Étrange personnage que ce général touareg, célébré en héros à Bamako et soupçonné d’être à la tête du Gatia, groupe armé devenu acteur majeur du conflit. « Sauveur » de la patrie ou franc-tireur ?
C’est un personnage déroutant, El Hadj Ag Gamou. On en parle parfois comme d’un général, ce qu’il est depuis trois ans ; parfois comme d’un chef de tribu touareg, ce qu’il est devenu il y a deux ans ; et parfois, plus souvent à vrai dire, comme du véritable patron d’une milice, le Groupe autodéfense touareg imghad et alliés (Gatia), ce qu’il est selon toute vraisemblance, même s’il refuse de le confirmer.
Soutenu par le peuple
Ce paradoxe devrait interroger les Maliens. Pourtant, dans la presse, sur les réseaux sociaux et dans la rue, Gamou est présenté comme un « héros ». Lorsque, le 22 septembre, une déclaration qui lui est attribuée (à tort, affirme son entourage) est postée sur Facebook, dans laquelle il reconnaît appartenir au Gatia, un mouvement armé construit sur une base ethnique et accusé d’avoir commis des exactions, les louanges pleuvent. Les internautes en parlent comme d’une « icône nationale », d’un « sauveur » de la patrie. Le seul capable de régler leur compte aux indépendantistes touaregs.
Jamais cet ancien rebelle de 52 ans, connu des Maliens depuis plus de vingt-cinq ans, n’avait acquis une telle popularité – pas même après son coup d’éclat de mars 2012, lorsque, en pleine débandade de l’armée, il avait fait croire aux rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qu’il les ralliait avant de jurer fidélité à l’État malien depuis Niamey, où ses hommes et lui s’étaient repliés.
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« Gamou, c’est notre fierté, résumait récemment un fonctionnaire bamakois. C’est le seul officier qui va au feu. Cela fait des années qu’il se bat pour défendre l’unité du pays. Il mérite notre gratitude. » Moins enthousiaste est l’analyse d’un ancien ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) : « Gamou est l’arbre qui cache la forêt. Notre armée multiplie les défaites depuis des années. Lui aussi, mais son courage et sa persévérance nous redonnent un peu d’espoir. »
C’est vrai qu’il est courageux et qu’il n’hésite pas à aller au combat. En janvier 2013, il pénètre à Gao dans la foulée des militaires français. Ce sont ses hommes qui traquent les jihadistes. En mai 2014, quand le Premier ministre Moussa Mara se rend à Kidal en dépit des risques, il est à ses côtés. La visite tourne au fiasco. Des dizaines de civils et de militaires sont tués. Lorsque l’armée tente de prendre sa revanche quelques jours plus tard, Gamou est une nouvelle fois en première ligne. Nouveau fiasco. Nouvelles pertes.
Un appui à l’armée
Après cette débâcle, un cessez-le-feu négocié par le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz gèle les positions. L’armée malienne est paralysée. Mais Gamou, qui s’est juré de débarrasser le Mali du MNLA (autant par patriotisme que par soif de revanche), n’a pas dit son dernier mot. Dans le plus grand secret, et avec l’assentiment des plus hautes autorités, celui qui fait alors office de conseiller du ministre de la Défense fonde le Gatia avec les hommes qui le suivent depuis des années.
Officiellement, ce groupe armé n’a aucun lien avec Gamou et a été créé pour défendre la tribu des Imghads, particulièrement ciblée par les éléments du MNLA et du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) dans les régions où l’armée a été chassée. Mais sa véritable raison d’être est tout autre : il s’agit de suppléer l’armée dans sa reconquête du territoire et de préparer la grande offensive. La ficelle est grosse, elle ne trompe personne en dépit des dénégations des autorités.
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Très vite, les missions onusiennes et européennes constatent que nombre des éléments du Gatia sont issus des rangs de l’armée, qu’ils se déplacent avec des véhicules de l’armée, qu’ils se battent avec des armes récemment acquises par l’armée et, surtout, qu’ils obéissent aux ordres du général Gamou.
À vrai dire, il n’y a là rien de nouveau. Gamou est un habitué des missions interlopes et secrètes : sous Amadou Toumani Touré (ATT) déjà, il avait été chargé de créer une milice (baptisée Delta) afin de mener la vie dure aux irréductibles issus de la rébellion de 2006. En échange, ATT, qui avait une foi totale en lui, le laissait faire ce qu’il voulait dans le désert, y compris prendre sa part dans les trafics en tout genre, de drogue notamment.
Un élément incontrôlable
Sa relation avec IBK est différente. Le Président, dit-on dans son entourage, ne lui fait guère confiance. Il ne veut pas s’afficher à ses côtés. Il a même tenté de le rappeler à l’ordre. Mais de l’aveu même d’un de ses anciens ministres, « le monstre que nous avons créé nous a échappé ». Gamou ne fait plus que de rares apparitions à Bamako. En mai, un autre ministre ne cachait pas sa frustration : « Où est-il ? Que fait-il ? Nous n’en savons rien. Il se balade quelque part dans le Nord. Il fait ce qu’il veut ! »
Au sein de l’état-major, on affirme que Gamou est « à la disposition du ministre de la Défense » et qu’il n’a « aucun lien officiel avec le Gatia ». Mais on n’explique pas qui sont les hommes qui l’accompagnent sur le terrain ni pourquoi un général si réputé n’a aucune mission opérationnelle.
Dans l’armée, ce schisme crée des tensions. Il y a ceux qui s’en offusquent. « C’est un problème tout de même », estime un colonel. « D’abord parce qu’il y a parmi les hommes de Gamou des soldats de l’armée, et qu’ils n’obéissent qu’à lui : c’est la base de la discipline militaire qui est bafouée. Ensuite parce qu’on se demande s’ils défendent l’intérêt de la nation ou leurs propres intérêts. »
Et il y a ceux qui pensent que, sans lui, le Nord serait perdu. Le général Dacko, nommé à la tête de l’état-major en juin, est de ceux-là. Très proche de Gamou depuis plusieurs années, il lui a publiquement apporté son soutien en août, en saluant un « frère et ami qui a fait preuve d’un leadership sans pareil ». « Gamou fait le sale boulot, c’est lui qui tient la baraque », glisse un officier proche de Dacko.
Une menace grandissante
Au fil des mois, le Gatia a gagné des alliés, s’est imposé comme un acteur majeur du conflit, a participé aux négociations de paix à Alger et a repris du terrain aux mouvements issus de la rébellion, désormais regroupés au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Son travail de sape a porté ses fruits. Mais il s’est aussi spectaculairement émancipé de la tutelle de Bamako et plusieurs sources font état de liens étroits avec les narcotrafiquants dans le Nord (lire encadré).
Ce mélange des genres est loin d’être une exception dans le septentrion. Il ne choque pas ceux qui voient en Gamou le « dernier rempart » pour défendre l’unité du Mali. Mais il irrite de plus en plus les partenaires du pays, lesquels se désolent de voir le processus de paix faire du surplace.
Fin septembre, Paul Folmsbee, l’ambassadeur américain au Mali, a mis les pieds dans le plat en demandant devant la presse au gouvernement de « mettre fin à tous les liens, à la fois publics et privés, avec le Gatia, une milice armée qui ne contribue pas à ramener la paix dans le Nord ». La présidence n’a pas réagi. Le groupe armé, lui, s’est offusqué d’être ainsi maltraité. Quant à Gamou, il s’est tu, comme à son habitude.
Le narcotrafic en toile de fond
Les éléments du Gatia, qui sont sensiblement les mêmes que ceux qui formaient la milice Delta, ont semble-t-il repris le « business » des années ATT. Nombre des batailles qu’ils ont menées ces deux dernières années avaient pour but de reprendre le contrôle de localités considérées comme étant des carrefours stratégiques pour les trafiquants.
« Ne cherchez pas », tranche un Touareg du Niger qui suit de près ces questions. « Chaque fois qu’on se bat dans le nord du Mali, c’est pour les routes de la drogue, pas pour autre chose. » Un ancien ministre malien, qui se désole de voir Gamou érigé au rang de héros national, l’admet : « Tout ce qui se passe aujourd’hui dans le Nord est commandé par le trafic de drogue. Gamou n’y échappe pas. »... suite de l'article sur Jeune Afrique