C’est dans une atmosphère électrique que les députés maliens ont adopté, le 9 septembre 2016, une nouvelle loi électorale: 78 députés pour et 28 contre, dont certains de la majorité présidentielle. La fronde au sein de la majorité est réapparue encore une fois lors de l’adoption de cette loi. En effet, le 5 août 2016, l’ADP-MALIBA, un parti de la majorité présidentielle, a annoncé son retrait de ce regroupement politique. Le 12 octobre, l’ADP et SADI ont annoncé la création d’un groupe parlementaire d’opposition.
La nouvelle loi électorale remplace la loi n°06-44 du 4 septembre 2006 modifiée par la loi 2011-085 du 30 septembre 2011. Elle a introduit des innovations:
– la représentation des femmes sur les listes de candidatures,
– le rehaussement de la caution de 10 à 25 millions de FCFA pour les candidats aux élections présidentielles,
– la fragmentation des élections locales et régionale,
– le parrainage des candidatures pour les élections présidentielles.
L’objectif n’est pas d’étaler ici ces reformes, mais plutôt de comprendre le sens de leur contestation. La réforme de la loi électorale a eu lieu, notons-le, à moins de trois mois des élections communales. Les députés de l’opposition ont saisi la Cour Constitutionnelle en contestation de la loi.
Sur la saisine de la Cour Constitutionnelle du Mali
La Cour Constitutionnelle du Mali a été saisie en début du mois d’octobre 2016 par les députés de l’opposition : VRD (Vigilance Républicaine Démocratique), SADI et ADP-Maliba. Les députés réclament l’invalidité de certaines dispositions de la nouvelle loi électorale qu’ils considèrent comme contraires à la Constitution et au protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO sur la démocratie et de la bonne gouvernance, protocole additionnel au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.
Le parrainage des candidatures pour les élections présidentielles semble avoir été le mobile principal de la saisine du juge Constitutionnel par les partis politiques de l’opposition. En effet, le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO a été adopté à Dakar au Sénégal en 2001. Depuis son est entrée en vigueur, le juge constitutionnel malien n’avait jamais été saisi pour contrôler la conformité d’une loi à ce protocole. La saisine de la Cour Constitutionnelle du Mali pour réclamer la conformité de la loi électorale du Mali à ce protocole a donc une portée historique. Et la requête des députés semble légitime. Le protocole énonce des principes à valeur constitutionnelle que les Etats membres doivent respecter. Parmi ces principes, on peut citer l’article 2 qui dit qu’ « aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ». Cette disposition donne une légitimité juridique à la requête des partis de l’opposition.
Sur la jurisprudence
Le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO a été visé pour la première fois en 2009 par une Cour Constitutionnelle d’un Etat membre de cette organisation. En effet, l’Assemblée Nationale togolaise a adopté le 31 mars 2009 une nouvelle loi électorale par le seul vote des députés de la majorité présidentielle regroupée autour du parti au pouvoir, le RPT (Rassemblement du Peuple Togolais). Cette loi avait été dénoncée par les partis de l’opposition comme contraire à la Constitution togolaise et au protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO. Saisie par l’UFC, principal parti de l’opposition, la Cour Constitutionnelle a rendu deux décisions historiques pour le Togo mais aussi pour le droit constitutionnel sous-régional. Dans ses décisions du 9 avril 2009 et du 9 juillet 2009, la Cour a visé de façon expresse le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO pour censurer partiellement des dispositions de la loi électorale contestée. Cette jurisprudence pourrait avoir une influence considérable sur le juge constitutionnel malien qui pourrait faire application de l’article 116 de la Constitution du Mali du 25 février 1992 selon lequel « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accords de son application par l’autre partie ». La censure partielle ou totale de la nouvelle loi électorale du Mali aurait des conséquences politiques et juridiques immédiates et à long terme.
Quelles peuvent être les conséquences de la décision de censure de la nouvelle loi ? Si le juge constitutionnel du Mali donne un avis favorable à la requête de l’opposition, il censurera partiellement ou totalement cette loi. Une éventuelle censure de la loi électorale pourrait avoir pour conséquences immédiates, notamment le report des élections régionales et locales prévues pour le 25 novembre 2016. Si la décision de la Cour intervient après la tenue des élections locales et régionales, les juges administratifs maliens feront face à des contentieux électoraux aussi nombreux que complexes. En tout cas, une censure de la loi serait un revers politique et juridique cinglant pour le gouvernement qui devra retravailler le texte pour le rendre conforme aux normes constitutionnelles. La censure relancerait également le débat sur l’applicabilité des accords de paix qui ont été signés en deux temps entre le gouvernement du Mali et les groupes armés.
Oumar BERTE Doctorant en droit international France