L’Etat, comme figure émergée de l’histoire cyclique, reflète le génie et la faiblesse de ceux qui le portent. Visage institutionnel de la Nation, l’Etat est aussi Esprit, Idée avant d’être gestionnaire des urgences quotidiennes et des défis profilés pour l’Horizon lointain. Avec ce couple improbable conceptualisé par l’Etat-nation, fruit du centralisme unitaire jacobin, les Etats africains dont le nôtre ont cru trouvé le modèle politico-institutionnel pour affermir leur marche postcoloniale.
L’Etat précède la nation bien qu’au Mali, celle-ci a bénéficié d’un héritage historique dont elle tenait sa filiation symbolique en puisant dans «la geste» des empires d’antan. Les pères fondateurs, avisés, étaient non seulement des pionniers mais aussi des porteurs d’une certaine mystique de l’Etat. Sacerdoce, le service aux siens était une mission pour la nation. Au Mali comme ailleurs, l’Etat aura même confisqué l’idée de nation, justifiant son existence et son arsenal décisionnel. Tous les faits sont abusivement attribués au service à la nation. La cyclicité des crises septentrionales a trouvé une certaine part de fragilité structurelle chez l’Etat-nation malien, d’où la prudence heuristique d’appréhender la crise malienne dans sa trame de fond, loin du bouillon médiatique. Crise de l’Etat-nation au sens de couple inséparable comme voulu par la génération des indépendances, sans doute, inspirée par la France jacobine. Mais au Mali, il convient de souligner que la crise a plus touché l’Etat que la nation. Même au Nord, région affectée par les violences, les traumatismes, la volonté de vivre ensemble -sentiment fondant les nations- reste une réalité parce que la lucidité a permis d’éviter au mieux l’amalgame. Il n’ y a pas de nations achevées, toutes étant confrontées aux défis du mouvement des sociétés, à la pluralité communautaire, au regain culturel et surtout aux enjeux de l’entremêlement d’une mondialisation se moquant des frontières officielles que les Etats peinent d’ailleurs à surveiller. La Nation malienne reste néanmoins solide. Notre crise est bien plus celle de l’Etat dont la reconstruction demande l’avènement d’une manière nouvelle de faire la politique et de gérer la cité. Le leadership post-crise devra puiser dans le patrimoine empirique et la mémoire de l’Etat-celle de ses forces et faiblesses- mais aussi dans une altérité citoyenne moins populiste bien que soutenue par un double charisme des institutions et celui de ceux qui les incarnent. Ce renouveau ne se décrète pas. Il se pense, s’incarne et se vit par la «ré crédibilisation» du service à la nation ne devant plus être perçu par les populations comme n’étant qu’un bal «d’auto serviteurs». Si nous avons une chance, c’est bien d’avoir une nation certes secouée, éprouvée mais qui a su résister. Le vivre-ensemble séculaire tissé par l’histoire vécue des brassages et porté par le volontarisme politique de transcender les communautés spécifiques par l’idéal national, nous a servi d’amortisseur. Une politique de réconciliation n’est certes pas futile. Au contraire, devra-t-elle conforter davantage notre hygiène de vie en société mais le défi majeur reste plus celui de la reconstruction d’un Etat fort, sécurisé pour mieux sécuriser les populations, informé et renseigné, stratège pour penser, fixer et maîtriser le cap de notre modernité politique et surtout notre épanouissement collectif dans la matrice de la nation qui aura survécu au naufrage étatique. Si la nation est un plébiscite de tous les jours comme l’a écrit Ernest Renan, l’Etat est un soin de chaque instant en tant qu’il porte- en partie -le destin de la nation qu’il prétend toujours servir.