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Master Soumi : «Les politiciens payent des gens pour aller les écouter, tandis que les gens payent pour nous écouter… nous avons un pouvoir que nous devons bien entretenir»
Publié le samedi 29 octobre 2016  |  Le Reporter
Conférence
© aBamako.com par Androuicha
Conférence de presse annonçant le concert de Master Soumi
Bamako, le 10 mars 2016 au siège du groupe Africa Scène. Le rappeur Master Soumi et le directeur d`Africa Scène ont animé une conférence de presse au cours de laquelle ils ont scellé un contrat les liant pour l`organisation du concert dédicace du 5è album de Master Soumi le 25 mars 2016.
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Trophée du meilleur parolier du rap malien, Tamani d’or du meilleur rappeur malien, trophée du meilleur album lors du Mali Hip-hop Awards, trophée du meilleur ambassadeur du rap malien lors de la dernière édition du Mali Hip-hop Awards, Master Soumi collectionne les reconnaissances en hommage à son talent. Chevalier de l’Ordre national du Mali, artiste-musicien, activiste, ingénieur de son et juriste de formation, Ismaël Doucouré, communément appelé Master Soumi, se livre sans détour !
Bonjour Master Soumi, merci d’avoir répondu à notre appel. C’est vrai que tu n’es plus à présenter, mais la coutume veut qu’on commence par les présentations.
Bonjour et merci. Je m’appelle à l’état civil Ismaël Doucouré, communément appelé Master Soumi. Je suis artiste-musicien, activiste, ingénieur de son et juriste de formation.
Parlez-nous un peu de vos débuts dans la musique.
Dans mes débuts, j’ai vécu pas mal de situations décourageantes. C’était pas du tout facile de faire du rap. J’ai commencé dans les années 1996, avec la création d’un groupe composé de camarades de classe, tous passionnés de rap comme moi. Dans ces temps, il y avait beaucoup de difficultés techniques et financières parce qu’il n’y avait pas plus de deux ou trois studios d’enregistrement à Bamako. Pour nous qui n’avions pas de moyens, il fallait toujours aller dans les radios pour profiter des émissions, pour enregistrer des maquettes sur des beats de rappeurs américains ou français. C’était très difficile d’enregistrer dans les studios, ne serait-ce qu’une seule chanson. Il fallait être nanti.
Je me rappelle avoir eu à vendre deux paires de chaussures pour enregistrer la maquette de mon premier album «Tounkarankè». Cette époque, je n’avais que ces deux paires de chaussures que j’ai vendues à 30.0000fcfa pour pouvoir enregistrer mon premier titre. Il y avait pas mal de sacrifices à faire et pas mal de situations déplaisantes à affronter. C’est pourquoi d’ailleurs, quand je regarde certains de nos cadets, je ris ! Parce qu’en réalité, beaucoup sont plus dans l’apparence que dans l’amour du travail. Ils sont nombreux ceux qui ne sont pas prêts à se sacrifier pour faire avancer leur art. On préfère surtout bien s’habiller tout le temps, avoir l’air bling-bling, circuler dans une belle voiture que de s’investir véritablement dans son art, pour faire avancer sa musique, sa carrière.
En vous présentant, vous avez dit que vous êtes artiste-musicien, activiste. Que voulez-vous dire par activiste ?
Activiste parce que je suis engagé dans plusieurs combats qui sont des combats d’engagement citoyen, c’est-à-dire tout ce qui englobe la défense de la liberté humaine. Je travaille avec beaucoup d’organisations internationales, et je suis également membre d’un très grand collectif d’artistes qui s’appelle les Ambassadeurs de la liberté d’expression. Etre artiste et activiste en même temps, ça veut tout simplement dire que je ne me limite pas au rap. Très souvent, je vais sur le terrain, une manière de lier l’acte à la parole. Parce que, si vous remarquez au moment du coup d’Etat de 2012, j’ai eu à mener plusieurs actions au sein de mon collectif «Les Sofas de la République», actions qui rentrent dans le combat patriotique. Par exemple, nous avons eu à initier une campagne de sensibilisation dénommée «Ma carte d’électeur, mon arme». C’était une manière d’éveiller les consciences et pousser le Malien à embrasser la démocratie.
Quand on parle de démocratie, on parle de carte d’électeur ; quand on parle de démocratie, on parle de vote ; quand on parle de démocratie, on parle de responsabilité. Notre objectif, c’était d’aller vers le citoyen lambda pour lui expliquer qu’est-ce que c’est que le vote ; qu’est-ce qu’un député ; que gagne le député ; que représente l’Assemblé nationale ? Le citoyen doit comprendre tout ceci afin de s’intéresser à la gestion publique. Je suis là en tant que porteur de message, en tant que citoyen, en tant que personne humaine vivant dans une société. Le combat de l’artiste ne doit pas seulement se limiter au studio. Je fais des sons, je sors des albums, je fais des concerts, je prends mon argent, je m’en vais ! Il faut mettre sa musique au profit de sa localité, de sa communauté, de sa nation, et surtout ne pas se laisser instrumentaliser.
Beaucoup d’artistes maliens se disent engagés, révolutionnaires, alors qu’en réalité, c’est des gens qui sont vendus. Ils sont manipulés à longueur de journée par les politiques. On n’a pas besoin de plaire à tout le monde, parce que l’ami de tout le monde n’est l’ami de personne.
Pensez-vous que votre musique éveille les consciences ?
Je pense bien que oui. C’est un combat qui ne pourra pas payer tout de suite. Il y a des chansons que j’ai sorties, qui ne sont pas perçues aujourd’hui. Mais qui seront perçues dans les jours à venir. Bob Marley a fait des chansons qu’on a découvertes que récemment. Et toutes ces chansons étaient dans la même lignée. C’était pour le même combat : l’émancipation et l’éveil des consciences.
Vous avez récemment été décoré Chevalier de l’Ordre national du Mali, comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
Je suis très content de cette décoration. Je suis fier que les autorités reconnaissent que je joue un rôle positif dans l’éveil des consciences au sein de ma société. Pendant que beaucoup de gens considèrent que ma musique pousse à la révolte, à la violence et au désordre. Si les autorités du pays, elles-mêmes, reconnaissent que je suis un véritable leader d’opinion, celui-là qui représente valablement la jeunesse et l’incite à la prise de conscience, au développement du pays, je pense que c’est une très bonne chose. J’ai toujours préféré être reconnu qu’être connu ! Selon moi, lorsqu’on est connu, c’est très limité. Alors que lorsqu’on est reconnu, on devient une référence.
Et puis, certaines personnes pensent qu’on m’a décoré pour que j’arrête de faire de la musique engagée. Mais je dis tout simplement que cette décoration ne va rien changer à ma mission. Je ne critique pas que les autorités ! Je critique également la population. Elle a aussi sa part de responsabilité dans la bonne gestion de la République.
Quels sont vos rapports avec les autres artistes au niveau international et national ?
Au niveau international, la relation est très bonne. J’ai eu à collaborer avec beaucoup d’artistes en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique de l’Ouest. Parmi ces artistes, je peux citer entre autres Soum Bill, Josey, Didier Awadi, Smokey, Adébantu, Zongo, Mozart etc. Aux Etats-Unis, j’ai eu la chance de collaborer avec Wyclef Jean. Il y a également d’autres artistes avec qui j’ai collaboré, qui ne sont pas connus au Mali, mais qui sont d’excellents rappeurs.
Au niveau national, j’ai travaillé avec énormément d’artistes dont le Groupe Tata Pound, King Massasy, Ahmkoulel. D’ailleurs, je profite de l’occasion pour rendre un vibrant hommage à tous ces gens qui ont posé des jalons. Parce que le rap malien a aujourd’hui atteint un certain niveau. Et cette réputation positive, on le doit à ces aînés-là. Et Master Soumi reste ouvert à tous.
À votre avis, qu’est-ce qui manque au développement du monde artistique malien ?
Je pense que c’est aux artistes de se prendre au sérieux. C’est au Mali que vous verrez un artiste populaire, qui a du succès, mais qui n’a pas de Manager, qui n’a aucune équipe sérieuse autour de lui. Ce qui fait que sa carrière ne dure pas. C’est l’équipe autour de toi qui te permet de te tracer un plan de carrière sérieux et bien organisé. L’artiste, c’est la planification ! On est en 2016, qu’est-ce que je compte faire d’ici 2018 ? Je veux aller où ? Je veux être où avant 2018 ? Il y a des gens, tu leur demande, ils ne savent même pas qu’est-ce qu’ils vont faire dans 2 ou 3 mois.
Il faut toujours avoir une équipe sérieuse autour de soi avec qui élaborer ses plans, ou au minimum un manager ou un assistant. Ça, c’est la première des choses. Deuxième des choses, les cachets des artistes sont discutés par n’importe qui. Les artistes de nos jours doivent se donner un objectif précis qui est de donner une orientation réelle à leur musique, et de se dire qu’ils ont une très grande responsabilité dans le développement de cette nation, l’émancipation de la société, l’éveil des consciences, pour la consolidation de la démocratie.
Que les artistes ne se limitent pas à faire danser les gens, qu’on dise un peu aux gens de travailler, d’étudier ! Le Malien a la paresse intellectuelle. Je pense que l’artiste doit aider la nation à aller de l’avant. Et puis, on a besoin de politique réelle autour de la culture. Je sais que le ministère de la culture fait déjà beaucoup de choses, mais beaucoup reste à faire. L’effort doit être amélioré par eux et aussi par l’implication des artistes eux-mêmes qui sont les acteurs principaux.
Beaucoup de jeunes artistes rappeurs accusent leur manager d’escroquerie. Qu’est-ce que vous pensez de ça ?
Cela est vrai. C’est pourquoi je dis qu’il faut être professionnel. Généralement au Mali, quand tu vois certaines personnes dire que oui, c’est celui-là mon manager, tu trouveras qu’au début de sa carrière, c’est son ami qui l’accompagnait au studio. Et dès que ça commence à aller, dès qu’il commence à se faire connaître, c’est celui-là qui devient son manager. Il faut chercher la bonne personne, quelqu’un qui est capable d’être visionnaire, qui peut t’amener loin, qui peut te permettre de bien vendre ton produit. On dit souvent qu’il n’y a pas de bon manager, qu’il y a un bon produit. Mais, ce qui est sûr, il n’y a pas de bon produit sans un bon manager. Ces deux choses vont de pair.
Combien d’albums avez-vous sur le marché ?
J’ai sorti 4 albums. Le premier s’appelle «Tounkaranké», sorti en 2007. C’est l’album qui a remporté le trophée du meilleur parolier du rap malien. Le deuxième album «Sonsoribougou ou bidonville» est sorti en 2009, et il a remporté le Tamani d’or du meilleur rappeur malien. Le troisième s’appelle «Saraca ou sacrifice» ; il est sorti en 2011 et a remporté le trophée du meilleur album lors du Mali Hip-hop AWARDS. Le quatrième et dernier, «Guélèkan ou sous le Mirador», sorti cette année 2016, a remporté le trophée du meilleur ambassadeur du rap malien lors de la dernière édition du Mali Hip-hop AWARDS. Ainsi que beaucoup de singles qui ne figurent pas sur les albums.
Parmi ces 4 albums, lequel vous rend le plus fier, lequel représente le mieux votre maturité, votre évolution musicale ?
Je dirai que le premier album était un album de découverte, un album qui m’a permis d’être connu au niveau national et dans quelques pays en Afrique. Le deuxième a été un album de confirmation de talent. Quand les gens t’ont découvert, ils se demandent si tu es capable de continuer à progresser. C’est pourquoi le deuxième album est toujours difficile. Lorsque le premier album cartonne, il faut tout faire pour que le deuxième soit au même niveau ou qu’il dépasse le premier album. Sinon, quand le deuxième album est accueilli de façon timide, ça peut freiner ta carrière. Quand les gens vont s’attendre à du bon et que c’est du mauvais, ton nom risque de tomber dans l’oubli.
Je pense donc que le 3ème et le 4ème album peuvent être considérés comme des albums de maturité. Ces deux albums qui ont traité de sujets qui préoccupent le monde, entre autres, l’immigration, les guerres, le terrorisme. Tout ça, c’est des problèmes qui sont devenus des cailloux dans nos chaussures aujourd’hui.
On peut donc aisément affirmer que Master Soumi s’inspire des faits de société.
Tout à fait. Oui, je m’inspire beaucoup des maux de la société et de tout ce qui touche au quotidien des hommes sur la planète.
Si vous deviez décrire la situation sociopolitique du Mali en une phrase, que diriez-vous ?
Vu la situation dans laquelle nous nous trouvons en ce moment, je ne sais pas comment qualifier ça en une seule phrase. Mais je dirais tout simplement à tout le monde d’être responsable. Que ce soient les groupes armés, les autorités ; que ce soit la population ; que ce soient les gens qui sont censés venir nous aider, la communauté internationale. Je demande à tout le monde d’être responsable. Parce que ceux-là qui disent qu’ils sont venus pour nous aider, on constate trop d’ambiguïté dans l’exercice de leurs missions. S’ils étaient responsables, je ne pense pas qu’on aurait douté d’eux.
L’autorité malienne doit être responsable et doit arrêter de mentir à la population, aux Maliens. L’Etat malien communique peu et très mal. À partir du moment où les gens ne reçoivent pas l’information et que ce sont les intox et les rumeurs qui prennent le dessus, comment voulez-vous qu’on s’en sorte ! Chacun se doit de faire un dépassement de soi et mettre le Mali au-dessus de tout. Nous devons tous être animés par ce sens de nationalisme et de patriotisme. Car, si le Mali est dans des difficultés, si le Mali est confronté à certains problèmes, nous sommes tous impliqués, tous victimes.
Les enquêtes de certains sociologues ont conclu que d’ici à 5 ans, ce pays va devenir un pays aux mœurs dépravées. Ce qui serait dû à la consommation régulière et fréquente de drogue par les jeunes. L’avenir ne semble donc pas rose pour la jeunesse actuelle. Qu’en pensez-vous ?
Je n’en disconviens pas et je dis que le développement de ce pays est la responsabilité de tous. Quand on parle de développement, ce n’est pas que les goudrons et les immeubles un peu partout. Non, il faut vraiment une prise de conscience et de responsabilité réelle, sinon cette société deviendra une jungle. Il y a des indices qui sont là. La grande majorité des jeunes aujourd’hui sont des junkys ; les filles aujourd’hui sont dans la prostitution, que ce soit la prostitution publique ou clandestine.
Il ne faut pas laisser cette responsabilité aux autorités seulement. Nous devons tous œuvrer ensemble pour l’avenir de la jeunesse et pour la bonne marche de ce pays. Quand on parle d’assainissement, la tâche n’incombe pas qu’au maire. Chacun doit être en mesure de balayer devant sa porte. Quand un moustique te pique, il ne va pas te demander si tu es du RPM ou si tu es de l’Adéma. Donc, je pense que nous devons tous être animés par cette idéologie de bonne citoyenneté, de patriotisme.
Quels sont vos projets et perspectives ?
Je dois retourner en Allemagne, j’ai des scènes à faire là-bas. J’y étais il y à peine 1 mois pour la promotion du film «Maliblue» qui parle de la résistance musicale face au terrorisme, et tout ce qui est djihadisme. Comme vous le savez, une grande partie de notre territoire a été occupée pendant des mois par des groupes armés venus d’un peu partout. Donc il fallait faire la promotion de ce film et expliquer aux gens qu’au Mali, il n’y a pas que la guerre. Au Mali, il y a des valeurs, il y a la culture, il y a l’art et les artistes. Pour certaines personnes qui vivent en dehors du pays, dès que tu arrives à l’aéroport du Mali, c’est des fusils, c’est des guerres, etc.
Il fallait donc faire la promotion de ce film pour expliquer qu’en réalité, le Mali est confronté à un problème qui est mondial. Donc, on vient de finir cette tournée et il y aura d’autres scènes à faire en Allemagne, en Hollande, en France, aux Etats-Unis, etc. 2017 sera une année très chargée en terme de spectacle en dehors du pays. Déjà, à partir de novembre, j’ai une tournée prévue dans la sous-région : Burkina, Sénégal, Togo…
Un dernier mot ?
J’aimerais d’abord vous remercier et vous encourager à continuer dans cette lancée, parce que c’est ensemble que nous pouvons faire des choses. Que les gens se lâchent les pieds et s’attrapent les mains ! J’ai également un grand Big-up à lancer à l’endroit de mon manager, Donibrascoparce. Master Soumi, c’est une personne que les gens voient sur scène, mais j’ai aussi mon homme de l’ombre, mon manager, qui est tout le temps avec moi, tout le temps au four et au moulin. Voilà, j’encourage également tous les rappeurs maliens. Aujourd’hui, le rap est la musique la mieux écoutée au Mali. C’est une fierté mais également un pouvoir. Il faut reconnaître que les politiciens payent des gens pour aller les écouter, tandis que les gens payent pour nous écouter, nous ! De ce fait, je pense que nous avons un pouvoir que nous devons bien entretenir. Que Dieu bénisse le Mali !
Propos recueillis par Aïda Millogo
Source : Nouvelle Libération
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