Le mercredi 30 novembre prochain (exactement dans deux jours) à Sikasso, l’ex-putschiste Amadou Haya Sanogo comparaît en assises pour «enlèvement, assassinat et complicité» de militaires dont les corps ont été découverts dans un charnier à Diago (Kati) en 2013. L’annonce de ce qu’il convient d’appeler un évènement (Amadou Haya Sanogo étant le deuxième putschiste dans l’histoire du Mali à être traduit en justice) focalise les attentions et fait l’objet de commentaires. Retour sur le parcours de ce militaire qui a précipité son pays dans une crise sans précédent.
Le procureur général près la Cour d’appel de Bamako l’a annoncé dans un communiqué: une session d’assises sera ouverte, le 30 novembre 2016 à Sikasso, au cours de laquelle sera évoquée l’affaire Amadou Haya Sanogo et plusieurs autres, accusés d’enlèvement de personnes, assassinat et complicité. En d’autres termes, il devra répondre des nombreuses affaires de meurtre et de disparition qui ont émaillé son règne à Kati.
Enfin ! Soupirent depuis les familles des victimes et les organisations de défense des droits de l’homme. Refusant de baisser les bras, ces familles ont toujours affiché une détermination afin que «ce procès se tienne » et pour que « les auteurs du crime commis soient punis par la justice ». Finalement, une lueur d’espoir est née. Elles sont en voient d’obtenir justice.
« Nous sommes heureux d’apprendre qu’il (Sanogo) sera enfin jugé. Nous voulons savoir comment nos pères ont été arrêtés, comment ils se sont retrouvés dans une fosse commune », a déclaré à l’AFP Amadou Kanté, un responsable de l’association des familles de militaires disparus.
L’Association malienne de défense des droits de l’homme et la Fédération internationale des droits de l’Homme s’est aussi réjouie de l’annonce du procès de l’ex-putschiste. Ces organisations de défense des droits humains se sont constituées parties civiles aux cotés de 23 familles et proches de victimes dans cette affaire, appelée «affaire des bérets rouges». Depuis novembre 2013, l’Amdh et la Fidh sont mobilisées pour la tenue d’un procès juste et équitable, a déclaré Me Moctar Mariko, président de l'Amdh, sur la page Facebook de l’association.
Exécutions sommaires
Celui qui s’imaginait en De Gaulle malien dort en prison depuis le 27 novembre 2014, trimbalé entre Bamako, Manantali et Sélingué. L’ex homme fort de Kati, qui avait perdu son influence dans l'armée, a été interpellé de force chez lui par des gendarmes, appuyés par les forces spéciales maliennes. Auditionné puis inculpé pour "complicité d’enlèvement de personnes", il a ensuite été placé sous mandat de dépôt. On pensait alors que le plus difficile venait d’être surmonté avec cette inculpation formelle, suivie de son incarcération d’abord dans un camp de la gendarmerie nationale à Bamako, avant son transfert loin de la capitale.
Faut-il rappeler, le juge Yaya Karembé, qui l'a interrogé pendant six heures, enquêtait sur deux dossiers. Le premier avait trait à la tentative ratée de contre-putsch conduite le 30 avril 2012 par les parachutistes du camp de Djicoroni. Plus d’une vingtaine d'entre eux avaient été arrêtés. 23 devaient disparaître à jamais. Des témoins ont fait état de tortures et d'exécutions sommaires. Dans une vidéo circulant sur la toile, on voit certains de ces disparus aux côtés de plusieurs sous-officiers considérés comme proches de Sanogo. Leurs corps ont été retrouvés en décembre 2013 dans un charnier à Diago, près de Bamako. L’exhumation des cadavres, le 4 décembre 2013, avait constitué une avancée majeure dans l’enquête. Douloureuse qu’elle soit, cette découverte a aussi réveillé chez les familles des victimes l’espoir de découvrir enfin la vérité.
Le juge entendait aussi demander des comptes à Sanogo sur la mort étrange de soldats aux lendemains de la mutinerie qui a secoué le camp de Kati, le 30 septembre de la même année. Sept militaires, réputés faire partie du premier cercle du général, manquent depuis à l'appel.
C’est en décembre 2015, que le processus a enregistré de nouvelles avancées. La Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Bamako a annoncé le renvoi aux assises de 18 personnes parmi lesquelles l’ancien ministre de la défense, le général Yamoussa Camara, l’ancien chef d’état-major général des forces armées, le général Ibrahim Dahirou Dembélé, et le général Sanogo. Et le parquet général avait déclaré le non-lieu pour dix (10) autres officiers inculpés pour les mêmes motifs, dont l’ex-chef de la DGSE, Sidy Alassane Touré et Siriman Fané (décédé).
Mme Sagara Bintou Maïga, présidente du Collectif des parents des bérets rouges disparus, s’était étonnée de cette décision judiciaire de libération de ces personnes « impliquées jusqu’au coup dans ce dossier d’assassinat ».
Près de trente mois après la chute de celui qui aimait se présenter comme « le sauveur du Mali », nul ne pouvait dire avec précision quand et où son procès pourrait se tenir.
Faut-il craindre le grand déballage ?
L'épilogue de sa règne a surpris, tant Sanogo, bombardé général d'armée en août 2013, semblait intouchable. Dans l'entourage d'IBK, on assurait seulement «ne pas commenter une décision de justice» tout en reconnaissant que son arrestation donnera un peu d'air au pouvoir au moment où il «traverse une période difficile». La presse émettait des critiques de plus en plus acerbes sur la tranquillité dont bénéficiait le général, sur ses refus de répondre aux convocations des magistrats, ressuscitant les rumeurs de collusion entre l'ex-junte et le président Ibrahim Boubacar Keïta. En effet, il a reçu – deux fois selon le juge en charge de l’instruction- la convocation sans daigner y répondre. Mais l’accusé à sa version des faits. Quelques jours après son arrestation, dans un enregistrement sonore diffusé par une radio de la place, Sanogo soutient le contraire. Il n’aurait jamais reçu de convocation de qui que soit. Mieux, dans le même enregistrement, il se dit écœuré par l’implication du colonel Abdine Guindo dans le processus enclenché contre sa personne. Le col Guindo, un des fidèles du président déchu, est celui qui a conduit le contre-putsch.
Au sommet de l’Etat, on craint que l’ex-chef de la junte ne transforme son procès en tribune pour faire le grand déballage. Il aurait menacé, du fond de sa cellule, de « tout balancer ». On parle surtout des complicités entre la junte militaire et le candidat du Rpm à la présidentielle de juillet 2013.
Par ailleurs, on craint aussi que ce procès ne soit celui de l’armée, en ressuscitant les rivalités internes. Les plaies ouvertes par le contre putsch raté, restent encore béantes, malgré les tentatives de réconciliation entreprises pour véritablement réconcilier les bérets rouges et les bérets verts.
L’ouverture du procès Haya répond à une contrainte juridique. Le code pénal stipule : « le juge peut ordonner une détention préventive ; il peut la renouveler 8 jours avant expiration mais la durée totale ne peut dépasser 12 mois pour les délits et 3 ans pour les crimes ».
Selon des juristes, l’accusé écopera au moins 20 ans de réclusion. « Et 2 ans après sa condamnation, il sera probablement gracié », confie un observateur de la scène politique malienne.
Sambou Diarra
DE KATI À SELINGUE
La chute d’un putschiste
Du camp de Kati, où il régnait en maître absolu sur le Mali, à la prison de Sélingué où il est incarcéré, le capitaine Amadou Haya Sanogo, ex-chef de la junte, aura connu une chute vertigineuse, sinon une descente aux enfers.
21 mars 2012 - Cela fait une semaine que la colère gronde au camp militaire de Kati, près de Bamako. Emmenés par le capitaine Amadou Haya Sanogo, plusieurs officiers exigent d'être reçus par le chef de l'État, Amadou Toumani Touré (ATT), et réclament plus de moyens pour lutter contre la rébellion touarègue qui fait rage dans le Nord. Ce mercredi 21 mars 2012, peu après midi, une colonne de soldats se dirige vers la capitale. Ils prennent d'abord le siège de l'Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM) avant d'investir le palais présidentiel de Koulouba, déserté dans la soirée par ATT.
22 mars 2012 - Jeudi matin, les Maliens découvrent à la télévision le visage des nouveaux maîtres du pays. Parmi eux, le capitaine Amadou Haya Sanogo, 39 ans, chef des mutins regroupés au sein d'un "Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'État" (CNRDRE). Alors qu'une ambiance de guerre civile règne à Bamako, Sanogo annonce que "toutes les institutions" ont été suspendues, ainsi que la Constitution, et qu'un couvre-feu a été décrété. Selon lui, la junte prend "l'engagement solennel de restaurer le pouvoir" aux civils et de mettre en place un gouvernement d'union nationale.
28 mars 2012 - Le CNDRE publie son ordonnance numéro 0001 présenté comme l'"Acte fondamental" de l'État du Mali. Cette nouvelle Constitution consacre le comité comme "organe suprême de la transition" et érige son président, le capitaine Amadou Haya Sanogo, au rang de "chef de l'État".
1er avril 2012 - Dix jours après le putsch contre ATT, le capitaine Sanogo convoque la presse à son quartier général de Kati. À ses côtés se tient le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Djibril Bassolé, émissaire du président Blaise Compaoré et médiateur de la Cedeao dans la crise malienne. Devant les journalistes, le chef du CNDRE promet de rétablir la Constitution et les institutions de 1992 ainsi que de remettre le pouvoir aux civils. Il évoque alors des "consultations avec toutes les forces vives du pays (...) pour permettre la mise en place d’organes de transition" et l'organisation d'élections auxquelles la junte ne participera pas". Le tout en se gardant bien de fixer un calendrier.
2 avril 2012 - Amadou Haya Sanogo perd son statut - autoproclamé - de chef de l'État. En vertu d'un accord de sortie de crise signé le 6 avril avec la médiation ouest-africaine, le capitaine laisse le pouvoir aux civils. Dioncounda Traoré est nommé président de la République par intérim et Cheick Modibo Diarra prend la tête du gouvernement de transition. Mais malgré les apparences, le capitaine Sanogo ne semble pas décidé à lâcher le pouvoir...
30 avril - 2 mai 2012 - Les Bérets rouges, des militaires restés fidèles au président ATT, tentent un contre-coup d'État et attaquent les Bérets verts putschistes. Les affrontements sont sanglants. Durant trois jours, les hommes de Sanogo arrêtent, détiennent et torturent de nombreux militaires pro-ATT. Selon des enquêtes menées par plusieurs organisations de défense des droits humains, le 2 mai, au moins 21 militaires, majoritairement des bérets rouges détenus au camp de Kati, sont emmenés dans des camions militaires. Leur trace n'a jamais été retrouvée.
21 mai 2012 - La transition est chaotique. Contrairement à ce qui était prévu, les élections n'ont pas lieu au mois de mai. Le 21, des centaines de manifestants, opposés au maintien au pouvoir de Dioncounda Traoré, marchent sur Koulouba. Le président par intérim est lynché par des dizaines d'individus en furie. Après avoir frôlé la mort, il est transféré à Paris, où il restera plusieurs mois en convalescence.
1 décembre 2012 - Dans la nuit du 10 décembre, le Premier ministre, Cheick Modibo Diarra, est arrêté à son domicile par les militaires. Quelques heures plus tard, au petit matin, il est contraint à la démission par le capitaine Sanogo. Le soir même, à la télévision, l'ex-putschiste multiplie les banderilles contre son ennemi, cet homme qui n'avait "aucun égard pour le peuple", "ne reconnaissait pas l'autorité du chef de l'État" et qui "[étranglait] le pays par des ambitions personnelles démesurées".
13 février 2013 - La guerre contre les groupes jihadistes armés, menée par la France et plusieurs forces africaines, est en cours depuis un mois dans le nord du pays. À Bamako, le capitaine Sanogo reste au cœur du jeu politique. Le 13 février, lors d'une cérémonie en grande pompe à Koulouba, il est officiellement investi à la tête du "Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité", un poste qu'il occupait officieusement depuis six mois.
26 juin 2013 - À l'occasion d'une cérémonie solennelle de réconciliation entre Bérets verts (pro-Sanogo) et Bérets rouges (pro-ATT) au palais présidentiel, à Bamako, l'auteur du coup d'État de mars 2012 demande "pardon au peuple malien".
14 août 2013 - Le capitaine putschiste prend du galon et est promu général quatre étoiles en Conseil des ministres. Sa promotion intervient trois jours après le second tour de l'élection présidentielle, remportée par Ibrahim Boubacar Keïta. S'il avait promis de se tenir en retrait, l'ombre du désormais "général Sanogo" a pourtant plané sur la campagne électorale.
18 novembre 2013 - Au début du mois de novembre 2013, le juge d’instruction Yaya Karembé s'est vu confier une information judiciaire ouverte contre vingt militaires pour leur responsabilité présumée dans l’arrestation et la disparition, le 2 mai 2012, d’une vingtaine de Bérets rouges. Parmi eux figure le général Sanogo. Le 18 novembre, ce dernier est convoqué par le juge Karembé, mais refuse de se présenter devant le magistrat.
27 novembre 2013 - Plusieurs dizaines de militaires maliens se rendent au domicile de Sanogo, dans le centre de Bamako, pour procéder à son arrestation et le conduire devant le juge Karembé. Selon une source au ministère de la Justice, citée par l'AFP, l'ordre de l'arrêter "a été donné au plus haut niveau de l'État". Après avoir été présenté au magistrat, le général est inculpé de "complicité d’enlèvement de personnes" et placé sous mandat de dépôt. Après avoir rêvé d'un destin de sauveur national, l'ex-putschiste prépare désormais sa défense en prison.
Source: L'Aube