« La montée de l’extrémisme violent comme menace sur l’État, la cohésion sociale, les droits et libertés », c’est le thème de la 2ème édition du colloque international qui réunit, pendant quatre jours à Bamako, écrivains, journalistes et communicateurs traditionnels. Nous avons rencontré, en marge de ce colloque, M. Boubacar Ba, Juriste, spécialiste en résolution des conflits. Il revient sur les grandes lignes de sa communication sur « le centre du Mali face aux tensions communautaires et au défi djihadiste ».
Sahelien.com : Après le nord, les regards se tournent vers le centre du Mali. Qu’est ce qui explique l’intensification des attaques dans cette région?
Boubacar Ba : Il y a une émergence d’acteurs nouveaux qui sont constitués de groupes armés, de rebelles, des milices d’autodéfense. Ces groupes sont l’émanation des populations. Ce ne sont pas des étrangers, ils sont issus du terroir. A l’Est du delta central, dans la zone qu’on appelle le Senomango, c’est-à-dire Douentza, Koro et Bankass, il y a des groupes qui sont issus du milieu pastoral qui ont des connivences avec les groupes terroristes comme le MUJAO et le Front de libération du Macina. Ils utilisent les conflits locaux pour développer des revendications. En l’absence de l’Etat, des élus, de l’administration, ce sont eux qui contrôlent les ressources naturelles. Aujourd’hui, il y a une question de relation de pouvoir qui se pose entre les structures traditionnelles anciennement établies et ces acteurs émergents qui veulent aussi avoir leur mot à dire dans la gestion des relations sociales, dans la gestion du pouvoir local, dans la gestion des ressources naturelles. C’est valable à l’Ouest du delta central, notamment dans le cercle de Ténenkou où, il y a eu un conflit entre agriculteurs et éleveurs. L’enjeu, c’est le contrôle des territoires, des ressources et du pouvoir local.
Sahelien.com : Au cours de votre exposé vous avez évoqué la question d’identité locale, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Boubacar Ba : Pour que ces groupes puissent s’installer, ils déstabilisent le système en s’appuyant sur les conflits, mais aussi en montrant à ces populations qu’elles n’ont plus de repère aujourd’hui. Ils fragilisent la société et disent aux gens qu’ils n’ont pas de recours et qu’ils sont les seuls, puisque l’Etat n’est pas là. Ils amènent une autre identité que nous, nous ne comprenons pas. Cette identité est basée sur la violence et sur les milices d’autodéfense. Cela amène une sorte d’extrémisme violent qui bloque tout. C’est cette identité qui est menacée, cette absence de démocratie, d’état de droit.
Sahelien.com : Que pensez-vous de la décision, il y a quelques jours, de l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ), de déposer les armes ?
Boubacar Ba : Il va falloir approfondir la réflexion. Il faut voir quel est l’ancrage réel de ce groupe armé. En avril dernier, il y a un autre groupe présent au centre et un peu à l’ouest du delta qui a déposé les armes. Il faudra analyser en profondeur le contenu de la déclaration et de leur engagement parce que nous sommes dans un processus de DDR (Désarmement Démobilisation Réinsertion) qui s’annonce. Est-ce que c’est des positionnements par rapport au DDR ? Est-ce qu’il y a réellement une volonté politique de déposer les armes ? Je ne pourrai confirmer sans analyse approfondie. Et puis, il faut une étude sur le terrain pour comprendre quels sont leurs modes opératoires, leur ancrage communautaire ou social, et leur capacité à être en mutation en intégrant un système normal à travers le DDR.
Sahelien.com : Que proposez-vous pour sortir de cette situation?
Boubacar Ba : Dans un premier temps, il va falloir identifier les foyers d’évolution de ces groupes-là. Il faut bien les localiser, voir quelles sont leurs caractéristiques. Il y a parmi eux, des groupes d’autodéfense communautaires, des groupes dits djihadistes. Il va falloir les répertorier, voir leur lien avec les acteurs du nord qui les influence, même les acteurs internationaux. Le lien entre le groupe état islamique qui commence à prendre corps dans le pays et Aqmi qui est au nord. Il faudra bien les identifier pour voir quel type de processus permettra de continuer à discuter avec leurs représentants. Il faut aussi voir la possibilité d’extraire les jeunes de ces groupes, parce que c’est là le danger. Ensuite, il faut répondre par un projet communautaire très fort, par une forte sensibilisation des acteurs sur le terrain, par une conscientisation au niveau national avec les élites locales, les gouvernants ainsi que la société civile qui doit s’activer pour trouver des solutions.