Sikasso- Le chef de l’ex-junte malienne Amadou Sanogo a comparu mercredi à l’ouverture de son procès pour implication dans l’assassinat de militaires en 2012, l’une des pages les plus sombres du putsch qui a précipité le pays dans le chaos.
Le procès, délocalisé à Sikasso (sud), alors qu’une série d’attaques jihadistes présumées a frappé le Nord ces derniers jours, a été ajourné en début d’après-midi à vendredi, à la demande de la défense qui réclamait un report de 48 heures, a annoncé le président de la Cour d’assises.
Les 17 prévenus, tous militaires, dont les généraux Yamoussa Camara, ancien ministre de la Défense, et Dahirou Dembélé, ex-chef d’état-major, sont jugés pour "enlèvement et assassinat, complicité d’enlèvement et d’assassinat" de parachutistes, dont les corps ont été retrouvés dans un charnier en décembre 2013 près de Kati, où se trouvait le quartier général de Sanogo.
L’audience se déroule dans une salle de spectacles pouvant accueillir un millier de personnes, la première salle du tribunal de Sikasso (374 km au sud-est de Bamako) ayant été jugée trop exiguë.
Devant une audience nombreuse, M. Sanogo, en costume beige et cravate, le crâne rasé, s’est montré bravache, se présentant comme général et "ancien chef d’Etat", ce qui a déclenché une première passe d’armes entre la défense et le procureur, Mamadou Lamine Coulibaly.
L’accusé "n’est ni plus ni moins qu’un simple citoyen dans la salle d’audience", a rétorqué M. Coulibaly.
"J’ai le moral. J’attendais ce jour", a brièvement déclaré à l’AFP l’ex-chef de la junte.
Un des avocats de la défense, Cheick Oumar Konaré, a justifié la demande de report par la nécessité de conférer avec leurs clients. "Plusieurs nouveaux avocats se sont constitués à la barre", a-t-il souligné.
Mme Bintou Camara, de l’Association des parents des soldats disparus, s’est montrée philosophe. "Même s’il faut attendre cinq ans, nous allons attendre", a-t-elle assuré.
Opposés au putsch de mars 2012 conduit par Amadou Sanogo, alors obscur capitaine de l’armée, qui a renversé le président Amadou Toumani Touré, les membres d’une unité parachutiste, les "Bérets rouges", avaient vainement tenté un contre-coup d’Etat un mois plus tard avant d’être pourchassés par les
putschistes.
- ’Lutte contre l’impunité’ -
"Sanogo et ses éléments ont assassiné nos enfants. Il faut qu’on nous explique comment. Il faut aussi les punir", a déclaré à l’AFP Mme Oumou Diarra, du Collectif des familles des soldats disparus.
Un parent du principal accusé a protesté de son innocence. "Mon neveu n’a pas donné l’ordre de tuer quelqu’un. Je veux que la vérité éclate enfin. C’est important pour nous, membres de la famille", a indiqué Ali Sanogo.
Le putsch de mars 2012 a précipité la déroute de l’armée face à la rébellion à dominante touareg et les groupes jihadistes liés à Al-Qaïda dans le nord du Mali. Cette vaste région était alors tombée sous la coupe des jihadistes d’abord alliés aux rebelles, qu’ils avaient ensuite évincés.
Le vice-président de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), Drissa Traoré, a salué dans un communiqué un "procès hautement historique et symbolique pour le Mali", espérant que d’autres suivraient, notamment sur les violations des droits humains dans le Nord depuis 2012.
"Trop longtemps, des hommes comme Sanogo ont été considérés comme intouchables et au-dessus de l’Etat de droit", a souligné Human Rights Watch (HRW), souhaitant qu’il s’agisse d’une "première étape dans la lutte contre l’impunité au Mali."
Dans le même temps, un attentat suicide visant mardi soir l’aéroport de Gao (nord), qui n’a tué que son auteur, a été revendiqué par le groupe du jihadiste algérien Mokhtar Belmokhtar.
Et un groupe armé pro-gouvernemental a affirmé avoir perdu mercredi cinq combattants dans l’explosion d’une mine à Adjelal (nord-est), tandis que l’armée malienne déplorait deux morts dans une embuscade lundi près de Gao.
Les jihadistes ont été dispersés et en grande partie chassés du Nord à la suite du lancement en janvier 2013, à l’initiative de la France, d’une intervention militaire internationale, qui se poursuit actuellement.
Mais des zones entières échappent encore au contrôle des forces maliennes et étrangères, malgré la signature en mai-juin 2015 d’un accord de paix censé isoler définitivement les jihadistes.
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