BAMAKO - Il fait nuit d’encre sur la base aérienne 101 de Bamako. Deux équipages de Mirage 2000-D se préparent pour une opération de soutien aérien rapproché à la demande des forces terrestres françaises engagées contre les groupes islamistes armés dans le Nord du Mali.
Au pied de la piste, les tentes et entrepôts des équipages et mécaniciens sont encore silencieux. Attablés, les capitaines Jean-François et Grégory font partie de la relève arrivée mercredi de Nancy (est de la France), comme 24 autres pilotes et navigateurs de l’escadron des Ardennes, qui voleront en binôme pendant les deux mois que durera leur mission.
Depuis le début de l’opération Serval le 11 janvier, les chasseurs français ont mené plus de 200 opérations, qui ont abouti à plus de 170 frappes cumulées, selon les données de l’état-major.
Serein, le pilote et chef de mission avale son petit déjeuner. Il est 3H45 (locales et GMT), il ne sait pas pour combien d’heures il sera en l’air, cinq minimum.
Assis en face de lui, le capitaine Gregory est navigateur officier système d’armes (NOSA). C’est lui qui a travaillé les paramètres de la mission et le suivi de l’objectif, situé "dans la région de Gao".
Le "pod" de désignation laser placé sous l’appareil lui permettra de suivre l’objectif quelle que soit la position de l’avion. Il est doté d’une caméra gyro-stabilisée, thermique et à infrarouges, qui lui permet de voir sa cible "qu’il fasse jour ou nuit, beau ou mauvais".
Ce lundi, c’est un "lâché-théâtre" (premier vol opérationnel) au Mali pour le capitaine Grégory, mais, dit-il en riant: "une piste est une piste!"
Une mission comme celle-là répond à une procédure très règlementée: un "show off presence" qui permet de "signaler à l’ennemi qu’on est là" et qui suffit souvent à le faire reculer, "un "show off force", qui consiste "à voler très bas, très vite". "C’est la deuxième sommation... S’ils sont toujours agressifs, la personne au sol nous demande de +délivrer+ de l’armement", explique-t-il.
Cette nuit, les deux Mirage 2000-D embarquent deux GBU 12 (Guided Bomb Unit) chacun, des bombes guidées laser de 250 kg, d’une portée de plusieurs kilomètres avec une "précision métrique".
"Comme une équipe de Formule 1"
04H05: deux militaires, en short, visiblement endormis, entrent sous la tente. Le "bonjour" est furtif, le café aussi.
Les "pistards" entrent en scène. Spécialistes en électronique, système d’armement, cellule hydraulique ou encore radar, ils vérifient pneus, entrées d’air, armes, ôtent caches et protections.
"C’est comme une équipe de Formule 1", explique l’officier de presse, le capitaine Pierre. "Chacun connaît sa place, sa mission. Ils savent qu’il y a des gars au sol qui comptent sur eux".
04H30: le NOSA prend place dans son cockpit.
04H40: le capitaine Jean-François s’apprête, ajuste son pantalon "anti-G", qui permet de maintenir la pression artérielle dans le haut du corps pendant le vol.
04H55: le Mirage 2000-D est mis en route. Un dernier tour de l’appareil permet de contrôler le fonctionnement des panneaux mobiles.
05H15: Les Mirage décollent. A mi-parcours, soit après une heure de vol et 700 kms parcourus, ils rejoignent un avion ravitailleur américain qui, à une altitude de 22.000 pieds (6.000 m), leur permet de faire le plein de kérosène (6,5 t).
10H45: les hommes stationnés sur la base lèvent soudainement le nez au ciel. Les chasseurs reviennent, leurs GBU 12 toujours en place.
Les traits tirés, les yeux cernés, après cinq heures et demie en vol et 4.000 km parcourus, pilotes et navigateurs avalent d’un trait Coca ou Sprite, apportés par leurs collègues au pied des appareils.
"On devait appuyer un convoi de l’armée de terre qui entrait dans un village, où des +trucs+ avaient été signalés la veille", explique le capitaine Jean-François. "Mais le village était vide quand on est arrivés...", lâche-t-il sans plus de détails.
Sourire aux lèvres, le capitaine Grégory savoure sa première mission malienne. Comme tous ses collègues, il a combattu en Afghanistan comme en Libye.
"Ici c’est différent, il y a beaucoup moins d’appareils en vol. Il n’y a pas de moyens aériens pour nous aider en cas de pépin", témoigne le capitaine Jean-François. "Il n’y a pas de pistes d’atterrissage ni de terrains de déroutement, les premiers sont à 800 km, or on pilote un monomoteur, donc si on a un problème, il vaut mieux avoir son chapeau et ses réserves d’eau!".