Les différentes voies qui font pénétrer la personne dans le monde de la parole et de la signification reposent finalement sur des principes identiques et aboutissent à la formation d’un type de pensées nettement caractérisé. Tout part d’une observation à la fois intensive et orientée des différents éléments du milieu et surtout des êtres familiers. L’entourage attire l’attention de l’enfant sur tel aspect de la réalité et lui en fournit une interprétation. Celle-ci peut être explicite, mais bien plus souvent elle demeure latente, en ce sens qu’on se contente, par des allusions qui vont toujours dans la même direction, de mettre tel objet en relation avec d’autres éléments.
L’individu s’habitue à une gamme de transpositions qui reviennent toujours sous des formes différentes. Il apprend à opérer certains rapprochements privilégiés, à déceler tel ensemble de correspondances possibles plutôt que tel autre, à organiser sa pensée selon des axes préférentiels, et enfin à la couler dans les catégories rigides et fortement structurées que lui offre sa culture.
Il s’opère ainsi un dépassement constant du fait individuel pour l’intégrer dans un cadre ayant une portée générale, et ceci grâce au jeu de l’analogie et de l’allusion. On est plus sensible au contexte et au halo de connotations qui entourent un mot qu’à sa signification stricte.
«Un terme vaut par sa puissance d’évocation, par les notions avec lesquelles il peut être mis en relation, qui permettent d’en éclairer davantage la portée.» Tout en restant apparemment dans le sensible et sans que l’image concrète soit transcendée, la pensée arrive de ce fait à se mouvoir à un haut niveau d’abstraction et d’universalité.
La pensée africaine ressemble à un texte hiéroglyphique dans le déchiffrement duquel un esprit exercé ne peut se tromper car le contexte éclaire la signification de toute image utilisée et permet d’opérer un choix entre toutes celles qu’offre la tradition.
«Ainsi le Bambara va-t-il illustrer les thèmes les plus abstraits par l’entremise de l’éléphant, de l’hyène, de l’hippopotame, du cheval, de l’âne, du chien, de végétaux, de condiments, etc., choisis selon l’idée qui doit s’exprimer grâce à eux.» Veut-il parler des «délices» et de la «saveur» de la connaissance ?
Il fera intervenir le sel, le piment, la cendre, la sauce. S’efforce-t-il de dépeindre l’immensité du savoir ? Il aura recours à l’éléphant, l’animal le plus important de la faune comme lui. Le lion incarnera l’aspect éducatif et noble de la formation.
L’hyène figurera la connaissance objective, ramenée à la portée de l’homme. Ainsi de suite, chaque objet, brut ou fabriqué, chaque être sont, dans l’enseignement, des symboles qu’il faut se garder cependant d’utiliser au hasard, car leur valeur est fonction de l’analogie susceptible ou non de s’établir entre ces concepts abstraits et les attributs réels et intrinsèques des supports des symboles.
A ces matériaux empruntés au monde extérieur, le symbolisme bambara joint encore les gestes et les attitudes corporelles de la personne elle-même. C’est pourquoi toute «leçon» est mimée, dansée, organisée à la manière d’une pièce de théâtre sacré.
Cette mentalité essentiellement concrète, note R. Allier, ne recule donc pas devant l’abstraction, «mais à condition que celle-ci ait un vêtement qui ait l’air de lui ôter son pur caractère de généralité et d’en faire quelque chose de particulier».