On savait les élections de proximité très juteuses pour la famille judiciaire malienne, mais le cas de la commune a pris les allures d’un scandale trop grossier pour ne passer anodin et tenir lieu d’archétype des comportements abjects qui caractérisent la gestion des contentieux électoraux.
Il n’était un secret pour aucun habitué des jeux électoraux maliens que les communales du 20 allaient occasionner un torrent de contentieux comme à l’accoutumée. La pratique, qui consiste à tenter une élimination des adversaires sur tapis vert, a pris des proportions inégalées cette année compte tenu notamment de la grande confusion ayant entouré le processus : la coexistence de deux lois électorales jusqu’à la promulgation des nouveaux textes longtemps restés en suspens suite au recours de l’opposition pour inconstitutionnalité. Le grand marécage électoral aura été particulièrement profitable aux juges d’instance qui s’en sont donné à cœur joie là où la période préélectorale s’est singularisée par un combat intense sur leur terrain. Avec la tentation et la fragilité devant les promesses en espèces ou en nature, rarement le droit aura été malmené comme cette année. En atteste une ahurissante difformité des décisions de justice pour des cas similaires que la moindre nuance ne distingue. Et pendant que la juridiction d’une localité invalide une liste électorale attaquée pour la présence d’une candidature issue de la même fratrie, la liste d’une autre localité voisine passe l’épreuve avec les mêmes contestations. Tandis qu’une anomalie est considérée par-ci comme une irrégularité punissable, par-là elle tient de la normalité la plus tolérable. Une nébuleuse d’autant difficile à déchiffrer qu’aucune décision de justice de la période préélectorale ne peut faire jurisprudence tant elles dégagent toutes les relents de verdicts affairistes et troqués contre la soif vénale de juges.
La palme de cette chienlit judiciaire revient sans doute au Tribunal de Grande Instance de la commune II du district où le Rubicon de l’indécence a été franchi, au regard des curieuses circonstances d’invalidation de toutes les listes susceptibles de le disputer à la puissante alliance RPM-Codem.
Il s’agit principalement de la liste Adema, puis de celle conduite par l’Urd, toutes deux frappées d’annulation par le même juge d’instance : la seconde pour avoir été légalisée par un maire candidat sur la même liste, la première sous le prétexte fallacieux de comporter des émargements corrigés au blanc. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une puissante vague de contestations telle qu’un processus électoral en a rarement occasionné à Bamako, depuis la débâcle de 1997. Marches de protestations, sit-in et menaces de sabotages sont entre autres les moyens par lesquels les victimes de la commune II ont exprimé leur colère face à la légèreté de la justice, mais sans renoncer un recours aux instances supérieures en vue de redresser le tort. C’est l’atmosphère de malaise et de gêne qui a précédé – et même probablement présidé – à la sentence ayant finalement remis les pendules à l’heure. Le verdict de la Cour d’appel, intervenu après que le contentieux a suscité l’intérêt des plus hautes autorités, sans doute corrigé une injustice, mais il ne peut facilement passer l’éponge sur un épisode d’autant plus sulfureux que – par-delà l’indélicatesse d’un seul juge soupçonné de partialité très intéressé – met les projecteurs de l’opprobre sur l’ensemble du système judiciaire.