Un syndicat peut-il empêcher les militants d’un autre légalement constitué de circuler et de transporter des clients dans l’Anneau Sotrama ? Une infrastructure réalisée à hauteur de 7,4 milliards Fcfa pour rendre fluide la circulation urbaine et organiser le transport urbain et inter- urbain pour améliorer le déplacement dans le centre ville de Bamako. C’est curieusement le diktat imposé au Syndicat des transports urbains de la ligne de Lafiabougou (STUL) dont les membres sont empêchés de vaquer à leurs occupations par les responsables du Comité syndical de la ligne de Lafiabougou.
La tension ne cesse de monter et cette situation est une bombe sociale. Jusque-là les responsables du STUL sont parvenus à retenir leurs militants qui piaffent d’impatience pour en découdre et défendre leurs sources de revenus. Mais, jusqu’à quand ?
«Depuis le lancement des activités de notre syndicat dûment créé le 14 décembre 2015, nos chauffeurs sont systématiquement empêchés d’embarquer les passagers dans l’anneau Sotrama, notamment sur la rue 552 et la rue Baba Diarra par les militants du Comité syndical de la ligne de Lafiabougou», explique M. Boubacar Diabaté, secrétaire général du STUL. Face au succès de cette nouvelle organisation syndicale, ses adversaires ont d’abord procédé par intimidation des chauffeurs qui y ont massivement adhéré. Et par la suite, ils ont loué les services des gros bras pour «les agresser physiquement de façon quasi quotidienne», souligne un procès-verbal de constat d’huissier fait le 7 janvier 2016.
«Suite aux agressions de nos chauffeurs les 22 et 24 janvier 2016, une plainte avait été déposée auprès du parquet de la commune III le 26 janvier 2016», explique M. Diabaté. Une plainte qui n’a eu le mérite que de «radicaliser» leurs adversaires qui se vantent d’avoir les bras longs dans l’appareil judiciaire du pays. «Nos procédures introduites tendant à faire en sorte que nos militants chargent dans l’anneau Sotrama sont sans suite… Je requiers auprès de vous une implication diligente pour la résolution du problème qui frise le lynchage», a insisté le STUL dans une correspondance adressée au Procureur général près de la Cour d’Appel de Bamako le 7 avril 2016. Que loi soit appliquée et que justice soit rendue à leurs militants agressés et blessés.
C’est tout ce que ces syndicalistes demandent à la justice malienne.
«De décembre 2015 à aujourd’hui, il ne se passe un jour sans que nous soyons agressés verbalement, qu’on nous insulte père et mère. Et nous sommes fréquemment menacés de mort», précise M. Bréhima Camara, le secrétaire général du STUL. Ce que confirment de nombreux chauffeurs membres de ce syndicat qui disent que beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui au chômage parce que les propriétaires leur ont repris les véhicules puisqu’ils ne parvenaient plus à travailler. Et au cours de nos investigations, nous avons été témoin des exactions et de la violence verbale contre certains d’entre eux au niveau de l’anneau Sotrama.
Une popularité et une influence qui gênent
Pour la petite histoire, Boubacar Diabaté a été le secrétaire général du Comité syndical de la ligne de Lafiabougou de 2003 à 2010. Mais, face à son influence grandissante liée à sa compétence, ses adversaires ont réussi à dresser la majorité des militants contre lui. «J’ai accepté le verdict des urnes et je me suis retiré en laissant comme actif 2 millions de FCFA, trois Sotrama. Sans compter le patrimoine foncier.
Et pour ne pas gêner mes successeurs, j’ai même emménagé à Yirimadio», souligne le syndicaliste. Mais, après quelques années, les chauffeurs ont compris leur erreur et ont décidé de le faire revenir. «Nous avons compris que nous avons été manipulés par des gens qui voulaient juste se débarrasser de M. Diabaté sans se préoccuper de nos intérêts. Son départ a laissé un immense vide dans la défense de nos intérêts. C’est ainsi qu’un collectif de 250 chauffeurs (liste à l’appui) s’est constitué pour exiger le retour de Boubacar Diabaté», nous a confié l’un des responsables de collectif.
«Effectivement, ils sont venus me voir. Mais je leur ai fait savoir que je tiens beaucoup à la légalité et qu’il fallait laisser le bureau achever son mandat et se préparer pour l’assemblée générale élective. Ce qu’ils ont accepté», nous explique le «paria» sollicité comme «sauveur». Élu le 6 mars 2011, le mandat du bureau en place prenait fin donc le 6 mars 2015. Ne sentant aucune volonté d’organiser une assemblée générale de la part des responsables en place, le Collectif leur adresse une correspondance le 12 mars 2015 pour les exhorter à se conformer aux statuts évitant ainsi de «glisser sur le terrain de l’illégitimité». «Face au refus du bureau d’organiser cette assemblée pour faire le bilan et procéder à une nouvelle élection, les membres du Collectif nous ont demandé de créer notre syndicat afin d’éviter un bras de fer aux conséquences inimaginables pour tous», explique M. Diabaté.
C’est ainsi que le Syndicat des transports urbains de la ligne de Lafiabougou (STUL) a vu le jour le 27 octobre 2015 suivant un procès-verbal constitutif dressé par l’étude de Me Amadou Cissé, huissier de justice à Bamako. Et la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM) a donné un avis favorable à sa demande d’affiliation le 13 novembre 2015. Quant au Procureur de la République auprès du Tribunal de grande instance de la commune IV du district de Bamako, à travers sa conclusion du 7 décembre 2015, il a certifié que les statuts et les règlements du syndicat ne sont nullement «contraires aux lois et règlements qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs…».
La justice complice du syndicat rival ?
Le mandat du bureau de 17 membres est également reconnu par la Fédération nationale des transports (FENAT). Et toutes ces organisations ont vainement tenté d’amener à la raison les responsables du Comité syndical de la ligne de Lafiabougou. Comment peut-on alors comprendre que ses militants (chauffeurs) soient empêchés de prendre des passagers comme les autres dans l’anneau Sotrama et que ceux qui refusent de se soumettre à ce diktat se fassent régulièrement agressés par des gros-bras à la solde de leurs concurrents ? À défaut de s’en prendre physiquement aux militants du STUL, les loubards cassent les vitres de leurs véhicules comme l’attestent un constat d’huissier établi par Me Kadiatou Coulibaly, le 7 janvier 2016. Et comment comprendre que les plaintes déposées par les victimes contre leurs agresseurs restent sans suite au tribunal de la commune III ?
Toutes les interventions du secrétaire général de la CSTM, Amion Guindo, pour mettre fin à ces entraves à la liberté syndicale et éviter que cela ne dégénère en violence, sont restées en vaines. «Nous avons frappé à de nombreuses portes, saisi Madame le commissaire du 5e arrondissement, écrit au Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako, et même renoncé à nos droits sur les chargements au profit de nos concurrents… En vain ! Ils continuent à utiliser la violence pour nous empêcher de travailler… Et dans les jours à venir, nous allons aussi écrire au Médiateur de la République, au ministre de la Justice et à celui des Transports et de l’Equipement ainsi qu’au gouverneur de Bamako pour les informer de cette situation et aussi les alerter», souligne Boubacar Diabaté.
«Nos militants sont aujourd’hui déterminés à rendre coup pour coup parce que personne n’a le monopole de la violence. Nous pouvons nous aussi payer des gros bras pour défendre nos adhérents. Mais, nous nous sommes jusque-là retenus parce notre pays traverse une crise et nous ne voulons pas en rajouter en troublant l’ordre public…», souligne Boubacar Diabaté. «Le Mali est un pays de dialogue et nous espérons que ceux qui nous empêchent de travailler vont vite revenir à la raison. Sinon, nous ne pouvons pas éternellement retenir nos militants qui sont aussi des chefs de familles qui vivent de leur travail», avertit Bréhima Camara, le secrétaire général adjoint du STUL.
«Si cela ne tenait qu’à nous, cette injustice aurait pris fin depuis longtemps. Heureusement, nos responsables refusent la violence et nous mettent la pression pour ne pas céder à la provocation. Mais, si nous ne voulons pas que nos familles meurent de faim ou que nos enfants aillent mendier dans la rue, il nous faudra défendre notre source de revenus d’une manière ou d’une autre», martèle un chauffeur.
Cette situation interpelle les responsables de l’UNTM et de la CSTM, du ministère de l’Equipement et des Transports et ceux de la Justice, des Droits de l’Homme, voire du gouvernement… La tension est aujourd’hui à son paroxysme parce que des chefs de familles sont injustement privés de revenus. Et leurs agresseurs bénéficient toujours de l’impunité pour continuer à les empêcher de travailler. Tout le monde est averti, mais personne n’agit jusqu’à ce que cela dégénère en affrontements violents aux conséquences inimaginables. Trop harcelée, même la chèvre finit par mordre. Alors, ne personne ne pourra dire : je ne savais pas !