Le chef de l'Etat doit décider dans quelques semaines des grandes orientations de la politique de défense et de sécurité de la France. Mais la crise budgétaire pèse comme une épée de Damoclès sur ses choix.
Françoise Ménager pour « Les Echos »
Après avoir décidé de lancer le 11 janvier une opération militaire au Mali, le président François Hollande est placé devant un nouveau choix : celui de fixer, début mars, les grandes orientations de la politique de défense et de sécurité de la France dans les années à venir. Choix difficile car il doit prendre en compte des impératifs : la rigueur budgétaire, la place et le rôle de la France - quatrième ou cinquième puissance militaire - dans le monde, sans oublier de tirer les leçons de l'opération Serval au Mali.
Le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale (sur lequel planche depuis juillet dernier une commission présidée par l'ancien responsable des opérations de maintien de la paix à l'ONU Jean-Marie Guéhenno et composée de représentants de l'Etat, de personnalités, d'experts - et pour la première fois pour un exercice relevant de la souveraineté nationale, d'un Britannique, l'ambassadeur à Paris, Peter Ricketts, et d'un Allemand, un haut diplomate Wolfgang Ischinger), devrait apporter, fin février ou tout début mars, des éléments de réponse avant la présentation au parlement de la nouvelle loi de programmation budgétaire pour la période 2014-2019. Déjà, la réalisation de la précédente loi 2009-2014 n'a pas atteint financièrement les objectifs fixés. L'armée de terre, par exemple, est loin de pouvoir envoyer pendant un an 30.000 hommes sur des théâtres éloignés. Un objectif réduit à quelque 20.000 soldats.
Avec le maintien en 2013 du budget de la défense à son niveau de 2012 et la poursuite de la diminution des effectifs à environ 285.250 équivalents temps plein travaillé, soit une suppression nette de 7.234 emplois, la défense est à la diète. L'érosion des dépenses militaires (1,9 % du PIB en 2011 contre 2,4 % en 2007 selon l'Otan) devrait se poursuivre, obligeant à remettre à plus tard certains programmes.
Initialement le livre blanc 2013 ne devait être qu'une actualisation de celui de 2008, qui marquait une rupture stratégique à l'heure de la mondialisation et du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan. Mais, « plus qu'une révision », il sera en fait « le livre blanc de la crise », affirme François Heisbourg, conseiller spécial à la FRS, qui participe aux travaux de la commission. S'il ne s'agit pas de remettre en cause les orientations déjà décidées, comme sur la notion de défense élargie à la sécurité nationale, la question de la lutte contre le terrorisme ou encore le retour de la France dans le commandement intégré, la commission doit prendre en compte d'autres grandes évolutions.
Le principal changement géostratégique est imposé par les Etats-Unis. A la suite du retrait des troupes américaines d'Irak et, d'ici à la fin de 2014, d'Afghanistan, l'Amérique de Barack Obama, elle aussi obligée de mettre à la diète sa défense, effectue son grand basculement (« pivot » en anglais) vers la région Asie-Pacifique, marqué notamment par un accroissement des forces de sa marine dans la région. L'objectif est évident : endiguer la Chine, deuxième puissance militaire aujourd'hui. Un mouvement qui passe aussi par un net désengagement de l'Europe. Ce qui est un clair message pour les deux seules réelles puissances militaires européennes, la France et le Royaume-Uni, comme l'opération libyenne en 2011 l'avait démontré. Les Etats-Unis, notait récemment Jean-David Levitte, l'ancien sherpa de Nicolas Sarkozy, disent clairement aux Européens : « A vous de jouer et, si besoin, on vous donnera un coup de main. » En d'autres termes, en Europe ou dans les régions proches comme l'Afrique du Nord, les Etats-Unis préfèrent « diriger de l'arrière », laissant leurs alliés se mettre en première ligne. « Ce qui modifie nos engagements stratég iques envers les Etats-Unis », souligne François Heisbourg. A ce changement s'ajoutent les printemps arabes et les menaces qui peuvent en découler pour la France. Indirectement, la montée en puissance des groupes djihadistes au Mali est l'une des conséquences de l'effondrement du régime de Kadhafi en Libye et de l'arrivée d'armes et de combattants supplémentaires dans les pays du Sahel. L'opération malienne ne modifiera pas fondamentalement les grandes orientations militaires et budgétaires de la France. En un mois, l'opération Serval a coûté quelque 70 millions d'euros. Un effort important, mais la présence en Afghanistan représentait de 600 à 700 millions d'euros par an pour la France seule. On reste en outre dans les limites budgétaires : 630 millions d'euros pour les opérations extérieures ont été prévus dans le budget 2013. En revanche, elle devrait confirmer des tendances. Première confirmation : la nécessité d'avions de transport de troupes qui auraient permis à la France d'accroître encore son indépendance d'action au Mali par rapport à ses alliés. Ce besoin a été identifié depuis longtemps, mais la mise en service de l'Airbus A400M a sept ans de retard. La deuxième confirmation, c'est le besoin de ravitailleurs en vol. Ce qui était déjà, comme le souligne François Heisbourg, une leçon de la guerre de Libye. Troisième confirmation : celle de la nécessité du renseignement, y compris par des drones.
Pour nombre d'experts, l'extrême professionnalisme de l'armée française au Mali a bien comblé les réductions de personnel, et la réussite de l'opération Serval - jusqu'à présent du moins - sauve momentanément la France de tout risque de déclassement militaire. Reste à savoir combien de temps elle pourra maintenir son rang si la crise se poursuit… Depuis la fin de la guerre froide, la défense n'est-elle pas une variable d'ajustement des dépenses publiques ?
Jacques Hubert-Rodier