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De la magie dans le droit malien : Quand la Cour suprême rend applicable une loi électorale abrogée !
Publié le lundi 21 novembre 2016  |  L’aube
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© aBamako.com par mouhamar
Cour Suprême: Moussa MARA a rendu visite à Nouhoum TAPILY
Bamako, le 10 juin 2014. Cour Suprême. Le premier ministre malien Moussa MARA, Chef du gouvernement a rendu une visite de courtoisie et de fraternité à Nouhoum Tapily, président de la Cour Suprême.
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« Jusqu’où le gouvernement, dans son mépris pour la légalité et ses manœuvres d’asservissement des plus hautes instances judiciaires du pays, continuera-t-il de conduire la République du Mali et son Etat de droit ? Les Maliens sont avertis. La justice injustement mise à contribution dans la croisade gouvernementale contre le droit, se voit désormais, face aux montages juridiques grotesques qu’on lui demande de couvrir et de cautionner, réduite à jouer aux magiciens du droit, aux apprentis sorciers. Comme c’est le cas à la Cour suprême ». Telle est la conviction de Dr Brahima Fomba, Chargé de Cours aux Facultés de Droit de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako. Le constitutionnaliste analyse ici l’avis de la Cour suprême que le processus électoral du scrutin communal tenu hier se poursuive sur la base de la loi n°06-044 du 04 septembre 2006 modifiée aux motifs que le collège électoral a été convoqué sous l’égide de ladite loi. Une nouvelle violation flagrante des textes de la République si l’on sait que la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant électorale (promulguée et publiée au Journal officiel spécial le 20 octobre 2016) abroge formellement toutes les lois antérieures.




A la Chambre Consultative de la Section Administrative de cette Cour, les magistrats sont effectivement devenus en quelque sorte des magiciens auquel le gouvernement, incapable d’appliquer la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant électorale, a ordonné de ressusciter à travers la baguette magique d’un Avis pour le moins ridicule au plan juridique, une loi expressément abrogée par les élus de la nation. Cette énormité juridique n’est que le dernier avatar de la gouvernance d’amateurisme, d’improvisation et de bricolage de toutes sortes dans laquelle le régime a fait basculer le pays et qui, peu à peu, abîme et fragilisent les unes après les autres, les institutions de la République dont ses plus hautes instances judicaires. Alors qu’on peine encore à avaler les deux derniers Arrêts indigestes de la Cour constitutionnelle où l’incompétence et la politisation s’entrechoquent, voilà que la Cour suprême s’y met dans le cadre de sa procédure contentieuse.

Si le Ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Réforme de l’Etat qui, il y a à peine une semaine ignorait la loi applicable aux élections qu’il organise, a eu, dans la lettre n° 1246 du 14 novembre 2016 adressée aux partis politiques, « l’honneur d’informer que l’organisation des élections communales du 20 novembre 2016 se poursuivra sur la base de la loi n°06-44 du 04 septembre 2006, modifiée portant loi électorale », c’est parce qu’il s’est fondé sur un Avis proprement scandaleux de la Chambre Consultative de la Section Administrative de la Cour Suprême lui ouvrant cette brèche. Ce fameux Avis daté du 08 novembre 2016, c’est-à-dire une semaine environ avant la lettre ministérielle du n° 1246 du 14 novembre 2016, a suggéré la poursuite du processus électoral relatif aux communales du 20 novembre 2016 sur la base de la loi électorale n°06-044 du 04 septembre 2006 modifiée aux motifs que le collège électoral a été convoqué sous l’égide de ladite loi. Selon ledit avis, il est « loisible » au gouvernement d’appliquer la loi électorale abrogée aux communales du 20 novembre 2016. A priori, l’avis semble hésitant dans sa formulation comme pour signifier au ministre qu’il a le choix entre deux lois électorales.

Compte tenu du caractère grotesque du service qu’on lui demandait, on pouvait naturellement s’attendre à des formulations alambiquées du genre « il lui est loisible », qui ne sont en fait que des subterfuges pour éventuellement permettre à la Cour suprême de se dédouaner le cas échéant.

La vérité est que l’avis a donné carte blanche au ministre pour appliquer illégalement une loi déjà abrogée.


LE PREMIER MINISTRE A- T- IL RESPECTE LA CONSTITUTION ET LA LOI ORGANIQUE SUR LA COUR SUPREME ?

Comment expliquer qu’au sein d’une haute institution judiciaire comme la Cour suprême, on en vienne à prodiguer au gouvernement des avis d’une telle précarité juridique ? Pour tenter de l’expliquer, il faut au préalable se rappeler que c’est avant tout en sa qualité de conseil du gouvernement aux termes de la Constitution et de la loi organique modifiée n° 96-071 du 16 décembre 1996 sur la Cour suprême que celle-ci en est venue à se fourrer le nez, comme un médecin après la mort, dans cet imbroglio juridique déjà consommé. Aux termes de l’article 75 de la Constitution, « Les projets de loi sont délibérés en Conseil des Ministres après avis de la Cour Suprême et déposés sur le bureau de l’Assemblée Nationale ». Quant à la loi organique sur la Cour suprême, deux de ses articles méritent d’être pris en considération : les articles 75 et 76.

Article 75 : « Le Président de la Section peut, à la demande des membres du Gouvernement, désigner un membre de la Chambre consultative pour les assister dans l’élaboration d’un projet de texte législatif ou réglementaire ou d’une proposition de loi »

Article 76 : « La Chambre consultative donne son avis sur tous les projets de lois et décrets et en général sur toutes questions pour lesquelles sont intervention est prévue par les dispositions législatives ou réglementaires oui qui lui sont soumis par le Gouvernement. Elle peut également être consultée par les Ministres sur les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ».

Ces dispositions de la Constitution et de la loi organique sont en fait des filtres en vue de garantir au plan juridique la qualité des textes législatifs et réglementaire du pays. Au regard de ces dispositions de la Constitution et de la loi organique, il faudrait alors se demander quelle a été l’attitude du gouvernement en amont, c’est-à-dire dans la phase « projet » non encore délibéré de la nouvelle électorale et même du décret convoquant le collège électoral. Le gouvernement a-t-il respecté la disposition constitutionnelle lui faisant obligation de saisir la Cour suprême de tous les projets de loi avant leur adoption par le Conseil des ministres ? Pourrait-il nous fournir la preuve que le projet de loi électorale délibéré au Conseil des ministres du 15 juin 2016 avait été préalablement soumis à l’avis de la Cour Suprême ?

Par ailleurs, quel usage a-t-il fait, pour ne pas ainsi se faire ridiculiser, de la faculté que lui offre la loi organique modifiée n° 96-071 du 16 décembre 1996, de solliciter la Cour suprême non seulement pour requérir son avis y compris quand ce n’est pas obligatoire, mais même pour l’assister dans l’élaboration de son projet de loi électorale et de son projet de décret convoquant le collège électoral des communales du 20 novembre dernier ? Par rapport à toutes ces questions et au regard du bourbier juridique actuel dans lequel il a enfoncé le pays, on ne peut être que sceptique quant au respect par le gouvernement de ses obligations constitutionnelles et légales en la matière. Tout laisse croire que les filtres constitutionnels et légaux cités plus haut ont été allègrement contournés. Ce qui, du reste, n’a rien d’étonnant pour un gouvernement qui semble s’interdire tout anticipation et qui navigue à vue, tel un bateau ivre, dans un océan de bricolage, de colmatage et d’improvisation au sein de la République.


LA COUR SUPREME AURAIT-ELLE MAL CONSEILLE EN AMONT LE GOUVERNEMENT ?

S’il s’avère en revanche que les dispositions de l’article 75 de la Constitution et des articles 75 et 76 de la loi organique n’ont pas été violées, la Cour suprême serait au moins autant responsable que le gouvernement de l’imbroglio juridique actuel qui met à rude épreuve l’Etat de droit au Mali. Car cela voudrait dire qu’elle n’aurait pas fourni au gouvernement l’expertise juridique adéquate dans un contexte où celui-ci avait entendu relire la loi électorale dans la précipitation et le forcing y compris en convoquant une coûteuse session extraordinaire parlementaire, dans l’objectif certain que cette nouvelle loi électorale devait régir le reste du processus électoral communal dont le collège avait été convoqué sous l’égide de l’ancienne loi électorale. Une telle situation de collision entre des normes juridiques contradictoires n’est pas inédite dans les annales de la règlementation. De nombreuses solutions juridiques existent pour gérer de pareils cas de figure que ne devrait aucunement ignorer la Chambre consultative de la Section Administrative de la Cour suprême. On citera à titre d’exemple la technique des dispositions transitoires notamment par rapport à l’entrée en vigueur ou même au champ d’application de la nouvelle loi. Par ailleurs, pourquoi la Cour suprême n’a- t-elle pas fait comprendre au gouvernement qu’il tombait effectivement sous le coup de l’article 2 du Protocole de la CEDEAO en s’engouffrant dans son projet de relecture de la loi électorale ? Elle aurait certainement été plus à l’aise aujourd’hui, au contraire de la Cour constitutionnel qui avait préféré plaire au gouvernement en validant contre tout bon sens, une loi inconstitutionnelle qui viole ce Protocole. Etant donné que toutes ces contraintes juridiques évidentes constituaient, entre les mains de la Cour suprême, autant d’arguments de conseil de nature à épargner le pays de l’imbroglio juridique qui prévaut, faut-il alors envisager l’hypothèse, quoique théorique, d’un refus éventuel du gouvernement de suivre son avis juridique ? Auquel cas, la responsabilité de la Cour suprême ne saurait être engagée. C’est malheureusement l’hypothèse la moins probable. Tout laisse croire au contraire que le gouvernement a agi tout seul, sans respecter ni la Constitution ni la loi organique, avant de se planter et d’appeler à la rescousse et dans la panique générale, la Chambre Consultative de la Section Administrative de la Cour suprême pour venir, au travers d’un avis tronqué, jouer aux sapeurs-pompiers, ou plutôt aux magiciens du droit.


UN AVIS TRONQUE A CONTRE-COURANT DES PRINCIPES ELEMENTAIRES DU DROIT

Conformément à l’article 76 de la loi organique modifiée n° 96-071 du 16 décembre 1996, la Cour suprême peut être saisie pour avis de toutes questions qui lui sont soumises par le Gouvernement ou consultée par les ministres sur les difficultés qui s’élèvent en matière administrative. C’est de toute évidence sur la base de cette disposition que le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et de la Réforme de l’Etat avait saisi la Cour suprême. En réponse à la « commande » du gouvernement, l’avis de la Cour suprême en date du 08 novembre 2016 a conclu à la « poursuite du processus électoral relatif aux communales du 20 novembre 2016 sur la base de la loi électorale n°06-044 du 04 septembre 2006 modifiée aux motifs que le collège électoral a été convoqué sous l’égide de ladite loi » ! C’est tout simplement honteux, y compris aux yeux de n’importe quel jeune étudiant de Faculté de Droit. Pour se faire une petite idée de cette aberration juridique, c’est exactement comme si on disait que le Mali est toujours régi aujourd’hui par sa première Constitution promulguée par la loi N°60-1-AN-RM du 22 septembre 1960, au motif qu’il aurait eu son indépendance sous l’égide de cette Constitution. La loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale abroge à son article 210 en des termes sans équivoque et explicites, la loi n°06-044 du 4 septembre 2006 : « La présente loi abroge toutes dispositions antérieures contraires, notamment la loi n°06-044 du 4 septembre 2006 modifiée par la loi n°2011-085 du 30 décembre 2011, la loi n°2013-017 du 21 mai 2013 et la loi n°2014-054 du 14 octobre 2014 ». Du fait de cette abrogation expresse sans équivoque, la loi n°06-044 du 4 septembre 2006 sous l’égide de laquelle le collège électoral avait été convoqué, ne peut plus s’appliquer en ce qui concerne le reste des opérations électorales non consolidées ultérieures à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, date à laquelle la loi n°06-044 du 4 septembre 2006 n’existe plus. Comment une loi qui n’existe plus peut-elle continuer à s’appliquer à des situations futures en écartant la nouvelle loi qui l’abroge ? Si ce n’est par cette magie dont les « magistrats-magiciens » de la Chambre Consultative seraient les seuls à détenir le secret, les opérations électorales des communales qui étaient ultérieures à la date d’entrée en vigueur de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016, n’ont pu aucunement être régies par la loi n°06-044 du 04 septembre 2006 déjà abrogée, pour la simple et unique raison que cette abrogation a justement eu pour effet d’annuler pour l’avenir le caractère exécutoire de cette loi. Par la magie démentielle de cet avis, l’acte d’abrogation du législateur, au lieu d‘avoir pour conséquence logique d’anéantir pour l’avenir l’effet de la loi n°06-044 du 4 septembre 2006, permet au contraire de reporter et projeter de nouveau sur les opérations électorales futures des communales du 20 novembre 2016, les effets de cette loi abrogée. C’est comme si la Chambre Consultative ressuscitait par magie une loi qui n’existe plus dans l’ordonnancement juridique. Cette alchimie juridique concoctée sur le postulat défiant tous les principes du droit et de la légalité, permet ainsi d’écarter une loi promulguée par le Président de la République, publiée et donc entrée en vigueur, pour gratifier l’incompétence du gouvernement de la récompense d’une abrogation implicite déguisée et grotesque de la seule loi électorale en vigueur qui est la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016.


LE GOUVERNEMENT VIOLE LA LOI ET SE COUVRE D’UN AVIS TRONQUE

Il est clair, en dépit de toutes les déclarations officielles, que cette saisine n’avait d’autre but que d’amener la Cour suprême à fournir au ministre un blanc-seing pour le brandir à l’opposition, afin de masquer son incapacité à mettre en application la seule loi électorale qui existe et qui est la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016. Le ministre qui est tout de même entouré de conseillers compétents et expérimentés, ne pouvait avoir le moindre doute sur la loi électorale applicable. En réalité, en tant qu’héritier de cet encombrant legs de son prédécesseur, il s’était battu au départ pour assurer l’effectivité du vote anticipé des militaires quant à sa prise en charge matérielle notamment en termes de listes électorales et d’émargement, de bureaux de vote, de décompte des résultats, avant de se rendre à l’évidence que c’était peine perdue car inapplicable et que la violation de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 était inévitable. Sur la question, le premier ministre avait laissé entendre lors de sa rencontre du 16 novembre 2016 avec le Chef de file de l’opposition que « le souhait du Gouvernement était de poursuivre le processus électoral sur la base de la nouvelle loi électorale », comme pour faire avaler que c’est presque la mort dans l’âme qu’il a dû se plier à l’avis de la Cour suprême. Ces drôles de propos en disent long sur la notion d’Etat de droit dans la tête des premiers responsables de ce pays. L’application d’une seule et unique loi électorale qui est la loi n° n°2016-048 du 17 octobre 2016 ne peut aucunement relever d’une question de « souhait » du gouvernement, mais plutôt de l’obligation constitutionnelle qui pèse sur lui d’appliquer simplement les lois de la République. Le Premier ministre sait bel et bien que la Cour suprême a été saisie, beaucoup plus pour lui extorquer un laissez-passer de violation officielle de la loi électorale, que pour lui demander de se prononcer en toute indépendance, sur une question juridique. Il ne peut aucunement abuser les Maliens soucieux de légalité et d’Etat de droit, face à l’évidence d’une demande d’avis consécutive à une carence gouvernementale manifeste, qui n’avait d’autre but que d’extorquer de l’institution, un cachet d’impunité destiné à solder une illégalité flagrante. Ayant très probablement bien reçu le message et sachant parfaitement que la seule issue possible pour le gouvernement ne pouvait être que le portillon de l’illégalité, la Chambre Consultative de la Section Administrative de la Cour suprême a fait de la magie plutôt que du droit, en lui servant la potion d’un avis doté du pouvoir extraordinaire de ressusciter une loi déjà abrogée et d’abroger implicitement de facto une loi en vigueur. L’avis tordu ainsi donné au gouvernement qui n’a rien de juridique, n’est ni plus ni moins qu’un acte de transgression violente à des fins politiciennes, de la volonté du législateur d’édicter, en lieu et place de la loi n°06-044 du 4 septembre 2006, une nouvelle loi électorale pour régir les élections communales du 20 novembre 2016. Et pour cause ! Ce n’est pas la première fois et ne sera sans doute pas la dernière, que l’on constate avec amertume la tendance du gouvernement à instrumentaliser les plus hautes instances judiciaires dans le but de couvrir ses nombreuses tares et bévues juridiques. Heureusement que toute façon, les avis de la Chambre Consultative de la Section Administrative de la Cour suprême statuant en matière consultative le sont sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions compétentes. C’est dire que l’avis du 08 novembre 2016 ne préjuge pas de la légalité de la poursuite du processus électoral relatif aux communales du 20 novembre 2016 sur la base de la loi électorale n°06-044 du 04 septembre 2006. Rien ne dit qu’à un éventuel contentieux, ne sera pas balayé-à bon droit- le motif fallacieux de convocation du collège électoral sous l’égide de la loi n° n°06-044 du 04 septembre 2006 pour justifier l’abrogation implicite irrégulière de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale. A condition bien entendu de rester optimiste malgré tout, quant à la question de l’indépendance de la justice malienne.

Dr Brahima FOMBA

Université des Sciences Juridique et Politiques de Bamako (USJPB)

Chargé de Cours aux Facultés de Droit
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