Dans la cité des Askia, les agents de la police et de la gendarmerie n’ont pas bonne presse. Ils se livrent à des rackets qui ont atteint une proportion inquiétante. Si bien que les habitants de Gao ne se sentent plus confiants face à ces hommes et femmes censés les protéger ainsi que leurs biens.
Que ce soit dans les locaux du commissariat de police, de la gendarmerie de Gao ou au poste de contrôle, dans la circulation, les gestes de corruption ne choquent plus. Au vu et au su de tous, la population résistante de Gao est dépouillée. On en est arrivé au point où ce type de pratiques est devenu banal en dépit de récents appels à y mettre un terme lancés par les transporteurs routiers de Gao.
Que vous soyez pris en infraction ou pas, si vous vous faites contrôler par des policiers ou des gendarmes à Gao, il est probable que vous donniez au moins un petit billet pour ne pas repartir à pied. C’est ce qui se passe au quotidien à Gao. Motocyclistes, automobilistes, chauffeurs de véhicules de transport en commun, nul n’est épargné. Quel que soit le motif du contrôle, il suffit de remettre un pot-de-vin, peu importe la somme, à l’agent de circulation pour continuer son chemin.
Le contrôle est tout sauf réglementaire. Contrairement aux normes, aucun reçu n’est remis aux intéressés comme preuve de paiement de ce qui est censé être une amende. Au commissariat et à la gendarmerie de Gao, le pauvre résistant paie entre 3.000 à 7.000 Francs CFA pour une carte d’identité, 2.000 à 3.000 Francs CFA pour le certificat de la déclaration de perte et de résidence, 2.000 à 4.000 Francs CFA pour le certificat de bonnes mœurs. Madame Doucouré Faty a été victime, lors de son séjour à Gao, de ces hommes en tenue bleue, souvent postés à des endroits improbables.
De passage au rond-point du gouvernorat de la région de Gao, elle s’est fait arrêter par un agent de la circulation "sans motif". "J’étais en possession de tous les documents exigés. Le policier n’a rien eu à me reprocher. Il m’a néanmoins demandé 500 Francs CFA. De quoi faire du thé, a-t-il dit", explique Doucouré Faty. Ce genre de pratiques ne choque plus.
Selon un sergent-chef posté vers la place de l’indépendance de Gao, en fin de journée, chacun de ses agents peut se retrouver avec un pactole non-négligeable. Bon nombre de citadins estiment que l’esprit mercantile a pris le dessus sur la vraie mission des ces agents de sécurité, qui n’est autre que la sécurisation des personnes et de leurs biens.
Dans les locaux de la police et gendarmerie de Gao, les langues de ces derniers sont difficiles à se délier. C’est sous l’anonymat qu’un jeune sergent se justifie :
"Je suis nouveau dans la profession et ce genre de corruption et racket date de très longtemps. Aucun de mes supérieurs ne m’a jamais interdit d’accepter les pots-de-vin. D’ailleurs, je les ai toujours vu prendre des pots-de-vin". Selon ses réactions, on apprend que c’est le dénuement qui les pousse sur cette voie. "Le commissariat de police et la brigade de la gendarmerie manquent suffisamment de véhicules de service.", s’est-il lamenté. Payer le policier pour qu’il fasse son travail : "le seul moyen de retrouver son voleur ».
L’extorsion des sous sur les routes n’est pas un cas isolé. C’est en cas de vol que de nombreuses victimes découvrent la face cupide de la police et de la gendarmerie à Gao. Djénéba, habitante d’Aljanabandja-cité, éprouvée par un cambriolage a souhaité placer sa confiance aux limiers de son quartier afin de réparer le préjudice qui lui a été causé.
Mal lui en a pris. Partie au commissariat porter plainte contre x, l’agent de police qui enregistre sa plainte lui réclame 5.000 Francs CFA. Par la suite, elle débourse 50.000 Francs CFA pour frais de transport. "Sur place après avoir examiné la scène de vol, l’inspecteur chargé de l’enquête a voulu que je m’acquitte de 50.000 Francs CFA. Il m’a expliqué que cette somme lui permettra d’acheter du crédit téléphonique, les frais de transport entre autres.
Cela, afin de mener à bien l’enquête. Je n’ai pas compris pourquoi je devais payer quelqu’un qui est payé pour mener des enquêtes. Ça m’a complètement découragée". Déconcertée et dégoutée, elle a abandonné ses poursuites. Elle fait partie des nombreuses victimes ayant vécu une situation similaire. Ceux qui ne paient pas sont laissés à eux-mêmes, sans aucun moyen pour que justice soit rendue.
"Tous les moyens sont bons pour se remplir les poches", nous indique une jeune policière. "Nous ne sommes pas tous ainsi mais la majorité n’a pas de scrupules", nous confie-t-elle. Ainsi, la corruption devenant de plus en plus le mode utilisé, le citoyen lambda n’a plus foi en la police et la gendarmerie. "Ceci explique la propension des habitants de Gao à la justice populaire pour régler ses comptes. Ce qui est une menace sérieuse pour la paix civile.", estime Madame Timbo Fatoumata Kampo
Abdou Latif