Aucune des « filles de Sikasso » n’est malienne. Sur les dix qui travaillent ce soir, trois sont burkinabées, six, ivoiriennes et une est nigériane.
Halo jaune sur cercle rouge. Il est minuit au bar de l’autogare et la lueur de l’enseigne peine à attirer les clients. Pourtant elles sont là, les « filles de Sikasso ». Assises contre le mur à attendre derrière la palissade qui défend leur intimité. La lune n’éclaire pas sous l’auvent de tôle. On ne les distingue dans l’obscurité qu’à leur visage bleu, ébloui par l’écran de leur téléphone. Pianotant avec une frénésie adolescente. Si le néon de l’enseigne ne suffit pas, c’est à coups de SMS qu’elles appâteront ces phalènes de clients.
En cette nuit poussive, Evelyne* a d’autres préoccupations. Elle est en retard et la vieille femme du quartier qui garde sa fille de 5 mois est partie depuis plusieurs jours. Ça l’agace, mais a-t-elle d’autre choix que d’amener son enfant au travail ? De toute façon, elle connaît le rituel. Elle l’allaitera, la bercera jusqu’aux yeux clos. Déposée sur le sol à côté du lit, emmitouflée dans des chiffons. Là, presque invisible, elle ne dérangera pas le client.
« Attends-moi ici, je reviens »
« Une année que je suis bloquée au Mali, glisse-t-elle agitée au bord du matelas. Maintenant je veux retourner à la maison, à Abidjan… Je ne peux plus me prostituer. » Phrase sèche. Evelyne, chancelante, la prononce imbibée de mélancolie et d’alcool. Elle est arrivée à Sikasso par hasard, « une trahison », dit-elle. C’est son copain, une petite frappe de quartier, rencontrée il y a deux ans lorsqu’elle travaillait comme serveuse au JB, une boîte de nuit d’Abidjan. Elle, ivoirienne de 28 ans, seule. Il lui a fait miroiter des richesses. Elle est tombée amoureuse. « Une erreur », maugrée-t-elle.
Ils se sont embarqués pour le Mali, lui, prétextant vouloir retrouver ses parents à Ségou. En chemin, traversant la ville de Sikasso, ils se sont arrêtés dans ce motel-bar. Celui juste en face de l’autogare. « Attends-moi ici, je reviens », a-t-il dit, en ouvrant la porte de cette chambre turquoise sordide. Evelyne a obéi. Une année qu’elle ne l’a pas revu. Elle s’est résignée après quelques mois, sans savoir encore aujourd’hui pourquoi il l’a abandonnée. Parce qu’il en a trouvé une autre ? Parce qu’elle était malade ? Parce qu’elle était enceinte d’un mois ? Les trois, peut-être.
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