ls fuient la guerre, les bombes, la terreur, ils fuient la dictature, les persécutions. La majorité d’entre eux prend la route, et marche jusqu’au pays voisin. Par centaines de milliers, les Syriens fuient en Turquie, au Liban, en Jordanie. Le plus grand camp de réfugiés du monde, Dadaab (Kenya), accueille 335 000 personnes qui ont fui le Soudan, l'Ethiopie, l'Erythrée, le Burundi, et la RD Congo. Mille cent Rohingyas, la minorité musulmane persécutée en Birmanie, sont morts noyés entre janvier 2014 et la mi-2015, en tentant de gagner le Bangladesh, au nord, ou la Malaisie, la Thaïlande et l'Indonésie, au sud.
Parfois, ils fuient plus loin. Ils confient leur sort à des passeurs qui leur promettent la vie sauve en échange de sommes d’argent faramineuses. Beaucoup n’atteignent pas leur destination, la mer ou le désert les mange avant. Les survivants posent leurs balluchons où ils peuvent.
En Occident, les politiciens et les médias parlent de «vagues de migrants», de «crise des migrants». Les gens regardent des reportages sur le démantèlement de la «jungle» de Calais, ils voient des hommes, des femmes, des enfants venus d’ailleurs, réfugiés au cœur des villes.
Beaucoup de gens ont peur. Ils considèrent ces étrangers comme des envahisseurs. À leurs yeux, ces réfugiés incarnent une menace. Une menace parce que la réalité économique des gens a changé. Ils craignent le chômage, ils ont peur pour leur avenir, pour celui de leurs enfants.
À leurs yeux, ces réfugiés incarnent une menace parce que l’ombre des actes terroristes plane. La peur de l’autre a envahi les esprits. Beaucoup de gens ne nient pas le devoir de leur pays d’accueillir celui qui en a besoin, mais ils ne veulent pas que ce soit près de chez eux. Regarder des réfugiés, c’est accepter l’image de la guerre qu’ils ont fuie.
Beaucoup de gens ont peur de ces étrangers qui expliquent la violence, les atrocités, la mort qu’ils ont dû fuir. Beaucoup de gens ne supportent pas cette réalité là. Ils ne comprennent pas ceux qui, nombreux, viennent en aide à «ces étrangers», qui les nourrissent, les soignent, les accompagnent dans leurs démarches administratives. Beaucoup de gens ont peur.
Les politiciens récupèrent cette peur pour s’attirer des bulletins de vote dans les urnes, alors qu’ils devraient rappeler à chacune et chacun, que les êtres humains se sont toujours déplacés pour survivre. Ils devraient leur rappeler que certaines périodes de notre Histoire commune ont été très douloureuses, et que les populations ont dû se déplacer pour survivre.
Ils devraient leur rappeler que ce sont la guerre, les persécutions, la faim, la misère, l’absence de travail, les catastrophes naturelles, qui poussent les gens sur les routes de l’exil. Ils quittent la terre de leurs ancêtres, le cœur brisé, mais ils fuient pour ne pas mourir. Africains, Européens, Asiatiques, Américains, les racines de la plupart d’entre nous sont plantées dans un sol loin de celui où nous vivons.
Nos ancêtres se sont déplacés. Certains ont parcouru quelques centaines de kilomètres, d’autres ont franchi les montagnes ou traversé les mers. Notre nom de famille nous rappelle qu’un de nos grands-pères a un jour pris la décision de partir vivre ailleurs. Il a quitté le village car l’herbe semblait plus verte en ville.
Il a quitté son pays pour un autre, car on lui avait dit qu’il y avait la paix là-bas, qu’il y trouverait du travail, et qu’il pourrait assurer la survie de sa famille. Notre mémoire familiale sait d’où et quand notre grand-père est parti. À Bamako, les Maïga savent quel village du septentrion malien l’a vu naître, comme à Paris, les Le Draoulec n’oublient pas la Bretagne de leur papa.
Celui qui part s’adapte comme il peut. Quand il a la chance de pouvoir rejoindre un cousin parti avant lui, il s’adapte plus vite à son nouvel environnement, il en comprend plus rapidement le fonctionnement. Celui qui vient d’ailleurs apprend la langue si elle ne lui est pas familière.
On le traite de villageois, d’étranger, il endure les quolibets, les insultes, le rejet. Il essaie de ne pas trop se faire remarquer. Il sait pour quoi il est parti, il s’adapte. Il veille à préserver ses traditions, sa langue. Si des enfants lui naissent, il leur transmet sa culture pour qu’ils n’oublient jamais d’où il est venu, et que son «chez moi» soit aussi leur «chez eux».
Le monde est ainsi fait. Les êtres humains sont comme les animaux, ils quittent leurs territoires pour fuir le danger, quelle qu’en soit la nature. Les femmes et les hommes qui quittent ne le font jamais de gaieté de cœur, ils estiment qu’il y va de leur survie, de celle de leurs enfants, de leurs parents.
Tous espèrent rentrer au pays un jour, c’est un peu comme s’ils ne vidaient jamais complètement leurs valises. Tous espèrent qu’un jour, au pays, la guerre sera finie, qu’il y aura du travail pour tout le monde, que les mamans ne se demanderont plus comment faire bouillir la marmite du soir.
En attendant, ceux qui ont survécu à tous les dangers espèrent ne plus être regardés comme une menace, car ils ont eux-mêmes fui pour échapper aux menaces.
Françoise WASSERVOGEL