Fantaisie de la modernité, obsession idéologique pour une égalité parfaite homme/femme ou nécessité sociologique ? En tout cas, la féminisation des noms de fonctions, de grades et de titres est la chose la moins partagée dans le monde francophone où chacun y va selon ses humeurs ou en subissant un effet de mode injustifié. La situation nécessite l’intervention énergique des autorités publiques de nos Etats dans le sens d’une régulation, voire d’une normalisation afin que l’on sache finalement à quelle féminisation se fier. L’Académie française a déjà élevé le ton pour rendre publique sa position sur la question, non sans rappeler à l’ordre les services publics qui se sont aventurés su le terrain glissant sans la consulter.
In jeune député français, qui tenait à manifester son opposition farouche à la féminisation des noms de fonctions et de titres, a hélé Sandrine Mazetier remplaçant Claude Bartolone au Perchoir, d’un très fort “Madame le Président”, Le jeune élu n’en était pas à son premier coup du genre, mais cette fois-ci il sera sanctionné d’une amende correspondant à un quart de son indemnité parlementaire. Mais que signifie cette somme dérisoire pour celui qui a trouvé ainsi le moyen de faire le buzz de l’actualité et d’attirer par ce truchement l’attention de tout le monde sur le combat qu’il menait depuis plusieurs années ? En effet, il avait fini par atteindre son objectif : susciter une levée de boucliers contre la féminisation des noms de fonctions, de grades et de titres car 140 députés l’ont soutenu pour réclamer, dans une lettre-pétition, l’annulation de la sanction, en manifestant à leur tour contre cette manie de féminisation généralisée des noms de titre.
Cet incident, un de plus concernant cette histoire de féminisation des noms avait poussé l’Académie française à faire une mise au point rendue publique le 10 octobre 2014 (voir texte de la mise au point).
Ici au Mali, ce jeune député français aurait certainement reçu le soutien de Mme Manassa Dagnoko, président (gare à qui dira présidente) de la Cour constitutionnelle du Mali car elle abhorre cet abus de langue qu’est la féminisation tous azimuts des noms de fonction, titres et grades. Elle n’a d’ailleurs pas manqué d’en faire écho une fois.
Mais en lisant la presse du Mali ou celle de pays francophones d’Afrique, on y retrouve cette dynamique de féminisation alors que, jusqu’à présent, les Etats concernés restent de marbre, en rajoutant à la confusion ambiante car pas un décret ou un autre écrit solennel et officiel n’a été publié sur la question pour trancher le débat.
Rappelons que l’un des arguments portés par le député français réfractaire à la féminisation des noms (et repris par ses soutiens) est que “Madame la Présidente “ ne serait pas, selon eux, la femme qui occupe la fonction présidentielle, mais celle qui partage la vie et le lit du Président. Idem pour “Madame la Préfète” ou “Madame l’Ambassadrice” qui seraient les épouses du Préfet et de l’Ambassadeur.
Dans un sens c’est vrai puisqu’effectivement, dès le XVIIè siècle, selon le Robert historique, on a attribué aux épouses le titre féminisé de leurs maris. Raison pour laquelle, quand à partir de la fin du XIXè et du début du XXè, les femmes ont commencé à exercer des fonctions jusque-là réservées aux hommes, elles ont souvent préféré prendre le titre masculin qu’un titre féminisé dans le but précis de se distinguer des “femmes de…”. Pourtant, leur objectera-t-on, Le Robert historique et Le Littré soutiennent que depuis 1485, “Madame la Présidente” désigne aussi la “femme qui préside”.
Mais alors, si le titre féminisé doit uniquement désigner “les femmes de…” quel titre utiliser pour désigner, inversement, les époux des femmes “maris de… “. Le débat reste donc entier de ce point de vue-là.
Pourtant, pour certains, quand on parle d’une personne spécifique, au singulier, qui occupe la fonction présidentielle, il est parfaitement correct de la désigner en accordant le nom de son titre en genre : “Madame La Présidente” n’est pas donc, pour eux, une hérésie. Ce n’est pas non plus une réduction de la fonction à l’identité de la personne qui l’occupe, c’est la nature même d’une langue qui ne connait pas de “neutre”.
De toute façon, cette tendance à la féminisation exagérée des noms n’est pas une nouveauté. En effet, il a été révélé qu’entre le XIIè et le XVIè siècles déjà, on féminisait les titres et noms de métier sans sourciller: les femmes qui écrivaient étaient des autrices ou auteuresses, celles qui faisaient du commerce étaient des marchandes, celles qui avaient des fonctions dans l’administration étaient des administreresses, celles qui soignaient étaient des médecines et il y avait même des moinesses et des abbesses.
On a dû abandonner cette pratique de la féminisation tous azimuts des noms, jusqu’en 1999 en France, avec le “rapport Cerquiglini” qui fait référence au pays de Victor Hugo pour l’usage recommandé de “Madame la Présidente” quand on s’adresse, dans les instances de la République, à une femme qui occupe la fonction présidentielle. Depuis lors, les adeptes de la féminisation des noms ont tissé progressivement leur toile jusque dans les rouages de l’Administration elle-même embarquée dans cette pratique.
Pour la Communauté française de la Belgique, le Décret du 21 juin 1993 relatif à la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres a beaucoup contribué à rapprocher les positions et à aider les mentalités à progresser. Peu à peu, lentement mais sûrement, l’usage des formes féminines s’est installé d’abord dans les médias, la presse écrite, la radio et la télévision, puis dans la vie courante, pendant les campagnes électorales et enfin dans la publicité.
Cette implication des autorités publiques n’a pu vaincre les résistances de ceux qui pensent que les formes féminisées, par exemple magistrate sur le modèle d’avocate, huissière sur le modèle de caissière, échevine comme laborantine, étaient plus ou moins ringardes. Alors que le décret est d’application dans l’administration de la Communauté française de Belgique, des chefs de service, hommes ou femmes, freinent l’extension de la féminisation. D’autre part, ce sont souvent les femmes elles-mêmes qui répugnent à énoncer leur fonction ou leur titre au féminin.
En ce qui concerne l’administration, une enquête a révélé deux tendances. Au moment où, dans certains services, la féminisation était devenue normale et presque courante, dans d’autres, elle restait quasi ignorée. Pour quelle raison ? L’enquête a montré le poids de l’avis des chefs de service. Leur position favorable à la féminisation entrainait la majeure partie des membres du service à féminiser les noms de profession. Leur position défavorable ou non exprimée poussait le personnel à s’en tenir aux dénominations masculines. Les deux tendances s’observaient tant dans la langue orale (les appels téléphoniques) que dans la langue écrite (le courrier).
Au Mali, l’Administration résiste encore à l’assaut lancée par la féminisation des noms de titre, grades et fonctions. C’est surtout, la presse, dans les pays francophones, qui use et abuse de cette pratique de la féminisation des noms de fonction, grades et titres.
Mais à quel usage devrait-on se fier ? Ne vaudrait-il pas mieux s’en référer à la position rendue publique par l’Académie française ?
Amadou Bamba NIANG
Mise au point de l’Académie française
Un incident récent opposant à l’Assemblée nationale un député à la ” présidente de séance ” a attiré l’attention du public sur la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres. L’Académie française, fidèle à la mission que lui assignent ses statuts depuis 1635, tient à rappeler les règles qui s’imposent dans notre langue pour la formation et l’emploi de ces termes :
L’Académie française n’entend nullement rompre avec la tradition de féminisation des noms de métiers et fonctions, qui découle de l’usage même : c’est ainsi qu’elle a fait accueil dans la 8eédition de son Dictionnaire (1935) à artisane et à postière, à aviatrice et à pharmacienne, à avocate,bûcheronne, factrice, compositrice, éditrice et exploratrice. Dans la 9e édition, en cours de publication, figurent par dizaines des formes féminines correspondant à des noms de métiers. Ces mots sont entrés naturellement dans l’usage, sans qu’ils aient été prescrits par décret : l’Académie les a enregistrés pourvu qu’ils soient de formation correcte et que leur emploi se soit imposé.
Mais, conformément à sa mission, défendant l’esprit de la langue et les règles qui président à l’enrichissement du vocabulaire, elle rejette un esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées, des formes telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure, ingénieure, procureure, etc., pour ne rien dire de chercheure, qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes. Le français ne dispose pas d’un suffixe unique permettant de féminiser automatiquement les substantifs. S’agissant des métiers, très peu de noms s’avèrent en réalité, du point de vue morphologique, rebelles à la féminisation quand elle paraît utile. Comme bien d’autres langues, le français peut par ailleurs, quand le sexe de la personne n’est pas plus à prendre en considération que ses autres particularités individuelles, faire appel au masculin à valeur générique, ou ” non marquée “.
En 1984, après que le gouvernement eut pris une première initiative en faveur de ” la féminisation des titres et fonctions et, d’une manière générale, du vocabulaire concernant les activités des femmes “, l’Académie française fit publier une déclaration rappelant le rôle des genres grammaticaux en français. Les règles qui régissent dans notre langue la distribution des genres remontent au bas latin et constituent des contraintes internes avec lesquelles il faut composer.
L’une des contraintes propres à la langue française est qu’elle n’a que deux genres : pour désigner les qualités communes aux deux sexes, il a donc fallu qu’à l’un des deux genres soit conférée une valeur générique afin qu’il puisse neutraliser la différence entre les sexes. L’héritage latin a opté pour le masculin. Les professeurs Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss, à qui la Compagnie avait confié la rédaction de ce texte, adopté à l’unanimité dans la séance du 14 juin 1984, concluaient ainsi : ” En français, la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle.
La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de classification permettant éventuellement de distinguer des homonymes, de souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d’indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et favorisant, par le jeu de l’accord des adjectifs, la variété des constructions nominales… Tous ces emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe où la désignation contrastée des sexes ne joue qu’un rôle mineur. Des changements, faits de propos délibéré dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées. Ils risquent de mettre la confusion et le désordre dans un équilibre subtil né de l’usage, et qu’il paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de modifier ” (déclaration faite en séance, le 14 juin 1984).
Le 21 mars 2002, l’Académie française publie une nouvelle déclaration pour rappeler sa position, et, en particulier, pour souligner le contresens linguistique sur lequel repose l’entreprise de féminisation systématique. Elle insiste sur les nombreuses incohérences linguistiques qui en découlent (ainsi une recteure nommée directrice d’un service du ministère de l’Éducation nationale, ou la concurrence des formes recteure et rectrice – préférée par certaines titulaires de cette fonction). La Compagnie fait valoir que brusquer et forcer l’usage revient à porter atteinte au génie même de la langue française et à ouvrir une période d’incertitude linguistique.
” Un catalogue de métiers, titres et fonctions “ systématiquement et arbitrairement “féminisés” a été publié par la Documentation française, avec une préface du Premier ministre. La presse, la télévision ont suivi avec empressement ce qui pouvait passer pour une directive régalienne et légale ” (déclaration adoptée à l’unanimité dans la séance du 25 mars 2002). Or aucun texte ne donne au gouvernement ” le pouvoir de modifier de sa seule autorité le vocabulaire et la grammaire du français “.
Nul ne peut régenter la langue, ni prescrire des règles qui violeraient la grammaire ou la syntaxe : elle n’est pas en effet un outil qui se modèle au gré des désirs et des projets politiques. Les compétences du pouvoir politique sont limitées par le statut juridique de la langue, expression de la souveraineté nationale et de la liberté individuelle, et par l’autorité de l’usage qui restreint la portée de toute terminologie officielle et obligatoire. Et de l’usage, seule l’Académie française a été instituée ” la gardienne “.
Il convient par ailleurs de distinguer des noms de métiers les termes désignant des fonctions officielles et les titres correspondants. Dans ce cas, les particularités de la personne ne doivent pas empiéter sur le caractère abstrait de la fonction dont elle est investie, mais au contraire s’effacer derrière lui : c’est ce que mettait en lumière un rapport remis, à sa demande, au Premier ministre en octobre 1998 par la Commission générale de terminologie et de néologie, qui déconseillait formellement la féminisation des noms de titres, grades et fonctions officielles, par distinction avec les noms de métiers, dont le féminin s’impose naturellement dans l’usage. Ce texte marquait une grande convergence de vues avec l’Académie française et complétait utilement les déclarations sur cette question que la Compagnie avait elle-même rendues publiques. En 2002, l’Académie française constate que, ” de ce rapport, le gouvernement n’a pas plus tenu compte ” que de l'” analyse scientifique irréfutable ” des Professeurs Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss.
La Commission générale rappelle que, si l’usage féminise aisément les métiers, ” il résiste cependant à étendre cette féminisation aux fonctions qui sont des mandats publics ou des rôles sociaux distincts de leurs titulaires et accessibles aux hommes et aux femmes à égalité, sans considération de leur spécificité. […] Pour nommer le sujet de droit, indifférent par nature au sexe de l’individu qu’il désigne, il faut se résoudre à utiliser le masculin, le français ne disposant pas de neutre “. Elle ajoute que ” cette indifférence juridique et politique doit être préservée dans la règlementation, dans les statuts et pour la désignation des fonctions “.
Elle affirme ” son opposition à la féminisation des noms de fonction dans les textes juridiques en général, pour lesquels seule la dénomination statutaire de la personne doit être utilisée. ” Elle ” estime que les textes règlementaires doivent respecter strictement la règle de neutralité des fonctions. L’usage générique du masculin est une règle simple à laquelle il ne doit pas être dérogé ” dans les décrets, les instructions, les arrêtés et les avis de concours. Les fonctions n’appartiennent pas en effet à l’intéressé : elles définissent une charge dont il s’acquitte, un rôle qu’il assume, une mission qu’il accomplit.
Ainsi ce n’est pas en effet Madame X qui signe une circulaire, mais le ministre, qui se trouve être pour un temps une personne de sexe féminin ; mais la circulaire restera en vigueur alors que Madame X ne sera plus titulaire de ce portefeuille ministériel. La dénomination de la fonction s’entend donc comme un neutre et, logiquement, ne se conforme pas au sexe de l’individu qui l’incarne à un moment donné. Il en va de même pour les grades de la fonction publique, distincts de leur détenteur et définis dans un statut, et ceux qui sont des désignations honorifiques exprimant une distinction de rang ou une dignité. Comme le soutient la Commission générale, ” pour que la continuité des fonctions à laquelle renvoient ces appellations soit assurée par-delà la singularité des personnes, il ne faut pas que la terminologie signale l’individu qui occupe ces fonctions. La neutralité doit souligner l’identité du rôle et du titre indépendamment du sexe de son titulaire. ”
Cependant, la Commission générale de terminologie et de néologie considère – et l’Académie française a fait siennes ces conclusions – que cette indifférence juridique et politique au sexe des individus ” peut s’incliner, toutefois, devant le désir légitime des individus de mettre en accord, pour les communications qui leur sont personnellement destinées, leur appellation avec leur identité propre. ” Elle estime que, ” s’agissant des appellations utilisées dans la vie courante (entretiens, correspondances, relations personnelles) concernant les fonctions et les grades, rien ne s’oppose, à la demande expresse des individus, à ce qu’elles soient mises en accord avec le sexe de ceux qui les portent et soient féminisées ou maintenues au masculin générique selon le cas “. La Commission générale conclut justement que ” cette souplesse de l’appellation est sans incidence sur le statut du sujet juridique et devrait permettre de concilier l’aspiration à la reconnaissance de la différence avec l’impersonnalité exigée par l’égalité juridique “.
En 2002, l’Académie française, opposée à toute détermination autoritaire de l’usage, rappelait qu’elle avait tenu à ” soumettre à l’épreuve du temps ” les ” recommandations ” du Conseil supérieur de la langue française publiées en 1990 au Journal officiel au lieu de les imposer par décret, bien qu’elle les ait approuvées et enregistrées dans la 9e édition de son Dictionnaire : elle a en quelque sorte libéré l’usage, en laissant rivaliser des formes différentes sans chercher à en proscrire autoritairement aucune, jusqu’à ce que la meilleure l’emporte.
C’est à cette attitude, conforme à la manière dont elle a exercé continûment son magistère depuis près de quatre siècles, qu’elle entend demeurer fidèle.