Le 11 octobre 2016, la Chancelière allemande a appelé à une intervention d’urgence de l’Union africaine dans la crise libyenne. C’était à Addis-Abeba, en Ethiopie, la dernière étape de sa tournée africaine (Mali, Niger et Ethiopie). Pour Angela Merkel, qui intervenait ainsi à l’inauguration d’un nouveau bâtiment de l’Union africaine à Addis-Abeba, cette organisation doit «mettre son influence à profit pour aider à résoudre le conflit en Libye, devenue un triste exemple de l’effondrement d’une structure étatique».
Cet appel de la dirigeante allemande n’a pas surpris les observateurs d’autant plus que le vrai objectif de sa récente tournée africaine était de partager avec des dirigeants des pays visités (Mali, Niger et Ethiopie) l’approche allemande sur la gestion du flux migratoire auquel l’Allemagne fait face ces dernières années.
«Angela Merkel sollicite clairement l’aide de l’Afrique pour faire face aux conséquences du chaos créé en Libye par Nicolas Sarkozy et ses alliés occidentaux. L’Afrique n’a pourtant été ni sollicitée ni écoutée au moment d’éliminer Kadhafi en 2011, livrant ainsi son pays à des tribus avides de pouvoir et à des réseaux terroristes», souligne un consultant indépendant malien spécialisé sur les questions de sécurité dans la bande sahélo-saharienne.
«Toutes les préoccupations abordées par Mme Merkel avec les dirigeants africains, notamment la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine, sont en partie liés à la situation créée en Libye par ses amis de l’OTAN», renchérit un diplomate africain en poste à Bamako.
Selon des sources diplomatiques maliennes et européennes à Bamako, la question de l’immigration clandestine a été le principal sujet du tête-à-tête entre la Chancelière allemande et le président Ibrahim Boubacar Kéita à son arrivée dans la capitale malienne.
Cela se comprend car au moment où Mme Angela Merkel foulait le sol malien, plus de 400 Maliens sont officiellement dans le «couloir de l’expulsion» en Allemagne. Une épineuse question récemment évoquée par une délégation de parlementaires allemands en visite au Mali.
Et selon des observateurs, les deux cuisantes défaites électorales locales du parti de Mme Merkel est une réaction de l’opinion allemande contre sa politique d’accueil des réfugiés. D’où sa volonté de durcir un peu plus sa politique d’immigration sans trop frustrer ses partenaires africains.
Avec ceux-ci, pour endiguer le flux de réfugiés en provenance de l’Afrique, il est question d’un accord sur le modèle de celui signé en mars dernier entre l’Union européenne et la Turquie. Selon le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), plus de 300.000 Africains ont traversé la Méditerranée depuis le début de l’année pour se rendre en Europe.
Et une grande partie d’entre eux sont originaires d’Afrique sub-saharienne et transitent généralement par le Mali, le Niger ou le Tchad pour se retrouver en Libye.
Aider l’Afrique à se développer pour contrer la migration clandestine
Le bien-être des Africains est «dans l’intérêt des Allemands» et constitue une question «stratégique extrêmement importante», a-t-elle insisté dans un entretien publié par la presse allemande à la veille de sa tournée africaine.
«Les gens sont à notre porte. Je ne crois pas que nous ferons disparaître ce problème en l’ignorant, en le tenant à distance ou par le repli sur soi… Notre sécurité, la possibilité de vivre en paix et notre développement durable sont liés à la situation des gens qui vivent très loin de nous», a-t-elle défendu dans le même entretien.
«Le Niger est un pays-clé dans la lutte contre le terrorisme et la migration illégale en provenance d’Afrique de l’Ouest», a récemment déclaré l’ambassadeur d’Allemagne au Niger, Bernd von Münchow-Pohl, en annonçant la construction au Niger d’une base militaire en «appui» à la Minusma.
La nouvelle démarche de la chancelière allemande sur les questions du terrorisme et de l’immigration clandestine est de mettre en œuvre des réformes économiques et démocratiques pour éradiquer les facteurs les favorisant sur le continent.
«Il est important pour nous d’établir une cohérence entre notre coopération en matière de développement et notre soutien militaire... Le militaire seul ne peut apporter la sécurité et la paix», a souligné la Chancelière lors du point de presse animé le 9 octobre à Bamako faisant ainsi le lien entre développement, criminalité et migration.
Et pour bien marquer les esprits et amener ses interlocuteurs à adhérer à son approche, elle avait ajouté, «il est important que l’Afrique ne perde pas ses meilleurs cerveaux». A Bamako, le président Ibrahim Boubacar Kéita a donné l’assurance à son hôte que son pays œuvrait à «réduire le flux de migrants à destination de l’Europe».
Et cela d’autant plus, a justifié IBK, que les passages vers l’Eldorado se font dans «des conditions qui s’avèrent toujours plus périlleuses que jamais» et qui font que, aujourd’hui, «la Méditerranée est devenue un cimetière à ciel ouvert pour nos parents… C’est pourquoi nous sommes soucieux de trouver avec nos amis européens des solutions».
Selon le ministère des Maliens de l’Extérieur, 376 jeunes du pays sont morts dans la Méditerranée en 2015. «Même si nous avons la volonté politique d’aider l’Allemagne et l’Europe, endiguer l’immigration clandestine est presque de l’utopie sans la paix. Et cela d’autant plus que les régions du nord échappent à notre contrôle alors qu’elles constituent des zones de transit pour rejoindre l’Algérie ou le Niger avant d’embarquer à partir des côtes libyennes. Sans la paix et la sécurité, nos pays n’auront aucune maîtrise sur la migration vers l’Europe», rappelle un diplomate malien sous l’anonymat.
Il met aussi en exergue les enjeux socioculturels de l’immigration. Selon des statistiques officielles, les migrants maliens injectent en moyenne 400 milliards de F CFA (environ 608 000 000 Euros) par an dans l’économie malienne.
«En 2012, au moment où toutes les aides internationales étaient suspendues, la diaspora malienne a contribué à envoyer 431 milliards de F CFA (près de 655 120 000 Euros)», a précisé Ousmane Kéita, conseiller technique au ministère des Maliens de l’extérieur, lors d’une récente conférence-débat organisée sur le sujet par l’Association malienne des expulsés (AME).
Mais, en échange du soutien des dirigeants africains concernés, la Chancelière Angela Merkel promet de faire de l’Afrique sa priorité lors du sommet du G20 qui se tiendra l’an prochain et dont l’Allemagne assure la présidence.