Quand un garçon survit grâce à son maigre salaire de «prentikê» sur une Sotrama, quand un garçon ne supporte pas de voir sa sœur se prostituer pour pouvoir acheter les condiments qui manquent, quand un garçon s’attend à devenir le chauffeur d’une Sotrama, et que le fils du patron lui vole la place, le désespoir l’envahit. Il ne veut pas passer le reste de sa vie accroché à la porte d’un des minibus verts qui sillonnent la capitale malienne, d’un quartier à l’autre, en quête de passagers. Il a les mêmes ambitions que tous les jeunes du monde, il veut s’en sortir, il veut réussir.
Il ne voit qu’une solution à sa misère financière et morale, aller frapper à la porte de la belle maison que tout le monde connaît pour offrir ses services aux trafiquants de drogue qui y habitent. Peu importent le risque, la peur, l’illégalité, au bout, il y aura de l’argent, beaucoup d’argent, énormément d’argent. Fini, l’humiliation, fini, la galère, fini, la prostitution de sa sœur. Il est un chien au bas de l’échelle sociale, il sera un chien dans ce milieu sans foi ni loi.
C’est l’histoire de Ladji dans Wùlu, le film réalisé par le jeune franco-malien Daouda Coulibaly. Projeté en avant-première au Forum des Images, à Paris, le jeudi 24 novembre, Wùlu a impressionné le public. Le fourmillement de la gare routière de Rail Da à Bamako, les échoppes sombres où on encaisse les injustices les dents serrées, les ruelles défoncées, les portes closes derrière lesquelles chacun cherche une solution à la pauvreté. Le silence qui vaut mieux que les paroles qui ne serviraient de toute façon à rien. La puissance de celui qui possède sur celui qui n’a rien. La corruption et le trafic illicite en filigrane, à tous les niveaux.
La peur de Ladji qui transporte la drogue entre Bamako et Conakry quand les contrôles policiers ou militaires se font trop insistants. La violence du trafic subie dans le septentrion. C’est le choix déterminé et silencieux de Ladji, car au bout de tout, il y a l’argent. Quoiqu’il soit contraint de faire, Ladji va réussir. L’argent remplacera la misère, les produits de luxe remplaceront la prostitution de sa sœur. L’ascension sera fulgurante pour eux deux.
Après la projection du film, le public a pu échanger avec l’équipe du film. Daouda Coulibaly a expliqué qu’il travaillait déjà au scénario de Wùlu lorsqu’en 2009, un avion cargo, rempli de cocaïne, atterrissait dans le Nord du Mali. Il a donc inscrit son film dans le contexte nébuleux de ce qu’on appelle l’affaire Air Cocaïne. Il avait prévu de tourner Wùlu au Mali, mais l’insécurité qui y règne depuis début 2012 l’a amené à changer ses plans. Mises à part quelques scènes à Bamako, la majeure partie du film a été tournée au Sénégal.
Conseiller en stratégie sur l’Afrique, ex- sous-directeur du service Afrique occidentale, chargé du Mali au sein du ministère français des Affaires étrangères, Laurent Bigot avait été invité à la projection. Selon lui, «Wùlu est un film courageux, car il aborde un sujet pratiquement tabou. Un sujet dont personne ne parle, ni les Maliens, ni le gouvernement malien, ni la communauté internationale, alors que le fond de la crise malienne repose sur le trafic de drogues, de cocaïne en particulier. Les vrais sujets de la crise malienne sont les trafics. Les réseaux terroristes sont avant tout des réseaux narcotrafiquants.
Tout le monde le sait. Tout le monde y est mêlé, le Mali, les pays de la sous-région, les groupes armés, l’Occident, donc personne n’aborde la question.»
Le parcours de Ladji est un parcours individuel, mais il est le reflet d’une tendance lourde de la société. Les jeunes ne se voient pas d’avenir, ils ne voient pas comment sortir de leur misère socio-énonomique. Certains subissent passivement, d’autres partent «à l’aventure vers l’Eldorado européen», une poignée de ces jeunes désespérés prend la même décision que Ladji. Dans un pays où la moitié de la population a moins de 16 ans, les décideurs nationaux et internationaux devraient agir, et vite, car il y va de l’avenir de tout un pays, il y va de la dignité d’un peuple.
Dans Wùlu, l’atmosphère est pesante, oppressante, les images sont belles et dures à la fois. C’est un thriller. Un «polar» à l’odeur de désespoir, à l’odeur de trafic, à l’odeur d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), à l’odeur de sacs de drogue et de billets de banque qui passent d’une main à l’autre. Après avoir été présenté aux festivals internationaux de films de Toronto (Canada), Londres (Royaume Uni), Angoulême (France), Namur (France), et Hambourg (Allemagne), Wùlu vient de remporter le Prix du Public au 36ème Festival International du Film d'Amiens (France). Quand il sera projeté au Mali, Wùlu, que Laurent Bigot a qualifié de film engagé, recevra peut-être un accueil mitigé, car il met le doigt là où ça fait mal.