L’ancien président de la Côte d'Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, inventa l'expression « Françafrique » pour décrire un réseau complexe de liens économiques, militaires, politiques, sociaux et culturels entre la France à ses anciennes colonies. Ces liens, tissés pendant des décennies de domination coloniale, ont persisté après l'indépendance des années 1960. Ils furent mutuellement profitables pour les deux parties. Les africains bénéficiant ainsi de la protection française, du soutien militaire, et surtout de l'aide étrangère.
Les systèmes et méthodes gouvernementaux, éducatifs, légaux, militaires, bureaucratiques et administratifs de nombreuses anciennes colonies africaines furent calqués sur les structures françaises, avec le français comme langue officielle. Souvent, les vols aériens entre pays africains ne peuvent se faire qu'en transitant à Paris. Ces facteurs, à eux seuls, ont assuré le maintien de l'influence française dans de nombreuses sociétés africaines après l'indépendance. La Françafrique arrangeait les dirigeants africains. Ils amassèrent des fortunes privées parfois investies dans l’immobilier et autres exploitations en France et ailleurs en Europe. De son côté, la France profita d'un groupe d'États clients, de l’accès facile aux ressources et aux marchés pour ses exportations, et d’une liberté d'action tacitement reconnue. C’est dans cet environnement que le scandale «Angolagate», trafic d’armes en Angola, devint possible.
Les Africains des époques coloniales et indépendantistes étaient profondément imprégnés dans la culture française avec certains atteignant des positions élevées en France. Houphouët-Boigny fut membre du gouvernement français et le président Senghor atteignit le sommet de la société française avec son élection à l'Académie Française. L'élite africaine et leurs enfants étaient souvent scolarisés en France, permettant ainsi à l’hexagone d’étendre son réseau d’influence. Des dizaines de milliers de troupes coloniales africaines se sont battues pour la France pendant les deux guerres mondiales et autres conflits. Certains anciens combattants reçoivent toujours des pensions pour leur service rendu à la France.
La Françafrique fonctionna bien pendant des décennies, sous la tutelle d'une succession de « M. Afrique » à l’Élysée. Le premier « M. Afrique » fut le légendaire et controversé Jacques Foccart qui fut conseiller Afrique de De Gaulle, Pompidou, Mitterrand et Chirac. Pendant de nombreuses années, le conseiller Afrique à l’Élysée n’était pas sous l’autorité du conseiller diplomatique du président, mais relevait directement du président lui-même. Ainsi, il jouissait d'un statut égal ou peut-être même supérieur à celui du conseiller diplomatique qui devait s'inquiéter du reste du monde.
A la fin du XXe siècle, la Françafrique, en tant que modèle, commença à avoir des difficultés à s'adapter à un paysage globalisé et en mutation. En bref, la Françafrique commença à être victime des effets de la mondialisation.
Pour la France, le coût du maintien de la Françafrique devenait de moins en moins rentable politiquement et économiquement. En 2001, la France passa à une armée entièrement faites de volontaires ; ce qui a immédiatement augmenté le coût du maintien d'une présence militaire en dehors de l’hexagone. Les exigences de l'Union Européenne limitent les dépenses déficitaires. Le filet de sécurité sociale traditionnellement généreux de la France et le vieillissement de sa population pèsent sur la viabilité de ses finances publiques. La compétition avec les économies en plein essor et assoiffées de ressources, élèvent le coût des transactions commerciales, menaçant ainsi le privilège des français en Afrique.
La réduction des dépenses budgétaires est devenue une priorité pour le gouvernement français. Le maintien de la Françafrique devint alors de plus en plus difficile financièrement. Politiquement, certaines crises sont plus difficiles et plus coûteuses à maîtriser. Les Français sont très amers sur la situation en Côte d'Ivoire, autrefois considérée comme un joyau de la couronne de la Françafrique.
Le pays sombra dans le chaos après la mort d'un des plus grands défenseurs et bénéficiaires de la Françafrique, Houphouët-Boigny. La crise atteignit son nadir en novembre 2004 avec le bombardement des forces françaises à Bouaké par l’aviation ivoirienne. L’Opération Licorne, peut-être la dernière intervention militaire unilatérale de la France, lui a coûté environ 250 millions d'euros par an soit environ 164 milliards de FCFA. Le coût total de l’Opération revint à plus d’un milliard d’euros, soit 656 milliards de FCFA, sans pour autant donner de résultats décisifs. C’est dans ce contexte que la France se rendit compte que le changement est inévitable vis-à-vis de la Françafrique.
Amadou O. Wane
Collaborateur externe,
Floride, Etats-Unis