la corruption généralisée qui détourne l’aide au développement de ses objectifs, réduisant ou annulant ainsi les contributions.
Les participants du groupe de discussion d’Agadez ont ajouté que l’élite politique ne devrait pas avoir le sentiment d’être en-dehors des lois ou être perçue comme «intouchable». Toutes les consultations communautaires ont souligné qu’il fallait un élan suffisant pour s’attaquer au plus gros poisson de l’étang, réduire la corruption conduite par l’État, et poursuivre les plus hauts responsables du gouvernement si cela s’avère nécessaire : «Les américains doivent venir ici avec un porte-avions et emmener les milliers de Bubos aux États-Unis».
Ce fut le cas en avril 2013, lorsque l’ancien chef de la marine de la Guinée-Bissau, José Américo Bubo Na Tchuto, a été arrêté en mer par la Drug Enforcement Agency (DEA) américaine et inculpé pour trafic de drogue et achat de missiles sol-air et de fusils d’assaut AK-47 avec lance-grenade pour les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Il aurait accepté de réceptionner de la cocaïne au large de la côte de Guinée-Bissau et de la stocker avant son expédition ultérieure vers les États-Unis et l’Europe.
Selon l’acte d’inculpation de la DEA, il négociait une partie de la cocaïne qu’il utilisait pour soudoyer les représentants de l’État, y compris le président, et faire traverser la drogue dans le pays sans encombre. Quelques jours plus tard, un acte d’inculpation similaire a été émis à l’encontre d’Antonio Indjai, l’actuel chef d’état-major des forces armées de Guinée-Bissau. Au moment de la rédaction du rapport, il était toujours libre et en poste.
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Source : Institut d’Etudes et de Sécurité
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