Pour la 23e édition du Festival panafricain du film et de la télévision de Ouaga, le Mali n’entend pas faire de la figuration. Le Centre national de la cinématographie du Mali débarque dans la capitale burkinabé avec un long-métrage d’une rare facture signé du réalisateur Ibrahim Touré. Transposition du roman sur l’écran noir, « Toiles d’araignées » est un récit époustouflant qui plonge dans les affres du régime de l’ex-dictateur Moussa Traoré.
C’est ce samedi 23 février que devra avoir lieu au stade du 4-Août de Ouagadougou le coup d’envoi officiel des festivités marquant la célébration de la 23e édition du Festival panafricain du film et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Sous le thème « Cinéma africain et politiques publiques en Afrique », cette édition se déroulera jusqu’au 2 mars prochain.
Au total, 101 films de 35 pays seront en compétition officielle dans différentes catégories : longs métrages, courts métrages, documentaires, séries télévisées…
Cette année, le Mali se rend à ce rendez-vous avec 4 films dans ses valises. Retenus en compétition officielle, ces films devront défendre les couleurs nationales. Il s’agit de deux films dans la catégorie série télévision : « Les Concessions » de Ladji Diakité, Léopold Togo, Ibrahim Touré, Abdoulaye Dao, Madjé Ayité et produit par le CNCM, et « Les Rois de Ségou » (saison 2, et une série de 20 épisodes de 26 minutes) de Boubacar Sidibé.
Dans la catégorie documentaire, « Hamou-Beya » (pêcheurs de sable) défendra les couleurs du Mali. C’est dans la catégorie long-métrage fiction que les pays mettront tout leur poids dans la balance. Cette année, le Mali compte réaliser une moisson fructueuse avec la nouvelle signature d’Ibrahim Touré.
Après donc « Da Monzon : la conquête de Samanyana », en 2011, notre pays se lance à cette 23e Fespaco dans la conquête de l’Etalon d’or de Yennega avec « Toiles d’araignées » : une adaptation du roman à l’écran. L’exercice est osé pour son réalisateur, et l’initiative est à féliciter, car la tâche était délicate.
Un récit captivant
« Toiles d’araignées » est le titre du roman autobiographique d’Ibrahim Ly. Jeune professeur de mathématiques, militant contre l’arbitraire, pour la justice sociale, les droits et les libertés, il devient membre d’un regroupement clandestin de l’époque appelé le PMRD (Parti malien pour la révolution démocratique) où se trouvaient des patriotes engagés dans la lutte contre la junte militaire au pouvoir à Bamako. Nous sommes dans les années 1970.
Arrêté par la police du CMLN (Comité militaire de libération nationale) pour ses activités politiques, en l’occurrence la distribution d’un tract de dénonciation du régime et de la mascarade de consultation référendaire sur le projet de Constitution en 1974, cet objecteur de conscience à la silhouette frêle, mais à l’âme trempée, au caractère ferme et résolu, va être déporté à Taoudéni.
Dans ce bagne de triste réputation (où passa également l’ancien président du Mali Modibo Kéita), il va vivre les affres de la prison, dans les pires conditions carcérales que réservaient les putschistes à l’époque à leurs adversaires et opposants. Bien après, il sera, par mesure de « clémence », transféré à Niono à une centaine de kilomètres de Ségou, avant sa libération en 1978. Après quatre années de martyrs dans les geôles de la soldatesque. Un récit époustouflant de 92 minutes à vous couper le souffle, un chef d’œuvre en somme.
« Un travail de professionnel »
Pour un coup d’essai, le réalisateur a réussi un coup de maître. Le produit obtenu est d’une remarquable facture. Et les critiques du cinéma sont formels : « C’est une œuvre de qualité, travaillée avec rigueur ». Du jeu des acteurs dans l’interprétation des rôles, à la composition musicale de génie signée par le maître du solfège, Cheick Tidiane Seck, en passant par les décors, les costumes, les maquillages, la lumière, etc. le produit est tout simplement excellent.
Le film d’Ibrahima Touré est à la fois un témoignage à charge, mais également revêt une vision humaniste. L’adaptation cinématographique de « Toiles d’araignées » d’Ibrahima Ly nous fait revivre des pages sombres des dictatures africaines qui ont scellé le destin de nos peuples, avec le musellement des voix de conscience et l’écrasement brutal de toute velléité de contestation.
Un film à voir absolument !
Issa Fakaba Sissoko
Le Mali et le Fespaco
Dans l’histoire du Fespaco, le Mali a remporté trois fois le grand prix Etalon d’or de Yénnenga. Il s’agit de « Baara » (en 1979), et « Finyé » (en 1983) du réalisateur Souleymane Cissé, et « Guimba » (en 1995) de l’ancien ministre de la Culture Cheick Oumar Sissoko.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
ECRANS DE CINEMA
« N’gunu N’gunu Kan » au cœur de la question touareg
Thématique d’actualité, costume et décor d’une rare originalité, avec un texte parfaitement bien écrit, à la fois poignant, mais comique, etc. les critiques du cinéma sont formels : la réalisatrice du film, Soussaba Cissé, est véritablement la fille de son père, Souleymane Cissé. Le long-métrage ainsi sorti sur les écrans noirs nous plonge au cœur d’une question essentielle de l’histoire du Mali : celle de la problématique touareg et les mensonges qui l’entourent. Dans un récit à nous couper le souffle, la cinéaste suscite la réflexion.
« N’gunu N’gunu Kan », c’est le titre d’un long-métrage qui vient de sortir sur les écrans. La projection en avant-première a eu lieu samedi 16 février dernier à l’hôtel de l’Amitié sous la présidence du ministre de l’Artisanat et du Tourisme et le représentant de celui chargé de la Culture.
Réalisé par Soussaba Cissé, ce film de plus de 90 minutes est une réflexion de son auteur sur une question d’actualité : celle du problème touareg, qui a entraîné le Mali en guerre depuis plus d’une année. La thématique est pertinente, et témoigne que la réalisatrice est une artiste de son temps, commentent les critiques du cinéma, qui reconnaissent en l’œuvre un vrai travail de professionnel.
Au centre de ce film un personnage à la fois bizarre, mais séduisant, du nom de Souleymane Touré plus connu sous le sobriquet « Soul ». Agé de 26 ans, il est passionné par le « slam » et anime dans une radio libre de Tombouctou. Un jour, il est pris par les forces occupantes des lieux (les jihadistes) avant d’être battu et laissé pour mort. Ses bourreaux lui reprochent d’avoir motivé les jeunes du Nord à leur résister. Un voyageur en route pour Bamako lui porte main forte et le conduit à l’hôpital. Là, il recevra des soins.
Ce film est un récit à la fois poignant, mais humoristique à vous couper le souffle. Il retrace le parcours cauchemardesque de cet animateur victime de la répression jihadiste, et fait le tour du Mali, les médias internationaux. Et « Soul » réalise qu’il peut se servir de cette mésaventure pour aider dans le sens de la sortie de crise et de la réconciliation. Le long-métrage « N’gunu N’gunu Kan » est donc un témoignage qui plonge le spectateur au cœur du Mali : celui des rumeurs, de l’éclatement de la rébellion au nord, à la chute des trois régions aux mains des terroristes, en passant par le coup d’Etat. Le film dépeint l’autre décor du Mali, où les « grin » deviennent des centres de discussions sur tout et rien.
Dernier long- métrage de sa réalisatrice, ce film pose véritablement la problématique de la question touareg. Pour Soussaba Cissé, « il faut dire la vérité au peuple malien, particulièrement à la jeunesse ». « Je pense que cette question doit être débattue sans faux-semblants, sans tabou. Il faut que nos parents, ceux qui savent nous disent les fondements de ce problème. Car nous les jeunes nous ne comprenons pas ce qui se passe ».
La réalisatrice du film est donc convaincue qu’il existe de nombreuses zones d’ombre autour de la question touareg. Et quand le secret entoure quelque chose, la place est faite aux rumeurs.
Dans ce chef d’œuvre d’une rare facture, Soussaba Cissé joue son rôle d’artiste de la paix, en appelant les Maliens à éviter la division pour avancer sur ce qu’on a commencé à bâtir ensemble.
Issa Fakaba Sissoko